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Prolonge-toi si tu le peux !
Anne Cugnon · Documentaliste au CAL/COM
Mise en ligne le 10 novembre 2025
Gloria : « Mais t’es insupportable ! Moi, tu crois que ça me fait plaisir de te voir te laisser mourir comme ça ? »
Camille : « Vieillir, c’est pas un suicide… »
Gloria : « Si, un peu quand même. »
Et si, dans un futur proche, une découverte techno-médicale nous permettait de stopper le vieillissement et de nous régénérer à l’envi, que ferions-nous si nous en avions les moyens ? Et si vieillir – mourir – mutait un jour en geste politique pour ceux qui en auraient le choix ? Avec son premier album graphique pour adulte, le dessinateur, illustrateur et peintre Gwendal Le Bec propose un récit d’anticipation dont l’inspiration puise dans une actualité bien réelle, celle où le fantasme d’immortalité du transhumanisme trace sa voie et où des milliardaires de la Silicon Valley déboursent des fortunes pour trouver un remède à la vieillesse.
Il met en scène Gloria et Camille, un couple de pensionnés soudés et fortunés – cela a son importance – à l’aube de leurs 80 ans. Confrontés à cette opportunité révolutionnaire, ils ont pris des chemins différents. Gloria, taraudée par la peur de mourir, a cédé aux sirènes de la jeunesse éternelle tandis que Camille, pour qui « l’humanité déconne complètement », a préféré s’en tenir au vieillissement naturel. Elle paraît 50 ans, lui 30 de plus. L’histoire s’ouvre sur leur quotidien rythmé par les séances de visionnage de telenovelas, de jardinage et d’« éterniseur », une espèce de sarcophage servant à l’entretien des corps. En apparence, leur relation dépeinte avec humour et tendresse par l’auteur ne semble pas être altérée par les conséquences de leurs choix divergents. Mais voilà, le « prolongement » programmé de Gloria approche et l’intervention s’avère de plus en plus coûteuse, les contraignant à organiser la vente de leur restaurant familial. C’est alors que les difficultés font surface. Camille en fait particulièrement les frais : « Il lui faut cet argent pour son prolongement. Mais putain, mais tu crois que ça me réjouit ? J’avais pas prévu de vieillir tout seul moi. Mais je suis amoureux, alors qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Hein ? Ce n’est pas à 80 ans que je vais t’apprendre que la vie se passe rarement comme on l’aurait voulu. Alors je fais avec. En attendant, je dois gérer une femme qui a une peur panique de mourir. Et je dois trouver une solution. »
Le dessin au trait enlevé baigne dans un lavis rose et bleu lui conférant une légèreté qui contraste avec sa représentation décomplexée de l’imperfection des corps âgés ainsi que du désir et de la sexualité chez les seniors. Ces aspects novateurs du récit sont quelque peu altérés par certains clichés de genre. Les personnages féminins manquent de profondeur, apparaissent caricaturaux et peuvent agacer. Certes, l’injonction à rester jeune coûte que coûte s’impose de nos jours encore principalement aux femmes, ce qui a sans doute prévalu dans le choix de l’auteur. C’est donc Gloria qui recoure à la fontaine de jouvence 3.0 plutôt que Camille. Le propos aurait néanmoins été moins attendu si cela avait été l’inverse. D’autant que les parangons actuels de la jeunesse éternelle se déclinent plutôt au masculin, tel Bryan Johnson, cet entrepreneur multimillionnaire américain, célèbre pour avoir investi 2,5 millions de dollars pour faire reculer les effets du vieillissement dans son corps.
Centrée sur les péripéties du quotidien des protagonistes, l’histoire aborde également, bien qu’un peu trop à la marge, la question de la perpétuation des inégalités dans l’accès à la médecine et aux progrès technologiques et la fracture sociale que générerait forcément une telle découverte dans une société capitaliste. Ce roman graphique n’en constitue pas moins un intéressant récit d’anticipation qui interroge nos angoisses existentielles face à la sénescence et la mort.
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