Libres ensemble
Bien-être à l’école :
un énorme chantier !
Propos recueillis par Sandra Evrard · Rédactrice en chef
Mise en ligne le 1er septembre 2023
La problématique de la santé mentale des jeunes, mais aussi les questions de harcèlement, autrement dit le bien-être à l’école sont aujourd’hui centrales au cœur des établissements scolaires. Là encore, les projets sont en route pour implémenter de nouvelles bonnes pratiques.
Une série en 6 épisodes.
Photo © Benjamin Brolet
Épisode 5 : Bien-être à l’école
Autre gros enjeu, celui du climat scolaire, notamment la santé mentale des jeunes. On voit que depuis la Covid, les chiffres des jeunes en situation problématique ont augmenté de manière exponentielle. Qu’est-ce qui va être mis en place pour essayer de répondre à ces questions qui dépassent l’école, on en est tous conscients ?
Oui, tout à fait, mais l’école doit prendre sa part, car ce sont des enjeux qui sont extrêmement importants. Il est clair que la crise Covid a aggravé les choses, les chiffres de décrochage scolaire sont tout à fait significatifs, ils ont explosé. Il faut le dire très clairement. Nous nous sommes fixé plusieurs objectifs dans le cadre du Pacte, de manière structurelle pour promouvoir la santé mentale des élèves en optimisant simplement les conditions de vie, en améliorant le climat scolaire, le bien-être à l’école, la prévention et la lutte contre le harcèlement et le cyberharcèlement. Ce qui est important, c’est de replacer cette dernière question dans une perspective plus large d’amélioration du climat scolaire. La généralisation de l’ÉVRAS, dont on a parlé, par certains aspects va contribuer au bien-être des jeunes. On a aussi, et c’est important il me semble, remis la santé mentale des jeunes comme point d’attention dans la formation professionnelle continue des enseignants, à la suite précisément des constats et des interpellations répétées émanant notamment des associations de parents. C’est inscrit dans les orientations à court terme des grands enjeux de formation.
Parallèlement, si vous vous souvenez, on avait financé un encadrement supplémentaire dans les centres psycho-médico-sociaux pendant la crise Covid. Mais il s’agissait de budgets exceptionnels et donc on a dû arrêter cela. Ce fut la catastrophe dans les CPMS, qui sont venus manifester à plusieurs reprises, mais je pense au fond qu’il faut trouver une manière structurelle de passer le cap, parce qu’en réalité la prise en charge de la santé mentale des élèves ne relève pas des missions des CPMS. Ces derniers doivent faire de la prévention, orienter vers une prise en charge psychothérapeutique ou vers d’autres professionnels – et en cela ce sont des interlocuteurs privilégiés –, mais il faut que l’on puisse s’appuyer sur d’autres structures. Nous avons donc entamé une collaboration avec le ministre de la Santé publique Frank Vandenbroucke, puisqu’il est précisément en train de déployer des psychologues de première ligne et que les écoles l’intéressaient dans la mesure où il cherchait des points d’ancrage. Un partenariat a donc été conclu avec les CPMS. C’est un début, mais Vandenbroucke a vraiment mis des budgets très importants dans cette initiative. Des psychologues disponibles il y en a, il faut maintenant organiser le relais…
Donc le but est d’en avoir un dans chaque école ?
Ils peuvent venir structurellement dans les écoles, on peut aussi organiser des relais entre les CPMS et des consultations organisées hors de l’école, mais ce qui est important, c’est que c’est gratuit pour les élèves les moins favorisés et très peu onéreux pour les autres. Quand ils viennent faire des consultations à l’école, c’est tout à fait gratuit, on a insisté là-dessus. D’autres choses doivent encore certainement se développer. La collaboration avec les enseignants est aussi importante puisqu’ils sont huit heures par jour avec des enfants et des adolescents, et donc forcément, ils sont bien positionnés pour détecter les problèmes.
Peut-être un dernier point : nous avons fait passer une note d’orientation au gouvernement portant sur notre nouveau schéma de lutte contre le décrochage scolaire pour qu’à chaque étape, y compris à la plus précoce (c’est-à-dire dès que cinq demi-journées d’absence sont comptabilisées), il y ait un interlocuteur qui soit le référent de la prise en charge du jeune, que ce soit le CPMS, l’éducateur, etc. Le décret n’est pas encore promulgué, mais l’idée, c’est que cela entre en vigueur à la rentrée 2024. C’est très important parce que ces absences sont les signes d’alerte d’un mal-être et là encore, les collaborations doivent s’activer. Donc on essaie de tisser une toile pour qu’il n’y ait pas d’élèves qui puissent échapper à toute prise en charge.
