Libres, ensemble
Celebrationem
Vincere Tenebras
Propos recueillis par Mehdi Toukabri · Journaliste
Mise en ligne le 20 novembre 2025
Il est encore tôt dans la journée pour en perdre son latin, mais un petit rappel ne fait jamais de tort. On vous propose ici, en version française, de « vaincre les ténèbres par la fête ». L’édition 2025 de la Saint-Verhaegen, fête dédiée à la fondation des universités libres de Bruxelles (ULB et VUB) le 20 novembre, est cette année placée sous l’égide de la lutte contre le fascisme. Le slogan « Silence complice, fascisme en marche. Kijk niet weg, heb een zeg »1 choisi par l’Association des cercles étudiants (ACE) et par son homologue flamand la Brussels Studentengenootschap (BSG) démontre la volonté des étudiants, préoccupés par la montée du fascisme, de ne plus se taire et de faire du bruit autour de cette thématique. Le tout dans un cadre bienveillant et festif. Nous avons donné la parole à Carlos Queiros, étudiant en master 2 de Sciences politiques à l’ULB et président de l’ACE.
Photo © Gaspard Wastiaux
Pourquoi avoir choisi un tel slogan ?
Récemment, beaucoup de cercles étudiants sont très inquiets de la montée du fascisme un peu partout dans le monde, en Europe, mais aussi en Belgique. Cela fait plusieurs années que la thématique fait débat. Cette année, malgré énormément de discussions, c’était unanime. Il y avait vraiment cette volonté de montrer via notre slogan qu’on n’a plus envie de se taire, qu’on a envie de faire du bruit et de lutter contre le fascisme.
La Belgique francophone est dotée d’un cordon sanitaire politique et médiatique. Pourtant, vous soutenez la thèse de la lutte contre le fascisme et de la lutte contre l’extrême droite. Pourquoi est-ce important en tant qu’étudiant ?
On constate dans les médias que, de plus en plus, l’extrême droite fait son nid. Et ce, malgré l’existence des cordons sanitaires médiatiques qui existent. Aujourd’hui, des propos choquants sont plus que jamais audibles. Cela nous inquiète, parce qu’il y a une banalisation des thèses fascistes, et cela change totalement le cadre des discussions. Depuis quelques années, on entend beaucoup plus parler d’immigration, d’insécurité, alors que les thématiques concernant l’environnement, par exemple, ont tout bonnement disparu. C’est important, en tant qu’étudiant de l’ULB et en tant que libre-exaministe, de défendre des valeurs de liberté, d’ouverture, de prise en considération de toutes les parties. On a encore l’énergie et la fougue de la jeunesse, comme on dit, donc c’est pour cela qu’il faut, lors d’occasion comme la Saint-V, crier tout haut ce que l’on pense : le fascisme doit être combattu.
Du haut de ses 25 ans, Carlos Queiros, président de l’ACE estime que la Saint-Verhaegen doit être un jour de détente, mais également de lutte contre le fascisme.
© Mehdi Toukabri
Comment faites-vous rimer libre examen et antifascisme ?
Cela passe de très nombreuses discussions, de remises en question des cercles étudiants de l’ULB, notamment au cours des dernières années. Par exemple, si je prends le thème de la Saint-V de l’année dernière – le respect des conventions de Genève –, c’est un sujet profondément libre-exaministe. Le thème de l’année 2023 – le droit à l’avortement – l’est tout autant. Donc, la trame des thématiques des précédentes éditions s’inscrivait déjà dans une logique de lutte. Cette année, c’est au tour de l’antifascisme. Je pense tout de même qu’avant de lutter, il faut se conscientiser. Évidemment, il y a plein de façons de lutter, que ce soit par le vote ou par l’engagement associatif. Mais, je pense qu’on doit déjà individuellement prendre conscience que certains phénomènes existent. Il est important d’analyser ce que l’on voit, soit dans les médias, soit sur les réseaux sociaux. Donc, la première façon, c’est de se conscientiser soi-même. Ensuite, et c’est un travail que les cercles font également, c’est de discuter autour de thématique politiques, avec leurs membres afin de se conscientiser, collectivement cette fois. Au niveau de la lutte, énormément d’associations à l’ULB, hors cercles ACE, réalisent des manifestations, des rencontres, des soirées thématiques. Je pense que notre rôle en tant qu’étudiant, c’est effectivement de manifester, de faire du bruit, mais surtout de discuter. On est étudiant à l’université, c’est le lieu pour, on a ce privilège-là.
