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IVG : accompagner
celles qui n’ont
plus d’autre choix

Anton Van Dyck · Coordinateur du projet Compagnon à deMens.nu

Avec la rédaction

Mise en ligne le 7 août 2025

La Belgique aime se présenter comme un pays attaché aux droits humains, à l’autonomie et à l’accès aux soins. Mais en matière d’avortement, la réalité est bien moins progressiste. La loi impose encore délais stricts, justifications morales et silences forcés. Certaines femmes se retrouvent contraintes de partir à l’étranger – notamment aux Pays-Bas – pour accéder à un droit pourtant fondamental : celui d’interrompre une grossesse de façon sûre et digne. Tandis que dans d’autres pays voisins, l’IVG est considérée comme un soin de santé à part entière, ici, elle reste trop souvent enveloppée de honte.

Photo © Antonio Guillem/Shutterstock

La Belgique aime se présenter comme un pays attaché aux droits humains, à l’autonomie et à l’accès aux soins. Mais en matière d’avortement, la réalité est bien moins progressiste. La loi impose encore délais stricts, justifications morales et silences forcés. Certaines femmes se retrouvent contraintes de partir à l’étranger – notamment aux Pays-Bas – pour accéder à un droit pourtant fondamental : celui d’interrompre une grossesse de façon sûre et digne. Tandis que dans d’autres pays voisins, l’IVG est considérée comme un soin de santé à part entière, ici, elle reste trop souvent enveloppée de honte.

Une loi qui punit même quand elle autorise

Le cadre actuel est saturé de méfiance. Les femmes doivent attendre six jours après avoir pris leur décision. Comme si leur choix était forcément suspect. Comme si elles n’y avaient pas déjà mûrement pensé. Comme si la société voulait leur imposer un dernier doute. Cette période de réflexion contrainte par la loi n’est en réalité qu’un temps de honte légalisé.

Au-delà de douze semaines de grossesse, on retombe sous le coup du Code pénal. Certes, il existe des exceptions pour raisons médicales. Mais celles qui, à cause de la précarité, de violences conjugales, de la migration, de la méconnaissance ou d’un simple accident, découvrent leur grossesse tardivement sont livrées à elles-mêmes. Elles doivent se rendre aux Pays-Bas à leurs frais, sans accompagnement médical ou social, que ce soit avant ou après l’intervention. Celles qui ne le peuvent pas doivent se débrouiller seules. Par cette rigidité politique, des centaines de femmes chaque année se retrouvent en difficulté. Pourquoi faire payer ce prix à des personnes déjà fragilisées ? Dans cette situation, il n’y a pas de gagnants, sauf ceux qui utilisent ce dossier comme une monnaie d’échange dans les négociations politiques.

Qui bloque la réforme ?

En 2020, une occasion de progrès paraissait se dessiner. Un projet de loi était prêt au Parlement : la limite serait fixée à dix-huit semaines, la période de réflexion obligatoire supprimée, la dépénalisation approfondie. Une majorité semblait se constituer, portée par la liberté de vote parlementaire, mais les partis conservateurs ont menacé de bloquer la formation du gouvernement. L’avortement est devenu un enjeu de marchandage politique dans les négociations de la coalition Vivaldi. Les droits reproductifs ont été sacrifiés pour préserver une « paix » politique. L’Arizona a réitéré cette manœuvre.

Depuis, ce dossier est soigneusement mis au frigo. On réclame des études supplémentaires, on pose des questions, on ralentit les procédures : tout est fait pour étouffer le débat. L’énergie investie pour maintenir cette inertie est impressionnante. On ne tente même plus d’ouvrir une vraie discussion. Le dernier rapport était pourtant limpide : les revendications des soignant.e.s, exprimées depuis deux générations parlementaires, sont justifiées. En tant que défenseur des droits humains, on finit par se demander combien de fois il faut répéter la même chose pour être enfin entendu. La réponse est simple et cynique : si l’autre camp refuse d’écouter, le message ne passera jamais.

Grâce au projet Compagnon, les femmes qui doivent se rendre aux Pays-Bas pour interrompre leur grossesse au-delà de 12 semaines ne sont pas être livrées à elles-mêmes dans ce parcours difficile.

© Serhat Kinay/Shutterstock

Au-delà des kilomètres

Mis en place par deMens.nu, le projet Compagnon constitue un moyen de garder la flamme, de continuer le combat sur de nouveaux fronts, avec des méthodes inédites. C’est une manière de maintenir la pression tout en limitant les dégâts causés par ce refus politique. Parce que des femmes se retrouvent perdues dans un système délibérément et inutilement compliqué, leur apporter une aide ici et maintenant est la priorité absolue. Depuis l’an dernier, le projet Compagnon propose transport et accompagnement à celles qui se trouvent dans l’incapacité de se rendre seules aux Pays-Bas pour leur interruption de grossesse. L’accompagnement se fait sans jugement, sans questions (hormis pour l’organisation pratique) et en toute discrétion.

Aujourd’hui, une antenne de Compagnon est active dans chaque province de Flandre et à Bruxelles, avec pour ambition une couverture prochaine de toute la Wallonie. Chaque semaine, des demandes d’aide sont traitées, et toutes les passagères ont toujours pu être soutenues. L’objectif demeure toutefois de rendre ce soutien inutile. Pour y parvenir, un mouvement est en construction, présent sur tout le territoire. Les conducteurs et conductrices portent le nom de « compagnon.ne.s », mais en être signifie aussi s’engager dans la lutte politique pour un cadre légal amélioré. Car il n’est plus possible de patienter en attendant la clémence politique. Les droits ne se négocient pas, ils doivent être arrachés. Et si le Parlement ne les défend pas, la société civile continuera d’agir et de faire pression pour que toutes les femmes belges aient accès à un avortement sûr en Belgique, sans devoir fuir aux Pays-Bas.

