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N’ayez pas peur,
le CAL n’est pas en crise

Jean Leclercq · Professeur ordinaire à l’UCL et membre de l’Académie royale de Belgique

Mise en ligne le 7 août 2025

On se souvient, trois fois hélas, de cette triste et sinistre chronique de l’abbé de Beukelaer, parue dans La Libre Belgique du 9 juillet 2024. Le chanoine avait usé de la métaphore du « chien berger » pour évoquer l’action du CAL. Mais il ajoutait aussitôt que ce chien était « enragé » et mordait « ceux qu’il est censé protéger », au point de nécessiter « un vaccin » ! Un niveau inouï, d’une rare et violente agressivité, fut franchi, révélant une posture de défiance et de haine crasse, émanant d’une certaine frange du catholicisme belge.

Photo © DR

Un an plus tard, le schéma vient de se répéter, dans un contexte certes différent et moins brutal – car nettement plus intelligent –, mais méritant toutefois une première analyse. D’autant que c’est la parution d’un livre, La laïcité organisée en Belgique francophone. Un culte pas comme les autres de David Koussens (ÉUB, 2025), qui a servi de prétexte à des propos très engagés. Chose insolite, mais inquiétante, c’est un professeur, très respecté pour ses recherches, qui a fait l’objet d’une forme de récupération, voire d’instrumentalisation, de ses travaux académiques, eux-mêmes situés et engagés dans leur formulation, mais étrangement détournés de leurs missions premières.

Un ouvrage prétexte à une vague médiatique ciblée

Ici, l’agence CathoBel et son directeur de rédaction Vincent Delcorps ont joué un rôle majeur. Ce sont leurs propos que l’on va analyser, même s’il faudrait aussi commenter d’autres moments médiatiques de cette séquence. Je pense premièrement à l’entretien en ligne entre David Koussens et Caroline Sägesser, pour la revue Politique, où sont avancées les thèses suivantes : la construction du CAL se serait faite par mimétisme à l’égard des cultes, et le catholicisme serait son « meilleur ennemi ». Avec, au passage, une prophétie insolite de Caroline Sägesser sur l’éventuel bienfait d’avoir un « pape réactionnaire après François pour ranimer les convictions des laïques ». On verra ce qu’il adviendra !

Je songe également à l’entretien donné à La Libre Belgique le 22 mars 2025 par David Koussens, avec ce titre spectaculaire : « En Belgique, la laïcité vit une crise existentielle insoluble ». Il y thématise, bien que cette thèse soit dépassée, sa description d’une laïcité « bicéphale », qui serait « politique » et « philosophique », avec pour effet de voir le CAL rompre avec une « conception “universelle” de la laïcité ». Il réitère aussi sa vision d’un mouvement construit en « jeu de miroirs avec les cultes traditionnels », passant toutefois d’une « assistance morale généraliste » à une nouvelle « offre de services très diversifiés sur une grande variété de thématiques sociales, culturelles, éducatives ». Une métamorphose, selon lui, d’un mouvement qui « se moule dans les habits du culte », pour « bénéficier du régime de financement, tout en prônant la séparation des Églises et de l’État ».

Une critique qui manque sa cible

Je me concentrerai ici sur les propos tenus via les outils de communication de CathoBel, pour d’abord mettre en évidence l’éditorial du journal Dimanche du 6 avril 2025 : « Une ambiguïté à la belge ». Vincent Delcorps avance l’hypothèse que la « structuration » de la « laïcité organisée » se ferait pour « apporter un soutien moral (spirituel ?) aux personnes ne se reconnaissant dans aucune religion ». Mais il note d’emblée : « Une ambiguïté dans l’œuf », puisque « sous la bannière de la “laïcité”, se sont retrouvés celles et ceux qui souhaitaient combattre la place du christianisme dans la société ». Le ton guerrier est donné !

