Catherine Haxhe · Journaliste
Mise en ligne le 12 février 2025
Intersection
Ce qui nous lie
Catherine Haxhe · Journaliste
Mise en ligne le 12 février 2025
Qu’y a-t-il de plus universel que la mort ? Si elle est la seule certitude qui nous relie toutes et tous, la manière dont nous l’abordons varie profondément. En Belgique, l’euthanasie – dont le cadre légal doit encore évoluer afin de pouvoir choisir sa mort avant de perdre la conscience de soi – ouvre un espace de dialogue particulier entre patients, proches et soignants. Un droit qui ne se résume pas à une fin, et qui tisse des liens jusqu’au bout.
Le 11 décembre dernier, le Centre d’Action Laïque, représenté par sa présidente Véronique De Keyser, a été auditionné par la commission Santé et Égalité des chances de la Chambre des Représentants dans le cadre des discussions sur une proposition de loi déposée par l’Open VLD et cosignée par le PS. Cette loi visait à élargir la déclaration anticipée d’euthanasie aux personnes « devenues incapables d’exprimer leur volonté ». Une avancée essentielle pour garantir à toutes et tous un droit égal à mourir dans la dignité.
« Bien que nous soyons parmi les pays les plus avancés avec notre loi sur l’euthanasie depuis 2002, la déclaration anticipée reste très formaliste et son champ d’application est extrêmement restreint », témoigne Jacqueline Herremans, juriste, membre de la commission Euthanasie et présidente de l’Association du droit de mourir dans la dignité. « En fait, pour bénéficier d’une euthanasie, la personne doit être atteinte d’une infection grave et incurable. Sa situation doit être jugée irréversible eu égard à l’état actuel de la science. La personne doit se trouver dans une situation de coma dépassé et non pas dans celle que l’on redoute tous et toutes de se trouver, par exemple, dans un état de démence progressive. On cite la maladie d’Alzheimer, mais il y a aussi d’autres exemples qui pourraient être donnés. »
Une loi avancée, mais encore trop restrictive
L’idée serait donc d’élargir la déclaration anticipée, de pouvoir en quelque sorte la moduler et non pas simplement signer un document. Il conviendrait de préciser dans quelles circonstances, dans quel contexte chacun souhaiterait que l’euthanasie soit pratiquée par le corps médical. Aujourd’hui, la déclaration anticipée ne sera prise en compte que dans les cas d’un état végétatif ou de coma dépassé, mais pas de perte de conscience de soi-même. La question que soulèvent les spécialistes et les défenseurs d’un élargissement de la déclaration anticipée serait « mais au fond, quel est le poids d’une déclaration anticipée en cas de souffrance prospective ? ». Si je souffre de ne plus être autonome, si je souffre de ne plus reconnaître ma femme, qu’ai-je comme droit et dans quelle perspective ?
« Le médecin ne pourra tout simplement pas accéder à la demande d’un patient atteint par exemple d’une démence évolutive qui aurait fait sa déclaration, mais qui aurait perdu conscience de lui-même », poursuit Jacqueline Herremans. « Cela pousse les patients atteints d’une maladie neurodégénérative souhaitant accéder à une demande d’euthanasie à l’entreprendre de manière précipitée, par peur de perdre leur autonomie de décision. Les personnes devenues subitement démentes en l’absence de diagnostic ou à la suite d’un accident n’ont quant à elles aucun moyen d’accéder à l’euthanasie. » Cette situation, source de grande injustice et de souffrance pour ceux qui auraient souhaité fixer les conditions de leur fin de vie, appelle à une amélioration sans plus attendre de la loi de 2002.
Le renforcement de la déclaration anticipée pourrait-il améliorer le lien entre le patient, sa famille et les soignants tout en garantissant l’égalité dans l’accès à un droit fondamental : mourir dans la dignité ? Une question à laquelle ont répondu France Lemaître, Pauline Safars et Jacqueline Herremans.
