Libres, ensemble
Société malade,
jeunesse en détresse
Elena de Pascale · Membre du collectif Tout va s’arranger (ou pas)
Mise en ligne le 11 décembre 2025
À la suite de la pandémie de Covid-19, nous avons pu observer que la santé mentale des jeunes a pris une réelle ampleur dans le débat public. Effectivement, les études, les enquêtes se suivent et se ressemblent, les chiffres sont sans appel ! En Belgique, 43 % des jeunes de 18 à 24 ans expriment un problème de santé mentale, 16 % des 10-19 ans ont un trouble mental diagnostiqué. Les adolescents sont fortement touchés par les troubles anxieux, particulièrement les filles, les jeunes femmes de 18 à 29 ans sont atteintes par des pensées suicidaires.
Illustration © Roman Samborskyi/Shutterstock
Le constat est clair, la santé mentale des jeunes est en péril. Et donc, par conséquent, l’avenir de notre société tout entière est concerné. Une génération qui s’écroule, c’est un système qui s’écroule. Nous, les jeunes, appelons à l’aide et à la prise de conscience collective de notre souffrance. Lorsque je demande aux autres jeunes de notre collectif Tout va s’arranger (ou pas) pourquoi ils vont mal, leurs réponses ne sont autre que la guerre, le climat, les discriminations, les injustices, la montée de l’extrême droite… Quant à moi, si vous me demandez pourquoi je vais mal, je vous répondrais que je suis anxieuse à propos de l’avenir, de mon parcours académique, des interactions sociales. Je vous parlerais de l’incertitude qui me mine. Je vous dirais également que je n’arrive plus à avoir de motivation pour avancer dans une société comme la nôtre.
Une anxiété systémique
Cette anxiété est étroitement liée au fonctionnement de notre système. En effet, dans cette société néo-libérale et capitaliste, nous poussant toujours à la performance, il est difficile de trouver sa place, de créer du lien. Et l’avenir devient inenvisageable. Non seulement nous vivons dans un système capitaliste, mais de plus, ces dernières années, nous observons un retour vers des valeurs conservatrices. On revient sur des droits fondamentaux, notamment le droit à l’avortement, mais aussi les droits des personnes LGBTQI+, ou des personnes issues de minorités ethniques. La liberté d’expression et la démocratie sont en péril, les discours fascistes prennent de plus en plus de place, même en Belgique ! À se demander si le cordon sanitaire est encore en vigueur.
Sans parler de la violence institutionnelle… Regardons les mesures gouvernementales belges récemment prises : le décret paysage et l’augmentation du minerval à 1200 euros, les exclusions du chômage (6 exclusions sur 10 concernent des jeunes de moins de 30 ans). Elles s’attaquent directement à la jeunesse. Et quand nous décidons de nous mettre en marche contre ces mesures violentes, la répression policière frappe, et deux fois plus fort.
© Billion Photos/Shutterstock
Prendre le problème à bras le corps
Alors oui, certes, ces dernières années, nous entendons parler de santé mentale des jeunes en politique. Mais il ne suffit pas d’en parler et de nous donner des rendez-vous gratuits chez le psy ! Il faut s’attaquer à la source du problème, arrêter de mettre des pansements sur une hémorragie. Bien entendu qu’il est important de prendre soin de sa santé mentale, de parler, d’aller en thérapie si besoin, de prendre du temps pour se reposer. Je ne cesserai jamais de répéter qu’il faut s’écouter, écouter l’autre. Mais pendant que nous nous soignons, la société, que fait-elle ?
Elle continue de nous renvoyer à une responsabilité individuelle et nous exclut. Le système académique élitiste ne prend pas en compte les difficultés de chacun ; le milieu du travail ne répond définitivement pas aux attentes et aux besoins de la jeunesse actuelle. Et de surcroît, la prise en charge psychiatrique des jeunes est inadaptée pour un bon nombre d’entre nous.
Depuis que je suis petite, je cumule toutes sortes de symptomatiques anxieuses (trouble obsessionnel compulsif, crises d’angoisse, déréalisation, paranoïa…), ainsi que de grosses phases dépressives. Personnellement, je refuse le diagnostic, parce que je sais, que dans mon cas, il ne me sera pas bénéfique. Aujourd’hui, ce que je veux dire au monde, c’est que je suis en colère de ne pas avoir été écoutée, d’avoir été considérée comme folle ou encore comme hystérique. Je suis en colère de vivre dans un monde sans empathie, sans humanité.

© Master 1305/Shutterstock
Au-delà de l’étiquette
À l’âge de 15 ans, on m’a collé l’étiquette de “malade”. Et aujourd’hui, quatre ans plus tard, je peine à la déconstruire. Pourtant, non, je ne suis pas malade. Du moins personnellement, je ne me considère pas comme telle. Je ne suis pas malade parce qu’à ce jour, si je suis malheureuse, c’est parce que je ne peux pas envisager un avenir, que je ne peux vivre sereinement dans ce monde.
