Chronique du Nord
Peurs et crises :
le couple infernal
Focus sur la peur de la religion
Yvan Dheur · Chargé de missions en affaires internationales à deMens.nu
Mise en ligne le 8 juillet 2022
La peur est une émotion très ambivalente, c’est un facteur de motivation aux effets potentiellement positifs ou négatifs sur le comportement. Elle peut être causée par une menace réelle ou supposée, et elle peut nous pousser instinctivement, entre autres à nous figer, à fuir ou à nous battre. Nous en comprenons les origines évolutionnaires, mais qu’en est-il de son rôle par rapport à la religion et la croyance religieuse ? Le prisme de la peur peux-t-il nous aider à mieux saisir et à cadrer l’expérience de foi et l’essence de la religiosité ?
Photo © Shutterstock
La peur est une réaction neurologique qui peut être déclenchée, entre autres, par un stress ou un manque de connaissances ou de compréhension. Cette réaction physiologique constitue aussi une forme de mécanisme de survie permettant de faire face rapidement à l’inconnu ou à l’inattendu. Lorsque les religions ont vu le jour, leur but était de fournir des réponses aux questions philosophiques, existentielles et (méta)physiques de la vie et d’offrir une forme de rationalisation de ce qui n’était alors pas compris ou ne pouvait être expliqué. En ce sens, l’émergence de la religion en elle-même pourrait être considérée comme un mécanisme d’adaptation à l’anxiété existentielle, une réponse psychique pour expliquer la complexité de l’époque et gérer l’inconnu.
À travers l’histoire, les religions ont également développé des systèmes basés sur la peur afin de contrer – ou du moins tenter de ralentir – leur déclin. Des concepts tels que l’enfer et le paradis sont apparus plus tard dans l’histoire religieuse afin d’exercer une pression morale sur les gens s’ils ne suivaient pas les préceptes et règles de vie de la foi. Dans les religions orientales, le concept de réincarnation a quant à lui émergé de façon comparable afin d’induire une pression morale sur les croyants et de les inciter à obéir plus rigoureusement aux règles religieuses. La peur d’aller en enfer ou de se réincarner dans un être « inférieur » ont ainsi été instrumentalisées pour augmenter ou maintenir les comportements religieux souhaité.
« Pourquoi je ne suis pas chrétien »
Le 6 mars 1927, le philosophe, historien, logicien et mathématicien britannique Bertrand Russell donna une conférence à la National Secular Society à Londres expliquant pourquoi il n’était pas chrétien. Il y expliqua de façon extensive que la religion était, selon lui, basée sur la peur de l’inconnu. La croyance serait un symptôme de peur (de la mort, du mystérieux, de la défaite etc.), et inversement, la peur serait un symptôme de croyance.
Selon Russell, la religion serait née de la prise de conscience que nous sommes vulnérables et que nous aurions donc besoin d’un pouvoir surnaturel, voire magique, pour nous protéger et expliquer notre raison d’être. La doctrine de la « punition », fortement présente dans la foi, dans cette vie et dans l’au-delà, serait un moyen de pression pour contrôler et manipuler le comportement des gens.
La peur, soutient Russell, serait à l’origine de la cruauté, ce qui expliquerait pourquoi la religion est si souvent associée à celle-ci dans les conflits religieux et tout au long de son histoire. Pensons à l’Inquisition, aux chasses aux sorcières, à la collaboration ou aux problèmes de maltraitance des enfants. Pour sortir de ce mécanisme, la science, la raison et la connaissance constituent donc des instruments idéaux pour priver la peur de son terreau.
Un fanatisme effrayant
La peur semble également alimenter des comportements extrêmes dans le monde. Le radicalisme fanatique et l’intégrisme religieux, les campagnes anti-choix menées par des groupes religieux profondément conservateurs, la lutte contre la laïcité que l’on voit croître dans les institutions internationales peuvent être perçus comme le résultat de la peur de la modernité et de la liberté.
Le terrorisme d’inspiration religieuse est une forme de guerre psychologique qui utilise la peur comme une fin en soi et comme un moyen de répandre et imposer certains préceptes religieux en effrayant les dirigeants et leurs communautés s’ils ne s’y soumettent pas. L’un des objectifs de l’attentat contre l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo, par exemple, était de terroriser les dessinateurs à travers le monde afin qu’ils n’osent plus faire de caricatures sur la religion.