© Catherine Haxhe
L’importance de l’équipe médicale
Pour France Lemaître, médecin spécialiste aux soins intensifs du CHR de Namur, éthicienne et membre du Comité consultatif en bioéthique, l’appréciation lorsque la maladie est avancée devrait être faite par l’équipe médicale et les proches. « L’équipe médicale est très importante », souligne-t-elle. « Dans ma pratique, j’ai l’impression qu’on oublie que la mort fait partie de la vie. Avec l’évolution des sciences et des techniques, les patients sont de plus en plus hyper-médicalisés, la mort est elle-même médicalisée. » Pourtant tous les praticiens l’affirment, à l’instar de France Lemaître, les patients en demande d’euthanasie sont dans la vie jusqu’au bout. C’est précisément pour cette raison qu’ils souhaitent avoir la possibilité de décider du moment de leur fin de vie tant qu’ils en sont capables.
Lors de ses consultations de fin de vie, France Lemaître se plaît à constater que les patients qui entreprennent une démarche vers l’euthanasie sont toujours dans la joie. Elle se rappelle : « La première patiente que j’ai rencontrée était une dame de 102 ans. Je me souviendrai toujours de ses mots : “Vous m’avez libérée d’un poids, je me sens légère et je retrouve la joie de vivre à l’idée que je puisse être euthanasiée”. Ces paroles étaient extraordinaires et durant les trois semaines qui ont précédé sa fin de vie, elle a pu profiter des siens, être sereine par rapport à sa décision. Il faut vivre la consultation, il faut vivre une euthanasie pour comprendre à quel point on est dans le respect du patient, de la famille et de l’entourage. C’est respectueux de la société tout entière. »
Lorsque la maladie efface peu à peu les capacités cognitives et la conscience de soi, la loi sur l’euthanasie doit offrir la possibilité de choisir une fin digne avant le stade de non-retour.
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Une mort choisie et sereine
Pauline Safars a 91 ans, mais elle en parait dix de moins. D’ailleurs, elle l’affirme avec grand plaisir, son âge l’emplit de fierté. Cela fait bien longtemps qu’elle estime qu’une vie, a fortiori la sienne, doit être libre, responsable, heureuse. Et pourquoi pas joyeuse. « Je n’imagine pas terminer dans la douleur, la première chose qui m’empêcherait de m’accrocher à la vie serait la douleur, c’est quelque chose qui n’est pas normal. Je pense que nous devons travailler pour être heureux, et rassembler nos amis autour de nous pour pouvoir terminer en beauté. J’imagine ma mort ou la préparation de ma mort comme une série de rencontres avec mes amis où je prendrai congé gentiment, agréablement, on me souhaiterait bon voyage. Encore que ce voyage, on ne le connaît pas, mais déjà je suis prête. Aujourd’hui, je n’ai pas de raison particulière de le faire, mais croyez bien qu’imaginer une vie dépendante parce que je serais impotente, c’est inconcevable. Pour moi, le simple fait d’y penser est insupportable. Je souhaite terminer comme j’ai vécu : dans la joie et la confiance. »
Pauline semble tellement occupée par la vie qu’elle n’a pas encore rempli sa déclaration anticipée, mais promet de le faire dans l’après-midi même. « Et J’espère que cette euthanasie sera réalisée dans les meilleurs délais le jour où je le voudrai, ou que mes proches trouveront mon état de démence indigne de qui je fus ! De toute façon, si j’exprime cette volonté, c’est qu’aujourd’hui, alors que j’ai encore la faculté de le faire. Aujourd’hui, je fais ce choix, je compte sur tout le monde pour le respecter, et c’est la moindre des choses qu’on respecte ma personne et ma volonté. »
Un combat personnel et collectif
Se battre pour la vie et la dignité, Pauline en sait quelque chose, elle qui fut une enfant cachée pendant la guerre. Née de parents juifs, juive elle-même, elle sait combien la vie est précieuse : « C’est notre bien, nous devons le conserver, mais dans la qualité. Je pense avoir mené une vie aussi digne que possible, aussi utile, agréable et fraternelle, et elle doit pouvoir se terminer dans les mêmes conditions. Rien n’est jamais acquis. J’ai toujours été dans l’action, j’ai même passé mon diplôme de journalisme à 40 ans. J’étais à l’université en même temps que ma fille et j’ai trouvé ça très agréable. » Aujourd’hui encore, à plus de 90 ans, Pauline met un point d’honneur à rester vive et productive, dans la mesure de ses moyens, « qui ne sont plus les mêmes qu’avant », avoue-t-elle. Autant que possible, elle aime « bouger bouger ». Le secret du bonheur selon Pauline, c’est d’être entourée de ses amies.
