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VIH : fuir pour se soigner

Mehdi Toukabri · Journaliste

Mise en ligne le 7 août 2025

Diagnostiqué positif au VIH lors d’un test de routine aux Émirats arabes unis, Mahmoud Saadawy, étudiant égyptien de 22 ans à l’époque, a dû prendre la fuite afin de ne pas subir l’enfermement et la déportation prévus par la loi émirienne en cas de séropositivité. Aujourd’hui installé à Gand, où il peut vivre ouvertement son homosexualité et suivre son traitement en toute quiétude, le trentenaire retrace son histoire. Et par là, la stigmatisation et la difficulté de se soigner quand on est porteur du VIH.

Photo © Stocklab/Shutterstock

 

Abu Dhabi, juillet 2014. Mahmoud Saadawy reçoit un coup de téléphone d’un employé du ministère de la Santé émirien. « Il voulait parler à mon père. Nous étions convoqués tous les deux à son bureau. Nous étions, autant lui que moi, sonnés et perdus. C’était très inquiétant. Cela ne s’était jamais produit. J’avais comme un pressentiment, une impression qu’un malheur allait arriver. » Le lendemain, la nouvelle tombe tel un couperet : Mahmoud Saadawy est séropositif. Conformément à la législation locale, toute personne étrangère testée positive au VIH est immédiatement enfermée dans l’attente de son expulsion. « On peut dire que j’ai eu de la chance. L’employé du ministère de la Santé, également d’origine égyptienne, nous a fait une fleur : au vu de mon jeune âge, il ne voulait pas que je sois placé en détention. Mais dès notre sortie du bureau, il était tenu de prévenir les autorités. J’avais une semaine pour tout régler et quitter le pays où je suis né, où j’ai grandi. »

L’exil contraint

Il n’a pas fallu plus de deux heures à Mahmoud pour se procurer un billet d’avion à destination du Caire. Un aller simple, sans retour possible. « Quand j’ai appris ma séropositivité, j’ai eu tellement peur ! J’étais comme dans un autre univers. J’ai pensé que ma vie était terminée. J’avais en tête ces images horribles d’hommes gay des années 1980 aux États-Unis diagnostiqués séropositifs, qui finissaient par développer le sida1, puis mouraient tout simplement. » L’heure est au choc, puis au départ. « Cela a été un des moments les plus difficiles de ma vie. Mais avec le recul, j’ai vraiment reçu un soutien incroyable de la part de mes parents, d’une grande gentillesse. J’ai dû tout de même mentir : je leur ai dit que j’avais été infecté à cause d’un rapport hétérosexuel. Est-ce qu’ils savent que je suis gay ou pas ? Je l’ignore, en tout cas, nous n’en parlons jamais. » Et le jeune homme d’ajouter avec un sourire narquois : « De toute façon, vivre son homosexualité à Abu Dhabi, cela se fait sous les radars. Rien ne se dit ouvertement. »

Après avoir fui Abu Dhabi puis quitté le Caire, le jeune Mahmoud Saadawy s’est installé en Belgique pour étudier et vivre plus sereinement avec le VIH.

© Mehdi Toukabri

Un traitement hors de prix

Étudiant en dernière année de dentisterie, il décide, après de nombreux questionnements, de terminer ses études à la ville aux mille minarets. « Le plus gros problème à ce moment n’est pas de poursuivre mon cursus, mais de me soigner. Au début, je n’avais aucune information concrète concernant un quelconque traitement antirétroviral. La seule piste était proposée par un médecin privé au prix de 430 dollars la boîte de pilules. Une boîte ne dure que trente jours. » Partagés entre honte et profonde culpabilité, l’exilé et sa famille ont dû faire face à une charge financière imprévue. « Cela a vraiment affecté le foyer. Lorsque, par exemple, nous avions besoin d’un nouvel ordinateur portable, nous voyions si cela entrait en conflit avec mes soins : est-ce que je prenais les médicaments ou le portable ? Mes parents, mes frères et sœurs et moi avons dû subir cette situation durant environ trois ans. Ce n’est qu’ensuite que j’ai découvert qu’une autre source vendait le traitement à 370 dollars. Ce n’était pas énorme comme différence, mais ça nous a permis de respirer un peu. »