Bien plus qu’un aller-retour

Sarah et Marnix accompagnent des femmes enceintes de plus de douze semaines jusqu’aux Pays-Bas, là où l’interruption volontaire de grossesse reste possible. Les deux racontent ce que représente ce bénévolat : les raisons qui les ont poussé.e.s à s’engager, les défis rencontrés en chemin et l’intense dimension humaine de ces moments partagés – bien au-delà du simple rôle de conductrice ou conducteur.

Propos recueillis par Jérémy Celen · Délégué « Étude & Recherche » à deMens.nu

Avec la rédaction1

Sarah, pourquoi avez-vous décidé de vous engager dans ce projet ?

J’ai lu un article dans De Standaard à propos de Compagnon, et j’ai tout de suite su que je souhaitais en faire partie. Il y a cinquante ans, j’ai vécu une grossesse non désirée. J’étais complètement seule. J’ai dû tout organiser moi-même et j’ai pris le train dans les deux sens, sans en parler à personne. C’est pourquoi je veux aujourd’hui être là pour les autres.

Comment cela se passe-t-il concrètement ?

Les demandes arrivent par le biais des centres d’avortement de Luna ASBL. Là, les personnes sont accompagnées, et toutes les options sont examinées. Si un déplacement aux Pays-Bas s’avère nécessaire, nous sommes contacté.e.s. On m’envoie ensuite le prénom et le numéro de téléphone de la personne concernée, et je l’appelle pour fixer un lieu et une heure de rendez-vous. Puis je vais la chercher et l’accompagne à la clinique aux Pays-Bas. Je reste sur place pendant l’intervention, puis je la ramène chez elle.

Qu’est-ce que vous espérez apporter à travers ce bénévolat ?

Un avortement n’est jamais une décision prise à la légère. C’est une expérience intense, physiquement et émotionnellement. Il est donc essentiel que la personne soit bien entourée. La conduire peut sembler simple, mais c’est loin d’être anodin. Pour moi aussi, cela a du sens. C’est une manière de boucler la boucle.

Cela reste compatible avec vos autres activités ?

Je suis retraitée depuis un moment, mais le mot « inactivité » n’a jamais fait partie de mon vocabulaire. Je fais du bénévolat ailleurs, je suis des cours, je fais du sport… Mais j’arrive en général à organiser mon emploi du temps pour faire au moins un trajet par mois.

Qu’auriez-vous envie de dire aux personnes qui envisageraient de devenir volontaires ?

Il faut bien sûr être en phase avec le projet, mais c’est très gratifiant. On sent qu’on est utile, qu’on peut apporter un peu de soulagement à quelqu’un. Souvent, il n’y a pas de mots. La personne est bouleversée, mais on ressent sa gratitude. Et cela me procure un sentiment de paix. Après un trajet, je suis fatiguée, mais heureuse.

***

Marnix, comment êtes-vous devenu volontaire pour le projet Compagnon ?

Le bénévolat est un peu venu à moi. Je connais Anton Van Dyck, l’un des fondateurs, et j’ai vu passer un appel à volontaires. J’y ai répondu spontanément. Je lui fais confiance, et au projet aussi. J’avais déjà une certaine expérience du bénévolat, et j’étais à la recherche d’une manière de m’engager.

Est-ce compatible avec votre vie professionnelle ?

Je suis indépendant, donc j’ai pas mal de flexibilité – sauf pendant les périodes de deadline, évidemment. Je n’ai pas le temps de monter un projet de A à Z, mais je peux facilement me rendre disponible pour contribuer à une initiative existante. Je travaille souvent le week-end, ce qui me laisse parfois des jours libres en semaine. C’est une question d’organisation, mais si j’ai assez de temps et qu’un appel est lancé, j’essaie d’être disponible.

Comment s’est passée votre première expérience ?

J’ai accompagné une personne jusqu’à présent. Et c’était beaucoup plus éprouvant que je ne l’avais imaginé. Nous sommes partis à 5 h du matin et rentrés vers 18 h-19 h. J’ai eu besoin d’un moment pour assimiler tout ce que j’avais vécu. On est censé « simplement » conduire, mais en réalité, on s’implique davantage. On essaie de rester neutre, mais on est touché, on veut que tout se passe bien. On entre dans l’intimité de l’autre. Et il est alors essentiel de se demander : quelle posture adopter ? Quelle proximité, quels mots, quels gestes ? Il y a beaucoup de tension, beaucoup de tristesse dans la voiture. Il faut être capable de l’accueillir.

Qu’est-ce que ce bénévolat vous apporte ?

C’est ma manière de contribuer à une société plus humaine. Le projet repose entièrement sur la solidarité. Et je me sens utile. J’aime aussi la discrétion de ce rôle. Aujourd’hui, les droits humains ne vont plus de soi. Même les droits des femmes sont remis en cause. Le caractère discret de cette mission est en soi une réponse. C’est ainsi que je refuse de rester simple spectateur.

  1. Cet article est une version traduite de « Vrijwilligers bij Compagnon », paru dans deMens.nu Magazine, vol. 14e, no 2, mis en ligne le 9 avril 2025. Il est publié ici avec l’autorisation de deMens.nu.

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