La loi visant à élargir la déclaration anticipée d’euthanasie aux personnes devenues incapables d’exprimer leur volonté serait une avancée importante, mais suscite un nombre d’oppositions que Jacqueline Herremans voit augmenter au même rythme que le nombre de demandes. Dans certains cas, l’opposition est très forte « soit dans le chef d’une maison de repos, soit dans le chef de proches. À ce moment-là, que faut-il faire ? Il faut dialoguer, mais ce n’est parfois n’est guère possible. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il y a encore aujourd’hui une grande incompréhension à cet égard, en ce compris au sein des maisons de repos et de soins. »
Pour celles et ceux qui déjà ne sont plus
Pour les médecins, cela pose de terribles problèmes : certains sont menacés de poursuites judiciaires. France Lemaître acquiesce : « Je pense que la peur est souvent à l’avant-plan des réticences des médecins lors de la prise en charge des patients demandeurs d’une euthanasie. Cette loi existe, elle est bien faite, sous réserve bien sûr de ce manque par rapport aux patients qui perdent leurs capacités cognitives. Nul besoin d’être soignants pour se rendre compte que personne n’a envie de se voir dégrader et végéter comme Pauline l’explique. Tout le monde a envie d’être dans la vie, dans une vie joyeuse et faite d’autonomie. J’ai pratiqué des euthanasies dans les maisons de repos en accord avec ces dernières. Mais il y a toujours la possibilité, en cas de refus, d’hospitaliser le patient pour que l’euthanasie se fasse à l’hôpital. »
En tant qu’institution, la maison de repos, sans clause de conscience institutionnelle, n’est pas tenue et en aucune façon, de réaliser une euthanasie. Elle n’a pas non plus le droit de décider qu’elle ne pourra pas se faire. Pour autant, France Lemaître remarque qu’en cas de refus de l’établissement, la sérénité du patient se voit compromise. Or cette sérénité est primordiale. Il est difficile pour le pensionnaire de devoir déménager et quitter son environnement rassurant.
À l’instant où la vie s’éteint, au moment choisi par le patient, le lien humain persiste. Un dernier souffle partagé, une dernière connexion, un ultime acte d’accompagnement.
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Une approche humaniste de la fin de vie
Jacqueline, France et Pauline parlent d’une seule voix lorsque l’on évoque la communication. Elle est essentielle entre toutes les parties, insistent-elles, patients, famille, soignants des maison de repos et des hôpitaux. Pauline a d’ailleurs déjà évoqué l’euthanasie avec sa famille. Sujet difficile ou pas, peu importe pour elle, il faut oser exprimer ses souhaits : « J’en ai parlé avec mes proches, mais dans cette circonstance, la décision est totalement personnelle, c’est moi qui choisis quand, comment, et ma famille est absolument d’accord de suivre ma décision. Il y a une chose qui est très importante, c’est de pouvoir mourir dans la dignité. »
Élargir le champ d’application de la déclaration anticipée d’euthanasie permettrait à chaque individu de préciser, tant qu’il en est encore capable, les conditions dans lesquelles il souhaite voir appliquer cet ultime acte de soin qu’est l’euthanasie.
Libres, ensemble · 19 janvier 2025
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