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En IPPJ, une jeunesse
en quête d’identité

Nolan Masure · Doctorant en sociologie et conseiller laïque en IPPJ

Mise en ligne le 21 mai 2025

Règlements de compte, violences multiples, insécurité… une partie de la jeunesse semble en rupture avec la société. En institutions de protection de la jeunesse (IPPJ), ces personnes doivent reconstruire leur identité dans un cadre contraignant, où elles développent de nouvelles stratégies d’adaptation et d’appartenance. Que révèle alors cette violence sur une jeunesse en quête d’identité ?

Photo © Mental Mind/Shutterstock

Imaginez. La société est un théâtre, avec sa représentation scénique, ses actrices et acteurs, son décor et son public. Chacun.e joue un rôle défini lors des interactions sociales qu’iel entretient avec les autres. Les décors évoluent à mesure que les situations rencontrées le demandent. En dehors de la scène, on change de comportement, les masques tombent partiellement. Mais qui sommes-nous : le.a comédien.ne ou la personne en coulisse ? C’est comme cela qu’Erving Goffman, sociologue du XXe siècle, définit l’identité1. Il imagine que chaque rapport social suppose l’utilisation de rôles prédéterminés et attendus par notre interlocuteur.rice. L’identité devient dynamique : nous n’agissons et ne sommes pas les mêmes personnes selon que l’on est au boulot, au magasin ou chez soi. L’usage des réseaux sociaux est un exemple parmi d’autres : nous mettons en avant nos photos triées, parfois retouchées, illustrant une histoire que nous décidons de raconter sur nous-mêmes. Ça n’en reste pas moins un masque, un rôle joué dans un espace donné.

Maintenant, imaginons que lors de ces mises en scène, un caractère spécifique nous discrédite, nous écarte de notre rôle : il peut être physique, comportemental ou encore d’appartenance à une culture. C’est ce que l’on appelle le « stigmate ». Il affecte notre identité sociale, à la fois par le regard des autres et par celui que l’on porte sur nous-mêmes. Par exemple, un.e adolescent.e arrivant dans une école prestigieuse mais venant d’un milieu modeste pourrait s’adapter en invisibilisant ses origines sociales. Mais iel pourrait aussi les assumer et être accepté.e ou, hélas, discrédité.e. Mais alors, quel poids peuvent avoir l’ensemble de ces stigmates sur la vie d’un.e adolescent.e ? Nous allons nous intéresser plus particulièrement à ces jeunes qui, par leurs trajectoires de vie, sont privés de liberté.

La vie en institution

Il existe cinq IPPJ en Belgique francophone. Les missions de ces institutions sont multiples, mais œuvrent principalement à la réintégration du mineur au sein de la société, avec un projet défini. Les jeunes y sont placés de deux semaines à plusieurs mois, voire années. De plus, on distingue deux régimes : l’un ouvert, où les individus peuvent sortir plus librement, et l’autre fermé, plus sécuritaire. Les jeunes y sont introduits selon la gravité et la récidive des faits. Si le fonctionnement des IPPJ n’était pas déjà assez compliqué, il faut ajouter à tout cela que chaque instituts possède son identité propre, avec plusieurs sections (de dix jeunes en moyenne) aux finalités différentes. Rien que dans l’IPPJ de Wauthier-Braine, on compte cinq sections, dont une en régime fermé.

Chacune poursuit un objectif éducatif spécifique. Comprendre ces institutions est déjà complexe pour un adulte, alors imaginez pour un.e adolescent.e. Quand le jeune arrive au sein de la structure, une première rupture s’effectue : il est gardé le temps d’une journée en dehors du groupe pour apprendre les règles, accepter le placement et rencontrer différent.e.s intervenant.e.s. Après, il rejoint son groupe de section. Les premiers jours de l’adolescent sont silencieux, observateurs. C’est un environnement particulier, avec des groupes déjà bien installés. Il faut réapprendre les normes : comment se comporter, appréhender un nouveau rôle ; et en IPPJ, se faire une place est difficile. Alors les autres jeunes observent à leur tour, et très vite, la question sera posée par l’un d’eux : « D’où tu viens ? »

Cette question est centrale : l’appartenance à un quartier ou à une région de Belgique est très importante dans les dynamiques de groupe. Pour Bruxelles, une petite guerre de prestige peut se lancer : « Mon quartier est le plus chaud », « Le tien, c’est plus trop ça », « Ah ouais, ça bouge là-bas ». Les jeunes parlent avec fierté de leur quartier, vantant les exploits des « grands », par exemple. Parfois, certains se rendent compte qu’ils ont des lieux de vie communs : c’est parti pour comparer les connaissances, créer des liens via autrui. Un réseau, presque clandestin, se forme alors en marge de l’institution et, de temps en temps, même en dehors. Ainsi, ce réseau a déjà mené certains jeunes à commettre des faits en week-end, avec une nouvelle bande « made in IPPJ ». Bien sûr, la culture et l’origine des jeunes jouent un rôle dans la composition des groupes en institution. Mais elle est souvent liée à l’appartenance à un quartier ou à une région de Belgique, qui prédomine presque toujours.

Diversité et évolution du pluralisme religieux à Bruxelles

Jusqu’ici, les profils de ces jeunes sont déjà complexes et multiples. Mais nous ne nous sommes intéressés qu’à une partie d’entre eux : ceux qui ont commis des vols – pour la plupart, ont vendu des drogues – parfois avec violence, plus rarement ont été impliqués dans des séquestrations ou des règlements de compte. À côté de cela, deux catégories de personnes placées peuvent encore être distinguées.

