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Le management
à l’épreuve de l’Histoire
Benoît Van der Meerschen · Secrétaire général du Centre d’Action Laïque
Mise en ligne le 20 octobre 2025
– Le bon côté, c’est que tu es libre d’employer la stratégie de ton choix pour atteindre les objectifs de ta mission. Avec de la flexibilité, tu maximiseras tes performances.
– Et il m’a dit que ce qu’il aimait chez moi, c’est que je donnais du rendement sans me plaindre de la difficulté de la tâche. Jean-Yves et un bon patron. Pourquoi j’éprouve un malaise ? »
En 2020, Johann Chapoutot a publié un – petit opuscule intitulé « Libres d’obéir » dont le sous-titre, intrigant, est « Le management, du nazisme à aujourd’hui ». Une juxtaposition entre management et nazisme qui avait frappé, voire parfois pu choquer, mais qui constitue aussi une étape du véritable travail de fond auquel l’historien Chapoutot se livre depuis bon nombre d’années. Interpellé par l’ouvrage, le dessinateur Philippe Girard s’en est emparé et lui a donné une seconde vie sous la forme d’une bande dessinée.
Sommes-nous pour autant prémunis par l’histoire ? C’est un peu la question que pose à nouveau Chapoutot. Les démocraties sont toujours fragiles. Commentant récemment le dernier livre de Chapoutot Les irresponsables dans lequel il évoque La République de Weimar comme un modèle « d’histoire et d’espoir », Véronique De Keyser, présidente du CAL, relève que « la République de Weimar n’est pas tombée devant des chocs. [Cette chute] est le fruit de l’irresponsabilité politique de dirigeants centristes qui ont cru, en s’alliant à l’extrême droite, éviter leur propre chute. Les ennemis les plus dangereux viennent toujours de l’intérieur. C’est aussi de l’intérieur que les combats pour la démocratie se jouent ». C’est cela qu’en réalité Chapoutot et Girard mettent en évidence dans leur bande dessinée comme l’idée que toutes les dictatures se ressemblent et, malheureusement, peuvent compter sur les mêmes appuis.
Ici, ils rappellent que ni le fascisme ni le nazisme n’étaient pas opposés au marché ou au patronat, bien au contraire. Ils avaient en effet compris le parti considérable qu’il y avait moyen de tirer de la peur panique de la bourgeoisie devant les menaces croissantes d’un prolétariat revendicateur. Le nazisme pouvait alors exhiber ses patrons, ses bourgeois, certes restreints dans leurs décisions et leurs privilèges, mais assurés de dividendes stables, préférant à tout risque de déclassement une mise entre parenthèses de l’État de droit tant que cela ne les concernait pas.
Mieux, comme l’expliquent les auteurs, les nazis apparurent même de plus en plus comme les sauveurs de l’ordre social traditionnel, car, dans aucun des pays où l’ont emporté des forces d’extrême droite, et où ils ont pu bâtir des dictatures, les structures n’ont été bouleversées. En effet, les extrêmes droites consolident et accentuent toujours les hiérarchies tout en se profilant en même temps comme la promesse d’un ordre nouveau dont la BD décrit la « géométrie ».
Lecture salutaire donc que celle de cette BD, car, aujourd’hui, dans le monde tel qu’il va, on peut malheureusement s’interroger sur l’identité des possibles marches-pieds d’une extrême droite déjà aux manettes dans certains pays ou qui arriverait au pouvoir pas si loin de chez nous. La similitude entre certains sujets traités dans la BD (« En finir avec l’État »), ou certaines formules que l’on peut lire dans la bande dessinée (« Fuck les scrupules bureaucratiques ») entrent d’ailleurs particulièrement en résonance avec des discours politiques rabâchés par bon nombre d’hommes et de femmes politiques dans le monde. Un monde qui ressemble, de plus en plus, à cette « arène » mentionnée dans la BD dans lequel seule force semble devoir régler les conflits au détriment de la diplomatie ou du droit international dont « les jours (semblent) comptés ».
Les temps sont ce que nous en ferons, mais évitons déjà de démontrer que le programme de l’extrême droite est soluble dans les idées de partis démocratiques. Tout le monde y gagnerait.
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