© Shutterstock
Et le harcèlement ? Là aussi c’est un vaste chantier.
Une série de mesures sont déjà entrées en vigueur en matière de lutte contre le harcèlement et le cyberharcèlement depuis 2015. Cela passait en outre par un appel à projets annuel, certaines écoles volontaristes ayant déjà saisi la balle au bond, mais il faut absolument que l’on arrive à rendre cette politique plus structurelle et pérenne. Mais aussi à autonomiser les écoles qui restent toujours un peu dépendantes des animations externes. Ce qui est ressorti de notre étude de cette problématique, c’est qu’il n’y a pas une méthode qui marche dans la lutte contre le harcèlement, il y en a plusieurs. La solution miracle n’existe pas, mais certaines réponses sont intéressantes. La littérature scientifique abonde à présent en publications sur le sujet, donc cela commence à être un phénomène assez bien appréhendé. Deux axes ont été définis. On va d’abord créer un observatoire du climat scolaire, logé au sein du ministère, dont le but est d’assurer une veille scientifique afin d’améliorer notre compréhension de ce problème et de pourvoir les écoles en ressources validées sur le plan scientifique et pédagogique. L’autre volet se fonde sur un programme d’actions qui va être mis en place dans les écoles. Nous allons débuter avec 120 écoles pour la première année.
Pour déployer ce programme d’actions en quatre ans, elles vont être accompagnées par un opérateur agréé par la Fédération Wallonie-Bruxelles afin de poser un diagnostic en fonction de l’environnement et du type de public de l’école. Puis une série d’actions obligatoires seront mises en place, comme la procédure de signalement de cyberharcèlement, une séance d’information pour les parents sur la réalité du cyberharcèlement, mesures qui s’ajouteront aux actions développées en fonction de la situation propre aux établissements. On lie aussi fortement la question du bien-être et du climat scolaire à celle de la démocratie scolaire, par exemple avec la mise en place d’espaces de parole régulés. Le but, c’est qu’il y ait trois ans d’accompagnement intensif et que la quatrième année soit consacrée à la mise en autonomie de l’école. Il faut quoi qu’il en soit que le climat scolaire soit une préoccupation partagée par toute l’équipe scolaire. On voit dans les écoles qui ont déjà mis ce type de projet en pratique, qu’il a complètement infusé dans toute l’équipe pédagogique. C’est vraiment une philosophie générale de travail extrêmement porteuse, nous en sommes persuadés.
De plus, les élèves sont mentalement beaucoup plus disponibles aux apprentissages lorsque ce type de pression diminue et qu’il y a des endroits où l’on peut parler quand il y a un souci. Nous étions à 400 000 euros pour l’appel à projets annuel et nous avons dégagé 2,6 millions pour la politique structurelle. Pour l’instant, l’accompagnement humain est un peu limité, mais nous souhaitons accélérer la mesure pour toucher rapidement les 2 500 écoles. C’est une méthode quand même éprouvée, même si je le répète il n’y a pas de méthode miracle, mais cela leur permet de s’approprier des techniques, et puis cela les sécurise.
On sort aussi du déni, de l’omerta par rapport à certaines situations…
C’est hyper important parce que c’est sans doute, je le dis souvent, l’une des choses les plus difficiles que j’ai eu à faire dans ma petite vie de ministre : rencontrer des parents d’adolescents qui se sont suicidés parce qu’ils se sont retrouvés tout seuls face à leur situation de harcèlement, sans aucune main tendue, avec une école complètement dans le déni qui affirmait : « Cela n’existe pas chez moi. » En fait, aujourd’hui, on sait que ce fléau est omniprésent et qu’il y a des âges qui sont très critiques, plus particulièrement entre 10 ans et 14 /15 ans. C’est vraiment le moment du harcèlement et du cyberharcèlement.
On sait aussi que les parents ne sont pas suffisamment au fait de ce qui se passe sur les réseaux sociaux, que cela échappe en partie aussi à l’école, mais voilà on commence quand même à bien cerner les enjeux. On fait de la prévention en quatrième et en cinquième primaire déjà afin d’aguerrir le petit jeune qui arrive à l’école secondaire, afin de lui permettre de mieux se connaître, de mieux mettre des limites, cela dans la perspective de l’aider à résoudre ses conflits, mais aussi de l’inciter à s’adresser à un adulte quand il n’y arrive pas seul. J’ai personnellement assisté à des animations qui m’ont fort convaincue, c’est quand même assez impressionnant ce que l’on peut faire avec des adolescents.
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