Les crimes d’honneur, les châtiments pour blasphème et pour critique de la religion, les punitions et peines capitales pour apostasie en sont les preuves les plus visibles et tangible.
La crainte de ces sous-groupes extrêmes quant à l’évolution va souvent de pair avec la peur des autres religions. La montée de la christianophobie (peur du christianisme), de l’islamophobie (peur de l’islam) et de l’antisémitisme (haine des juifs) ainsi que la croissance exponentielle de la haine envers les athées, les libres penseurs et les humanistes laïque dans le monde résultent souvent de peurs infondées, dans ces milieux ultra-conservateurs et obscurantistes.
Ce ne sont pas les seules phobies que nous observons dans les cercles religieux ultra-conservateurs : l’éleuthérophobie (peur de la liberté), l’épistémophobie (peur du savoir), la prosophobie (peur du progrès), la peccatophobie (peur du péché), la néophobie (peur de tout ce qui est nouveau) ou encore la chérophobie (peur du bonheur) sont autant de peurs qui surgissent souvent dans les communautés religieuses radicalisées.
Savoir pour progresser
Doit-on se méfier de ces sentiments de peur grandissants aux effets parfois violents ? Faut-il craindre le basculement vers la polarisation, la radicalisation et l’extrémisme ? Naturellement, nous craignons les conséquences hostiles et violentes de telles peurs, mais de préférence pas au point de se figer ou de fuir ces réalités. La meilleure arme contre la peur de l’inconnu est et reste la connaissance, la raison, le libre examen et la science, la réflexion et l’esprit critique, le rationalisme et l’intelligence. Il s’agit concrètement de se remettre en question, d’essayer de formuler des réponses, des contre-discours, de vérifier les faits et d’analyser afin d’éclairer l’obscurantisme.
La manière la plus rationnelle de faire face à une explosion de haine et de radicalisation consiste à examiner les idéologies extrêmes, les analyser et les déchiffrer une par une afin de passer de ces visions existentielles anxiogènes à des visions plus raisonnées et rationnelles de la vie, fondées sur la compréhension empathique, et de convertir la peur en confiance en soi, en connaissance et en expertise. Tout en essayant de rassembler ce qui est éparse et divisé, en privilégiant le dialogue et la coexistence constructive. Comme le disait Marie Curie : « Dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre. »
- Cet article est le fruit d’une adaptation en français de « Een bank vooruit – Leerkrachten niet-confessionele zedenleer over hun vak » récemment publié dans deMens.nu Magazine (11e année, no 2, avril-mai-juin 2022). Il est publié ici avec l’aimable autorisation de deMens.nu.
Gérer ses peurs :
un apprentissage dès le plus jeune âge
Professeure depuis dix-sept ans, Ny Wille donne des cours de morale non confessionnelle à l’école primaire municipale des sports d’Heusden (près de Gand) et à l’école primaire municipale De Windwijzer de Kalken (entre Wetteren et Lokeren). Parmi tous les sujets abordés, elle amène ses élèves de la première à la sixième à réfléchir à leurs peurs et à l’avenir.
L’anxiété existe à plusieurs degrés et sous diverses formes : peur des gens, y compris de vous-même, des animaux, des lieux, des sentiments, de ce que les gens disent (de vous ou des autres), de ce que vous vous dites, de ce que vous voulez croire, de ce que vous voyez et entendez dans les médias et sur les réseaux sociaux, peur de l’école, des amis ou de la famille… Des situations inconnues et reconnaissables peuvent générer la peur ou alors il peut s’agir de pensées voire de délires.
Ny Wille, professeure de morale.
Les jeunes de première et de deuxième année sont initiés aux soucis quotidiens, petits et grands, sur la base d’histoires originales et illustrées, avec Roel comme personnage principal. La poupée Roel, que j’ai fabriquée moi-même, suit également chaque leçon. Nous partons de situations reconnaissables, nouvelles et étranges pour examiner et discuter des pensées, des comportements et des sentiments.
Raconter à partir de leurs propres expériences et réflexions, agir et jouer un rôle signifie que les enfants recherchent de manière ludique si la peur est justifiée et si elle peut être évitée ou résolue par la connaissance et la science. Chaque leçon est agrémentée d’une chanson, d’une poésie ou d’une danse appropriée. Cela rend les cours gais et joyeux, même si la « peur » en fait parfois partie.
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