Sont ensuite reprochées au CAL une forme de supériorité mal placée (en fait une compréhension erronée de la notion de « principe » laïque) et une propension à l’ingérence politique, alors qu’il « n’est sans doute finalement qu’une conviction parmi d’autres ». Le même directeur, le 28 mars 2025, cette fois sur le site de CathoBel, déplorait déjà qu’il n’y ait pas de rapport annuel quant au nombre de participants aux « rituels » laïques, tout en prenant bien soin de dire que « la laïcité est confrontée à une perte d’intérêt pour ses activités ». Tels seraient, selon lui, les « subterfuges du CAL » qui, dit-il en prenant appui sur sa lecture de David Koussens, font que « certaines régionales assimilent n’importe quel rituel non religieux à un rituel laïque […] amalgamant toutes celles qui n’ont pas été organisées avec le concours d’associations laïques ».

Avant la tempête de critiques venues d’une certaine frange du catholicisme belge, Véronique De Keyser, présidente du CAL et directrice éditoriale de l’ouvrage collectif « Affirmer la laïcité en Belgique au XXIe siècle », a débattu sereinement avec David Koussens à la Foire du livre de Bruxelles début 2025.

© Sandra Evrard

Une vision faussée de la sécularisation

On est évidemment bouleversé par cette lecture binaire réduisant le CAL à une entité anticléricale, surtout envers les catholiques, mais en perte de vitesse puisque « l’adversaire face auquel on s’est construit a perdu autant de sa puissance ». Tel serait l’état de cette « religion sans Dieu », marquée par la sécularisation, entrée dans une puissante « crise d’identité » et de « définition », voire une perte de sens. Cette compréhension du mouvement laïque frappe par sa grande partialité et sa volonté de réduire son action à une sorte d’obsession compulsive contre une religion et, singulièrement, contre tout propos du pape considéré comme du « pain bénit ».

Un regard réducteur et partiel

Mais pourquoi donc cette vision acariâtre et cette tendance à laisser croire que le CAL se réduirait à une armée de petits athées, anticléricaux et bouffeurs de curés ? Et d’où vient cette envie d’à la fois vouloir compter de prétendus membres, en s’immisçant dans des processus de gestion interne, et d’annoncer simultanément urbi et orbi la déliquescence du mouvement, sécularisation aidant ? Cette hypothèse est d’ailleurs étrange : selon cette lecture, la « sécularisation » (jamais définie cependant) aurait un temps permis « l’émancipation de la laïcité », mais, alors qu’elle aurait affecté considérablement le catholicisme, elle serait aujourd’hui à l’origine de la désaffection des laïques, en raison de l’effacement de leur principal opposant.

Outre que le lien de causalité entre la sécularisation et l’état de la « laïcité » n’est jamais démontré, on rappellera qu’une société n’a pas besoin d’être sécularisée – voire « désenchantée » – pour être laïque ! Dès lors, cette présentation semble infondée, tant rien ne prouve que notre société soit aussi sécularisée qu’on veut bien le dire ; mais elle est également biaisée par un réductionnisme arbitraire, manquant ce qu’il y a de plus intéressant dans un système politique organisant le financement des « cultes ». En effet, cela montre qu’ici l’État prend acte que le critère de l’utilité sociale ne relève pas que des formes de la structure et de l’identité religieuses et cultuelles, mais aussi, par exemple, d’une requête humaniste libre exaministe. Voilà pourquoi il est regrettable de confondre l’acte de la reconnaissance et celui des diverses entités bénéficiaires d’un financement public dont il n’est aucun sens de vouloir les mettre sur un même « pied d’égalité » !

Ceci n’est pas un culte.

© Sandra Evrard

Une caricature aux lourdes conséquences

Ces propos ne sont pas à l’avantage de ceux qui les avancent, tant sur le plan d’une compréhension théorique d’un système de financement que sur celui des réalités objectives. Surtout qu’il est dit que l’« assistance morale généraliste » se serait redéfinie comme une « assistance morale spécialisée », pour faire un joli coup de poker destiné à faire tomber l’argent dans le jackpot de laïques ayant organisé une sorte de «rebranding » pour, comme le dit David Koussens, « afficher un progressisme et se distinguer de l’Église catholique, qui apparaît comme plus conservatrice sur certains de ces sujets ».