La Saint-Verhaegen, c’est aussi la fête. Est-ce que ce côté festif, selon vous, est un élément central de la lutte contre le fascisme ?
C’est un élément central de l’antifascisme, oui, mais également de toutes les luttes. Je pense que toutes les thématiques retenues pour la Saint-V, souvent sombres, parfois intimidantes ou inquiétantes, peuvent créer du stress, de la peur. Il est, dès lors, important de s’amuser. Et si la Saint-V représente bien une chose, c’est le moment où on a le droit de mettre tous nos problèmes sur pause, même nos études. C’est vraiment un jour de pause pour tout le monde, où on peut profiter de la vie. C’est important qu’on puisse aussi lutter en souriant, en s’amusant, en faisant la fête. Je trouve qu’on a quand même le grand privilège de pouvoir être au Sablon, en plein milieu de Bruxelles, et de pouvoir parler de la montée du fascisme, rien que par le fait d’être là.
Lors de la Saint-V, différentes commémorations sont également organisées, dont celle au square G (en mémoire du Groupe G, groupe d’étudiants ulbistes et résistants lors de la Seconde Guerre mondiale). Le devoir de mémoire est donc intrinsèque à cette journée particulière. Pourquoi est-ce encore plus important cette année ?
Lorsque j’étais petit, je me souviens que l’on me disait dans mes cours d’histoire qu’il faut étudier le passé pour pouvoir comprendre le présent, afin d’essayer de faire en sorte que l’avenir soit meilleur. Je pense que cette phrase a tout son sens encore plus aujourd’hui. C’est vraiment important de se rappeler ce qui s’est passé dans le passé et de tenter de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Il faut souligner que le devoir de mémoire ne s’arrête pas à la Saint-V. Le monument au Square G, notamment, est beaucoup utilisé par les cercles lors d’événements. Tous les cercles organisant des baptêmes, par exemple, ont un stand à cet endroit : là où on se souvient du Groupe G, de l’importance de résister face à la barbarie, face à l’argument d’autorité. Ce rappel nous permet de garder notre indépendance de jugement. Comme je le disais, la montée du fascisme est telle que le devoir de mémoire est encore plus important cette année afin de s’organiser pour lutter.

L’antifascisme est sur toutes les lèvres actuellement. Cette lutte est critiquée par certains partis politiques. N’avez-vous pas eu des réticences à le mettre ainsi sur la place publique ?
S’il y a bien une volonté qui est partagée, c’est qu’on n’a pas envie de rentrer dans la politique des partis, ça, c’est sûr et certain ! Alors oui, c’est un enjeu qui est politique, forcément. Tous les enjeux le deviennent à un moment ou un autre. Nous sommes « apartisans ». On ne dit pas que tel parti fait bien les choses ou que tel parti les fait mal. Nous partageons juste un constat global, avec tous les étudiants des cercles, en ce compris les néerlandophones : la montée, un petit peu partout, de l’autoritarisme, ainsi que de certaines valeurs qui, selon nous, vont à l’encontre de la dignité humaine. Voilà, on se bat contre, peu importe les couleurs politiques.
Grâce à cette médaille flanquée du slogan de l’édition 2025 de la Saint-V, les organisateurs de l’événements ancrent la lutte contre le fascisme dans le temps long.
© Gaël Delcourt
La Saint-Verhaegen comporte aussi un aspect social, quel est-il ?
Chaque année, une quête sociale est organisée par tous les cercles. De façon pratico-pratique, tous les étudiants de chaque cercle vont « faire la quête » et récolter de l’argent dans tout Bruxelles. Tout l’argent que l’on amasse est automatiquement reversé à une association. Cette année, on a décidé de le donner à Amnesty International qui, selon nous, correspond tout à fait aux valeurs de liberté et de vérité. Si jamais les dons sont ouverts (rire). Si vous pouviez résumer en un mot l’édition 2025 de la Saint-Verhaegen, lequel serait-il ? Cela risque d’être un peu bateau, mais je pense que je pourrais résumer cette édition par le mot « espoir ». Je ne pense pas être le seul à être vraiment inquiet par la situation que nous vivons aujourd’hui, tant en Belgique qu’ailleurs. En tout cas, j’espère que l’avenir s’éclairera. C’est pour cela que nous luttons et que nous organisons des événements tels que la Saint-Verhaegen.
- « Ne détournez pas le regard, exprimez-vous » en français.
Partager cette page sur :
