Libres, ensemble
Pour une séparation de la science et de l’islam
Faouzia Charfi · Physicienne et professeure, Université de Tunis
Mise à jour le 15 novembre 2021
L’histoire avait pourtant commencé sous le signe de l’ouverture à l’Autre avec le vaste mouvement de traduction des textes anciens inauguré par le calife Al-Mansur au VIIIesiècle. Mais dès le XIe siècle, dans les pays musulmans, la science s’est vue assujettie à des fins religieuses.
Photo : © Yuri Zap/Shutterstock
Au cours des premiers siècles dans les pays d’islam, la science était au-devant de la scène. La capitale de l’empire abbasside était située à Bagdad, et c’est au cœur de cette région très riche sur le plan de l’histoire que l’arabe était devenu la langue internationale de la science, de l’Inde jusqu’à l’Andalousie. La volonté du califat abbasside de favoriser les traductions était couplée à celle d’installer un pouvoir sur la culture. Bagdad était une société multiculturelle à l’époque, ce qui coupe court aux arguments essentialistes liés à l’islam en tant que religion.
La science qui s’est développée du xviiie au xxe siècle était universelle, et il est fondamental d’expliquer cela aujourd’hui aux enfants. Les jeunes qui vivent dans des pays d’islam ou d’ailleurs doivent pouvoir revisiter l’histoire de la science de manière continue. On ne peut évoquer l’universalité de la science sans parler de la science édénique, des sciences grecques, et des connaissances scientifiques acquises pendant toute la période de la Renaissance. La science arabe a poursuivi ces avancées dans toutes les disciplines et par la suite, ces écrits ont été traduits en latin et diffusés dans l’Europe chrétienne. Cette continuité de l’histoire des sciences mérite d’être remise en avant par l’intermédiaire des grands savants dans des domaines aussi variés que l’étude de la nature, l’histoire, l’anthropologie et l’astronomie.
Faouzia Charfi, L’islam et la science. En finir avec les compromis, Paris, Odile Jacob, 2021, 240 pages.
L’école, première cible
L’islam traditionnel, officiel, est exactement le même que celui des intégristes, car il est opposé à la séparation du politique et du religieux, et à la liberté individuelle. Dans certains pays comme la Turquie, aujourd’hui, écrivains, intellectuels et universitaires sont poursuivis. Le premier objectif des obscurantistes est de formater les enfants : l’école est toujours une de leurs premières cibles, et c’est cela le plus grave. Ainsi, il y a deux ans, on a retiré l’enseignement de la théorie de Darwin du programme des lycées turcs sous prétexte que cette dernière est trop compliquée pour les jeunes. En Tunisie, après une réforme très audacieuse portée par le ministre de l’Éducation Mohamed Charfi et l’introduction de la théorie de Darwin dans toutes les sections en 1989, Ben Ali avait, lui aussi, fait marche arrière en 2002, considérant qu’il fallait faire ce « cadeau » aux islamistes. On avait donc supprimé l’enseignement de la théorie de Darwin dans les sections mathématiques qui forment les futurs ingénieurs du pays, ne permettant aux étudiants que de disposer d’une formation tronquée, manquant d’ouverture d’esprit et de science moderne.
L’Université infiltrée
Un fossé s’est creusé entre les pays d’islam et d’Europe à cause de la conception des sciences. Avec la présence de laboratoires de recherche et l’accès à l’enseignement universitaire, il serait trop fort de poser un constat d’échec, mais on ne peut que dénoncer la crise intellectuelle qui affecte les pays musulmans en raison du retour à l’obscurantisme. À l’Université de Sfax, en Tunisie, une jeune étudiante a récemment tenté de soutenir une thèse sur la Terre fixe, et la commission universitaire a finalement et fort heureusement refusé.
À l’échelle de la planète, les mouvements antiscientifiques sont légion, mais dans le cas présent, il ne s’agissait pas de l’espace des réseaux sociaux, mais bien de l’Université ! Le problème se pose également en Europe. À l’ULB, le professeur José-Luis Wolfs étudie les rapports entre sciences et conceptions religieuses et laïques dans le champ éducatif. Il a mené une étude sur la perception d’élèves de terminale en matière de sécularisation de la science et de la société en Belgique, au Maroc, en Pologne, en Argentine et au Pérou, et cette étude a révélé qu’un grand nombre d’élèves de culture musulmane ne veulent pas d’une conception sécularisée de la science. C’est cela la clé : on ne peut pas être scientifique si l’on n’admet pas la séparation de la science et du religieux.
Entretien avec Faouzia Charfi – 5ème Edition du Prix Henri La Fontaine
Libres, ensemble · 2 octobre 2021
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