Premièrement, les jeunes ayant commis des faits de mœurs. Ceux-ci devront utiliser des stratégies d’adaptation pour ne pas dévoiler leurs agissements passés. Malgré l’interdiction de mentionner ces faits en IPPJ, il arrive toujours un moment où l’on en parle, par pression du groupe. Hélas, ces jeunes sont particulièrement exposés à la violence et à l’exclusion de la part des autres. Ils doivent alors masquer la nature de leurs faits, créer une histoire crédible qui les mettra en sécurité.

Deuxième catégorie, les jeunes qui, par leurs troubles psychologiques, ont commis des infractions (souvent avec violence). L’accompagnement proposé en IPPJ n’est pas adapté à leur problématique et rend difficile la vie en section (autant pour les jeunes que pour les encadrant.e.s). Il est dès lors presque inévitable de passer par une dégradation de l’image de soi.

Se construire malgré l’enfermement : en IPPJ, les jeunes doivent se réinventer dans un cadre contraint, entre ruptures, appartenances et quête d’identité.

© Mental Mind/Shutterstock

Prenons pour exemple un groupe qui, malgré les différences, accepte comme il peut une personne avec des troubles psychologiques certains. Même avec toute la bonne volonté du monde, le cheminement reste prévisible : le jeune souffrant de troubles sera souvent ramené à sa condition, pouvant conduire à des débordements et à des comportements agressifs. Les autres, en réaction, commenceront à s’impatienter devant certains agissements et parfois la clémence des encadrant.e.s, qui sera ressentie comme une forme d’impunité accordée. Mais ils se poseront surtout des questions, comme celle-ci, déjà entendue : « Mais si je suis placé avec des “fous”, c’est peut-être moi qui ne tourne pas rond. » Le piège du stigmate se referme alors sur les jeunes, dégradant l’image qu’ils se font d’eux-mêmes. Surtout sur celui souffrant déjà de troubles.

La culture du masculinisme

C’est à la mode de parler d’identité adolescente. Selon certaines personnes, il serait complexe, voire impossible, de discuter de liberté d’expression ou de certaines vérités scientifiques avec une partie de la population : principalement les adolescent.e.s d’écoles réputées comme difficiles ou sans mixité sociale ni culturelle. Soyons directement rassurants : aucun problème majeur n’est rencontré sur ces sujets au sein de l’IPPJ de Wauthier-Braine. Pourtant, nous sommes face à un public fortement marginalisé, mélangeant plusieurs croyances et cultures. Mais une fois l’écoute instaurée, le dialogue devient constructif. Mieux encore, plusieurs théories complotistes peuvent être remises en question ! Hélas, deux sujets restent délicats à appréhender : l’homosexualité et la transidentité. Les esprits s’échauffent rapidement quand il en est question et la discussion est, pour beaucoup, rompue d’emblée. La faute à une croyance, à une religion ? Le constat semble dire le contraire tant le phénomène est généralisé à tous les profils, jusqu’aux plus athées d’entre eux.

Alors comment expliquer cette violence ? L’hypothèse principale consiste à creuser du côté de la construction des identités masculines au sein des cités. La culture des quartiers appelle à une virilité forte, bien plus puissante que les croyances religieuses. Elle tend à développer une certaine forme d’entre-soi masculin, délimité dans l’espace, qui serait pour un grand nombre d’entre eux leur seule stratification sociale. La prise de risque devient la norme, et avec elle, la glorification de l’homme viril et dominant. Les questions d’homosexualité et de transidentité iraient à l’encontre de telles logiques. La violence des propos des jeunes serait alors à mettre en exergue avec la violence masculine dans laquelle ils vivent tous les jours, ne laissant pas la place au doute sur un idéal d’homme fort et viriliste. À noter que le sujet est bien moins tabou avec les personnes qui ne répondent pas à une certaine culture de la rue. À ce sujet, Pascale Jamoulle en parle avec justesse dans son livre Des hommes sur le fil2.

Alors pourquoi cette marginalité ?

Ce « virilisme identitaire » se forme en opposition à la société. Une parole d’un jeune, quand on évoquait l’homosexualité, était déconcertante à ce propos : « Mais pourquoi pour eux, on fait tout, on les voit partout ? Alors que nous, on est abandonnés, on est laissés comme des poubelles dans les rues. » Ce ressenti, bien que biaisé, est à considérer dans un contexte plus large de sentiment d’abandon, d’une marginalité imposée par la société. Pour la plupart, le choix de leur vie, de leur trajectoire, n’est pas entre leurs mains. Un certain déterminisme social les rend malades, en colère vis-à-vis de la société belge. Par conséquent, pour beaucoup, l’opposition aux normes sociales et la vie parallèle des quartiers sont une échappatoire, une porte de sortie vers l’enchantement. En 2025, aucune réponse politique concrète ne semble être apportée au mal-être de ces jeunes. Hélas, les différentes coupes budgétaires en prévision dans le domaine social risquent d’accentuer cette marginalité.

  1. Erving Goffman, Stigmate, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1975 et La présentation de soi, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1973.
  2. Pascale Jamoulle, Des hommes sur le fil. La construction de l’identité masculine en milieux précaires, Paris, La Découverte, 2008, 294 p.

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