Quelques semaines plus tard, le désormais jeune dentiste découvre que l’État égyptien fournit gratuitement la médication. À une condition : se rendre dans un des hôpitaux spécialisés en hépatites aiguës, les Fever Hospitals, où la discrimination fait rage et où la prise en charge et le suivi des personnes vivant avec le VIH sont déplorables. « Chaque mois, lorsque j’allais chercher mes médicaments, aucun bilan de santé n’était réalisé. Les médecins ne s’abaissaient pas à savoir si le traitement se déroulait bien ou pas. La plupart des soignants maltraitaient la patientèle séropositive. Je devais prendre congé et mentir à mon employeur pour y aller. C’était très gênant. » Au sentiment de raser les murs s’ajoutent la rigueur quotidienne, presque militaire, de la prise des médicaments, ainsi que la peur d’être arrêté pour homosexualité. « Si vous cessez de prendre votre comprimé durant un jour, le virus risque de se développer et sa résistance au traitement peut augmenter. J’avais tellement peur quand on me prescrivait une nouvelle médication que le virus soit plus agressif, mais aussi qu’on me dénonce, qu’on m’arrête ou que je sois mis en quarantaine ! »

VIH et restrictions migratoires

« Depuis toujours, je me voyais vivre ma vie à l’étranger. Mais mon retour forcé en Égypte et mon infection au VIH ont changé la donne. Il était temps que je quitte la région et que j’aille dans un endroit où je pourrais bénéficier de soins de meilleure qualité, tout en étant moi-même et en arrêtant d’avoir peur constamment. » Les recherches pour entamer un master en santé publique ou en santé mondiale combinées à une situation conforme aux besoins médicaux nécessaires ont alors démarré pour Mahmoud. « Je me suis rendu compte que beaucoup de pays avaient encore des lois strictes concernant le VIH. Par exemple, au Canada, on ne peut pas obtenir de permis de séjour si on est séropositif. Jusqu’à aujourd’hui, en Australie, on calcule le coût des soins. Si c’est trop cher, on ne vous accorde pas de permis de séjour à cause du VIH. La même chose à Singapour. Le Japon, la Corée du Sud, comme tant d’autres pays, appliquent encore des restrictions de voyage aux personnes vivant avec le VIH. C’est pourquoi j’ai dû personnaliser mes recherches pour savoir comment partir à l’étranger. C’est ainsi que je suis arrivé en Europe et plus précisément à Gand, ici en Belgique. »

En Belgique, le traitement contre le VIH est facilement accessible et remboursé, à condition d’être en ordre de mutuelle.

© Showtime Photo/Shutterstock

Aujourd’hui, le trentenaire a terminé ses études et apprécie particulièrement sa vie au plat pays. La peur et la survie au quotidien ont fait place à la normalité et à la militance. « J’aime vraiment beaucoup ma vie en Belgique. J’aime les gens que j’ai rencontrés, j’aime mon style de vie. J’ai un master en santé publique en poche et je me suis concentré sur la santé et les droits des personnes issues de la communauté LGBTQIA+. Je souhaite vraiment défendre les droits de ces personnes. Je veux m’exprimer haut et fort. Parler constamment des politiques de santé pour elles. Militer pour une meilleure accessibilité aux soins et mettre en lumière les soins de santé et l’intersectionnalité en matière de droits sexuels. »

Bon et mauvais traitements

En 2026, l’Égyptien a la ferme intention de demander la nationalité belge, car « aussi ridicule que cela puisse paraître, ce petit bout de papier détermine votre niveau de privilège et vous facilite la vie dans de nombreux domaines, comme le travail, les voyages et l’accès à de nombreux services. Aussi, je dois l’admettre, le traitement du VIH en Belgique, c’est le paradis : une injection tous les deux mois, le tout gratuitement à condition d’être en ordre de mutuelle ». Et Mahmoud Saadawy de conclure : « Je pense que le diagnostic du VIH a vraiment changé ma perception de beaucoup de choses : la façon d’aborder les gens, de ceux que j’accueille dans mon entourage, de ceux que je considère comme déconstruits ou non, de ceux qui sont réellement jugés comme tolérants ou non. » La vie qu’il peut mener en Belgique est clairement plus belle que celle à laquelle il a échappé aux Émirats arabes unis et en Égypte. Il est optimiste, mais reste réaliste, car même au sein de la communauté gay, en Belgique, le racisme est bien palpable. Sa « chance », il l’a saisie au prix de l’exil : « Aujourd’hui, je peux être qui je veux et vivre comme je le souhaite. »

  1. Une personne séropositive est infectée par le VIH, mais cela ne signifie pas qu’elle sera forcément malade du sida. Avec le traitement approprié, elle peut vivre longtemps et en bonne santé, tout en étant protégée contre la transmission du virus.

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