Toujours à l’âge de 15 ans, j’ai fait un très bref passage en hôpital psychiatrique. Cet événement fut très marquant et traumatisant. En rendez-vous d’admission, je me suis mise en colère, très violemment, parce que je refusais de me faire médiquer et de rester dans un endroit aussi déshumanisant. La réponse des soignants à cette rage ? Je cite : « Tu as quel âge pour réagir comme ça ? » Parce qu’il faut un âge pour être respectée ? Parce qu’il faut un âge pour être indignée ? Faut-il vraiment un âge pour vouloir être considéré humainement ?
Des méthodes brutales
Mon témoignage est loin d’être anodin, des pratiques encore très brutales sont utilisées en psychiatrie : isolement, contention, médication de force voire sédation, sismothérapie… Sans parler des violences psychologiques. Le problème fondamental de ces méthodes est qu’elles sont souvent utilisées sur de jeunes adolescents, sans leur consentement et sans leur expliquer leur utilité thérapeutique. Beaucoup de témoignages de patient·es me sont parvenus, et souvent les hospitalisations sont des sources de traumatismes. Cependant, il existe encore très peu de structures adaptées pour les jeunes ayant besoin de soins, de lieux où leur santé mentale peut exister et a de l’importance.
De plus, après une hospitalisation, il est souvent très compliqué de retrouver une vie en dehors de l’hôpital. Comment pouvons-nous repenser les méthodes de soins pour favoriser la réinsertion sociale des personnes souffrant de troubles psychiques ? Comment réadapter notre société pour favoriser le bien-être et enlever le tabou autour de la santé mentale ?
© Anton Vierietin/Shutterstock
Réintroduire l’humanité pour mieux soigner
Je ne prétends pas connaître le remède miracle à cette épidémie de mal-être, mais ce dont je suis sûre, c’est qu’il faut écouter les jeunes et leurs envies, prendre en compte leurs paroles dans les décisions politiques les concernant. Il faut instaurer le dialogue avec les personnes concernées, ne plus avoir peur de parler de santé mentale. Parler d’humains à humains, non plus de médecin à patient. Certes nous n’avons pas de diplôme en psychiatrie, mais nous avons un vécu, des besoins, des traumatismes, une conscience de ce qu’est la psychiatrie. Alors, tendez l’oreille, déposez votre casquette de médecin et peut-être naîtront de nouvelles pistes de “soins”.
Je parle en mon nom, Elena, 19 ans, patiente en santé mentale, slameuse, adolescente un peu perdue et en colère, aujourd’hui engagée pour la santé mentale des jeunes au sein du collectif Tout va s’arranger (ou pas), militant pour une prise en compte de la parole des jeunes concernés et une déstigmatisation de la santé mentale. Et c’est précisément cet engagement qui m’a sauvée, qui a donné une place à ma colère pour exister. Ce qui m’a également sauvée, c’est l’écriture et le spectacle vivant. Par ces formes d’art, j’ai trouvé un moyen d’expression et de lien avec les autres, et c’est pour ça qu’à ce jour,
« J’écris
J’écris pour faire taire mes cris
J’écris pour ceux qui n’ont plus de voix
J’écris dehors ou sous un toit
J’écris partout, sur tout, surtout pour nous
J’écris pour nous les inadaptés
Pour ceux dont les cris ont été étouffés et le cœur fracassé
J’écris de façon démesurée pour tous les désœuvrés
J’écris dans tous les états
J’écris sage, j’écris sale, j’écris mal
J’écris sur la plage ou en plein naufrage
J’écris dans l’ombre
J’veux pas être une étoile qui brille
J’préfère la pénombre
J’m’en tape qu’on m’aime si on aime mes récits
J’écris pour exister, c’est ma voix, celle qui résonne en moi et qu’on ne peut censurer
J’ai écrit quand j’voulais mourir et c’est la seule chose qui m’a sauvée
J’étais en train de couler et ma plume était ma seule bouée
Alors, toute ma vie j’écrirai
Quand j’ai plus d’mots j’me sens mal, c’est direction l’hôpital
Car écrire c’est ma façon de respirer
Un mot j’inspire, à la ligne j’expire
Y’a rien de pire qu’une journée où j’arrive pas à me vider sur ce papier
Faut qu’j’assouvisse ce besoin d’écrire
Avant qu’mes vices ne viennent me détruire
Écrire c’est là où j’puise mon envie d’vivre
À chaque fois qu’j’écris j’esquisse un sourire,
Écrire c’est comme une addiction,
J’en ai besoin pour relâcher la pression
Mais j’veux que mes dires vous fassent sensation,
Donc faut que je travaille ma diction,
Que j’enjolive mes failles et mes émotions,
Pour que mes écrits restent
Sans connaître l’expiration
J’ai écrit quand j’voulais mourir et c’est la seule chose qui m’a sauvée
J’étais en train de couler et ma plume était ma seule bouée
J’étais en train de couler et ma plume était ma seule bouée
Alors,
Toute ma vie j’écrirai. »
@Paronomasque
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