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Soixante nuances
de misanthropie

Vincent Dufoing · Directeur « Projets communautaires » du Centre d’Action Laïque

Mise en ligne le 7 avril 2025

Il a été décidé qu’à partir de dorénavant ceux qui concluent leurs publications Facebook par l’expression “On en parle ?” seront condamnés à animer un débat entre Éric Zemmour et Michel Onfray. »

On est assez désarçonné quand on consulte pour la première fois la bande dessinée À bas l’humanité de David Snug : le petit format carré est assez inhabituel, et après une préface dessinée en plusieurs cases par page, chaque « récit » est composé d’un seul dessin par page.

L’auteur libertaire français, de son vrai nom Guillaume Cardin, est aussi musicien de rock indépendant. Ses sources d’inspiration sont le travail, l’école, le chômage et évidemment le rock indépendant. Après avoir réalisé pas moins de 17 bandes dessinées et 17 albums musicaux, en solo ou en groupe, il propose un petit livre décapant composé de soixante dessins humoristiques. En faisant preuve d’une « mauvaise foi assumée », il « joue les misanthropes » pour mieux mettre le doigt sur « les travers de ses contemporains » – de nous toutes et tous en fait –. « En commençant, bien entendu, par les siens », précise son éditeur.

La préface rédigée par l’auteur met en scène, à travers le dialogue entre un jeune d’aujourd’hui et lui-même, le choc des cultures entre les années 1980 et l’époque actuelle. Sans surprise, David Snug y fait l’apologie du groupe de punk français de François Béru, Les Béruriers Noirs, à qui l’on doit le slogan « À bas l’humanité… À l’unanimité ! ». À la suite de cette conversation assez étonnante où, entre autres, le jeune lui demande s’« il jouait dans les Bérus, François Bayrou ? », ce dernier conseille à David Snug de « dénoncer tout ce qui l’énerve dans l’humanité » en réalisant un dessin par page.

À partir de là, David Snug, en bon libertaire, dézingue à tout va ! Par un humour potache assumé, un ton direct et hilarant, il prend le contre-pied de propos absurdes qu’on entend tous les jours et que l’on peut proférer soi-même. Il joue la carte du comique de situation, se moque d’expressions populaires, il ridiculise certains adages et autres a priori.

Son modus operandi ? Imaginer « les décisions prises par des autorités compétentes pour tenter de régler divers problèmes de société ». Des sentences à l’emporte-pièce qui viennent en fait contrer les propos et comportements qui nous agacent sérieusement dans la vie de tous les jours : l’irrespect face aux plus faibles ; les personnalités clivantes, nauséabondes prétentieuses ; l’engouement pour les acronymes que personne ne comprend (c’est le but !) ; les expressions « bateau » qui ne veulent rien dire ; la pseudo-modernité qui entend expédier ce qui fonctionnait auparavant dans les oubliettes de l’histoire ; les extrêmes politiques ; les préjudices portés à l’environnement ; la sacralisation du bio ; l’engouement pour le vintage ; la névrose de classe, etc. Il s’attaque également à des situations plus précises comme l’envers de la réussite des JO de Paris 2024 ou le macronisme. Le moins que l’on puisse dire, c’est que certains « profils-types », comme les bobos, les snobs, les pédants, les présomptueux, les beaufs, les grandes gueules, ceux qui ne connaissent pas leur chance et les relativistes de tout bord en prennent pour leur grade. Le panel est immense, et c’est une gageure d’être parvenu à dresser un tel portrait de l’humanité en soixante dessins.

La BD de Savid Snug fait inévitablement référence à l’indignation qui est à la mode de nos jours tant. À l’instar du philosophe belge Laurent De Sutter dans son livre Indignation totale1, David Snug nous propose de cesser de toujours vouloir avoir raison et d’apprendre à avoir tort. Ses dessins s’ancrent dans une réalité quotidienne vécue du matin au soir, du bureau au bistrot, des vacances aux dîners de famille, dans les médias et surtout sur les réseaux sociaux. En effet, nous avons coutume de nous insurger contre toutes formes de scandale : politique, économique, moral, religieux, écologique, etc. Tous les domaines de la vie semblent désormais être affectés par des imperfections, des bêtises, des horreurs suscitant notre indignation plus ou moins vertueuse. Et après, qu’est-ce qui change ? Peu de choses, en réalité.

À bas l’humanité est un miroir – non déformant – de notre société et de nous-mêmes. Sa lecture suscite le rire et quelques grincements de dents en distillant en nous un peu honte par rapport à nos comportements… Ça fait rire, mais ça fait mal… David Snug réveille en nous l’esprit critique dont nous ne faisons pas assez usage. Du grand art ! Bravo l’artiste !

David Snug, À bas l’humanité, Montreuil, Nada, 2025, 72 pages.

  1. Laurent De Sutter, Indignation totale. Ce que notre addiction au scandale dit de nous, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2019, 144 p.

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