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Profession :
facilitateur visuel

Mehdi Toukabri · Journaliste

Mis en ligne le 16 octobre 2025

La facilitation graphique est une méthode d’accompagnement s’appuyant sur le dessin qui permet de transcrire visuellement les idées et les mots exprimés sur le papier. Elle peut répondre à de nombreux objectifs tels que la synthèse, la capitalisation ou la prise de décision. Et appliquée dans le secteur associatif ou entrepreneurial, elle a de nombreuses vertus dont l’enrichissement des échanges et l’aide à la prise de décision. Ce n’est pas à Catherine de Brye ni à Vincent Rif qu’il faut le dire.

Photo © Image Flow/Shutterstock

Un workshop qui s’éternise. L’après-midi semble bien longue. C’est déjà le troisième café. Le corps est là, l’esprit, lui, est aux Canaries. Après avoir espéré un procès-verbal plus parlant, l’optimisme se casse les dents sur les douze pages de PV. Trois lectures, souvenirs proches de zéro. Et si on avait fait appel à un super-héros : un facilitateur visuel ? « Notre rôle, c’est de soutenir le propos, grâce à un apport visuel. Quelque part, c’est de résumer ce qui est dit durant une conférence ou un colloque, en écrivant les mots importants, tout en apportant une touche d’illustration. Concrètement, cela permet, au moyen d’un discours auditif et visuel, de booster l’attention pendant et la mémorisation après l’événement. »

Un petit dessin...

Tablette graphique dans la main gauche, stylet dans la main droite et lunettes rondes vissées sur le nez, Vincent Rif est un ancien journaliste et dessinateur de presse, aujourd’hui reconverti en facilitateur graphique. En quinze ans de métier, il définit cette pratique comme l’art de captiver l’attention par des images dessinées en direct. « Il y a d’abord le mot “facilitateur”, tout simplement pour faciliter la communication. Ensuite, il y a le mot “graphique”, car moi, j’utilise dessins ou portraits et phylactères, à mi-chemin entre les codes de la bande dessinée et ceux de l’illustration. »

Même son de cloche du côté de Catherine de Brye. C’est à la suite d’un burn out qu’elle troque son costume d’enseignante, endossé durant vingt ans, pour celui de facilitatrice visuelle. « À la base, c’est un métier qui n’existait pas ou très peu. Il y a dix ans déjà, lorsque je voyais des illustrations réalisées avec cette technique, je me disais que c’était magique, mais que ce n’était pas fait pour moi. Le monde de la facilitation m’a ouvert les bras en 2021, tout juste après mon pas de côté professionnel. C’est durant cette période que j’ai pu réfléchir et que je me suis dit que je voulais vraiment dessiner numériquement. J’ai donc acheté une tablette graphique et puis tout s’est accéléré. Je suis entré dans un monde très bienveillant et profondément ouvert où très peu de personnes pratiquent ce métier. » S’étant longtemps appelée « facilitatrice graphique », la quadragénaire préfère désormais le qualificatif « visuelle ».

« Même dans notre milieu, la frontière est fine entre les différents aspects qui constituent la profession : est-ce que tu fais du graphic recording, du sketchnoting ? De la facilitation graphique ou visuelle ? En bref, la facilitation graphique, c’est lorsque tu es devant un public, que tu dessines et que tu interagis avec lui pour le faire évoluer sur sa pratique. Un vrai rôle de facilitateur. Moi, je suis davantage dans la facilitation visuelle, car je facilite plutôt la communication de certaines structures. Donc après une première rencontre avec ses acteurs, ils m’envoient les documents à faciliter et je les illustre. C’est ça que je trouve chouette : à chacun sa petite particularité. »

Illustrer pour mieux communiquer : la facilitation visuelle permet de transformer des concepts complexes en visuels clairs et percutants.