Cette vision réductrice est décevante et surtout dommageable. Elle donne une représentation affairiste d’un mouvement qui aurait ainsi sauté sur un créneau porteur, dans la lutte pour les parts de marché des « entreprises de sens », pour prétendument « réenchanter la laïcité » ! Voilà qui est bien trompeur, surtout quand on connaît la clé de répartition des subsides fédéraux et leurs conséquences discriminatoires !

Deux logiques irréconciliables

Pour finir, je m’arrêterai sur le dialogue mené, toujours par le directeur de la rédaction du journal Dimanche, entre David Koussens, qui « ne s’identifie ni comme catholique ni comme laïque militant », et Louis-Léon Christians, canoniste de l’UCLouvain, qui se présente lui comme « catholique ». Cet entretien est révélateur de postures précises qui méritent qu’on s’y intéresse de très près. En effet, il est avancé que la laïcité organisée est un « culte pas comme les autres », qui refuserait de « voir la part de religieux qui est en lui » et aurait ainsi pris l’habitude de « s’aventurer sur le terrain politique, au risque de trahir certains idéaux de la laïcité ». Aucun des deux analystes ne confirme une possible « forme de tromperie » évoquée par le journaliste, cependant, le canoniste dénonce des « ambitions politiques » au sein d’un mouvement qui, dit-il, n’est pas payé pour cela ! Une analyse très contestable, tant elle oublie que le CAL est aussi un mouvement d’éducation permanente !

Le bouddhisme dans le viseur fantasmatique

L’entretien évoque aussi la reconnaissance du bouddhisme et la prétendue action de « lobbying politique » du CAL pour empêcher le projet. Quel fantasme ! Mais la séquence a provoqué, selon David Koussens, une remise en cause de « l’impartialité et de l’autonomie de l’État par rapport au religieux », tant le CAL, en interrogeant cette demande de reconnaissance comme « philosophie non confessionnelle », « dicterait le type de reconnaissance » que pourtant les bouddhistes refusent.

Louis-Léon Christians reconnaît certes que, si le Conseil de l’Europe juge qu’un État ne peut « demander l’avis d’un culte concurrent sur la reconnaissance d’un autre culte », la « laïcité peut avoir son avis ». Il a évolué en tolérant que l’on pense au CAL ! Mais il note que le fait « que l’État s’enquière expressément de cet avis pose un vrai problème juridique », arguant qu’il faudrait aussi consulter l’archevêque catholique. David Koussens estime que le CAL « redoute peut-être de voir la part de religieux qui est en lui », Louis-Léon Christians y décèle une « porosité des frontières » que le CAL ne voudrait pas voir, pour des questions de financement. Et cela, ajoute David Koussens, au risque d’« affaiblir la justification de son utilité sociale ».

Défendre la laïcité, au-delà des caricatures

Finalement, l’analyse se double d’un reproche, formulé par Louis-Léon Christians : le CAL tiendrait un discours de plus en plus revendicatif et incisif puisque, dit-il, « ce qui me met mal à l’aise dans la laïcité, c’est l’utilisation à géométrie variable de la référence au politique ». Mais il trace aussi un parallèle ahurissant avec l’islam : « On s’énerve beaucoup aujourd’hui, dans le débat public, sur l’islam politique. Les citoyens musulmans ont pourtant bien le droit d’avoir un engagement ou une parole politiques ! En fait, ce qu’on redoute, c’est une emprise, une imposition, une domination politique. »

À la lumière de ces propos – où un certain monde catholique se comporte comme le ventriloque d’autres cultes –, comment ne pas percevoir de la rancœur et de l’hostilité envers le CAL ? Elles semblent hélas construites sur des hypothèses militantes, plus assertives que réflexives, déconnectées de la réalité et tellement fantasmatiques. Espérons des jours meilleurs, au nom de la liberté de penser !

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