© Catherine de Brye

Artiste « encreur de réel »

C’est grâce à David Sibbet, designer et facilitateur californien, que cette méthode est élaborée à la fin des années 1970. Plusieurs études neuroscientifiques ont démontré que les informations s’ancrent davantage dans le cerveau lorsqu’une association entre textes et visuels est établie. Résultat de la facilitation visuelle : une meilleure mémoire, une communication plus percutante, une animation plus dynamique et un processus collaboratif largement plus efficace.

Ce que met en perspective Catherine de Brye : « En fait, nous, les facilitateurs visuels, on est à la fois artistes et “encreurs de réel”. Très souvent, dans la plupart des métiers, on ne sollicite qu’une des deux parties du cerveau : soit le cerveau gauche (lié à la logique, au langage, à l’analyse et au raisonnement séquentiel, NDLR), soit le cerveau droit (lié à la créativité, à l’intuition, à la perception spatiale et à la pensée holistique, NDLR). Dans notre monde de facilitation, on arrive à passer de l’un à l’autre, parce qu’on va chercher des éléments extrêmement concrets, tout en les mettant en illustration. »

Vincent Rif appose à cette vision de « réalisme artistique » un aspect de distanciation et de neutralité. « Ma pratique de dessinateur de presse m’a permis de résumer des situations, mais également, quelque part, d’anticiper ce qui pouvait se passer à la suite de mes caricatures. En fait, le dessin de presse, ce n’est qu’une illustration de mots réalisée après une sorte de prise de recul. C’est exactement la position que je prends lorsque je suis invité pour une séance de facilitation : avoir un regard extérieur en endossant un rôle de neutralité afin d’apporter une nouvelle vision des choses, ainsi que des solutions. »

Narges Mohammadi, prix Nobel de la paix 2023, présentée en une illustration. Synthétique et efficace.

© Catherine de Brye

Le plus vieux métier du monde à enseigner

Principalement proposée par le prisme de formations, la facilitation visuelle ne parvient ni à franchir les portes des écoles d’art ni à convaincre les futurs artistes. Critique, Vincent Rif souhaiterait qu’on casse les codes : « Je suis en relation avec beaucoup d’amis qui sont professeurs dans des écoles d’art. Ils sont en lien avec des jeunes qui doivent exercer un métier artistique après leurs études. J’ai l’impression que c’est toujours les mêmes créneaux qu’on leur offre. C’est-à-dire de la bande dessinée, l’illustration et la peinture, etc. Je vois bien ceux qui exercent le métier d’illustrateur jeunesse ou en bande dessinée, la paupérisation est grande : c’est un monde peu rentable, ingrat, difficile et de moins en moins reconnu en matière de droits d’auteur. Donc, je me dis que les écoles d’art devraient plus s’ouvrir à la communication pour les entreprises et les associations. C’est un monde où l’art peut vraiment proposer quelque chose, qui est beaucoup plus rentable, plus intéressant, plus concret et qui est loin d’être dévalorisant. »

Savoir accueillir les migrants/good practices : ces infographies en français et en anglais ont été réalisées pour la Croix-Rouge.

© Vincent Rif

Et Catherine de Brye d’acquiescer et de conclure : « Faire connaître le métier serait un vrai plus. C’est une profession où il y a de la place pour tout le monde. Parce que c’est un milieu qui démarre, les demandes arrivent, et plus on en parlera, plus les gens se rendront compte que c’est un média de communication qui peut être très utile. La force de la facilitation graphique aujourd’hui, c’est que les personnes qui font vivre la profession ne viennent pas toutes du milieu artistique. On a tous des parcours atypiques. Une des raisons est qu’il n’y a pas d’études qui mènent à exercer ce métier-là. Donc n’importe qui peut dire “Je deviens facilitateur graphique”. De plus, il n’est pas nécessaire, a priori, de savoir dessiner pour communiquer avec des images. Il est possible de rapidement se débrouiller avec des formes géométriques et de pouvoir faire passer des messages. Évidemment, avoir une touche artistique et un trait de crayon plus fort va faciliter les contacts et les demandes. L’objectif de ce métier, c’est de faire passer un message, pas de le rendre beau. »

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