Libres, ensemble
Police, ça s’écrit
R A C I S M E ?
Propos recueillis par Mehdi Toukabri · Journaliste
Mise en ligne le 18 septembre 2025
« Le racisme systémique est présent dans tous les secteurs de la société, y compris au sein des forces de l’ordre et du système de justice pénale. » Voici comment le récent rapport de l’ONU dresse un constat clair sur les discriminations vécues par les Belges afrodescendants. Il va même plus loin et parle de « profilage racial et d’usage excessif de la force par la police à l’encontre d’Africains et de personnes d’ascendance africaine », tout en soulignant « la nature difficile et stressante du travail des forces de l’ordre » qui « affecte directement la santé mentale et le bien-être des agents » ainsi que « la manière dont ils accomplissent leur devoir ». En cause : l’héritage du colonialisme, dont les effets perdurent aujourd’hui, empêchant la Belgique d’assumer pleinement sa responsabilité sur le racisme actuel. Cécile Rigot, ancienne commissaire à la police fédérale et ex-formatrice à Kazerne Dossin, aujourd’hui retraitée, approuve les conclusions des rapporteurs de l’ONU, mais les tempère. Forte d’une carrière de trente-cinq ans, cette ancienne policière ne nie pas la xénophobie au sein de la police et milite pour que les dérives soient dénoncées et combattues courageusement. Au risque de voir la confiance de la société envers le corps policier s’étioler.
Photo © Alexandros Michailidis/Shutterstock
Le rapport d’experts indépendants de l’ONU soutient l’idée qu’il y a un racisme systémique, surtout à l’encontre des afrodescendants et des personnes considérées comme africaines, donc noires, en Belgique. Pour eux, la police ne fait pas exception. Est-ce qu’une forme de racisme existe au sein de la police ?
Oui, il y a une forme de racisme dans la police. Le profilage ethnique – qui pour moi est surtout inconscient – en est une de ses formes. Mais, oui, le racisme est là. Je me souviens, par exemple, d’équipes qui, lorsqu’il y a une foule, vont plus facilement contrôler quelqu’un qui se démarque par une couleur de peau, par une couleur de cheveux, par une manière de s’habiller. En fait, cela concerne toute personne qui se démarque et attire le regard. J’ai des amis d’origine pakistanaise qui m’ont expliqué très clairement qu’où qu’ils aillent, quand ils prenaient le métro, c’était systématiquement eux qui allaient être contrôlés (par la police, NDLR) et pas leurs amis blancs. C’est un vrai problème qu’on essaie de contrer, notamment avec la formation qui a été mise en place en collaboration avec le musée Kazerne Dossin1. Parce qu’on s’est rendu compte qu’il y avait des habitudes qui avaient la vie dure. Ce n’est pas un endroit où l’on envoie les « punis » qui se sont mal comporté (agents ayant reçus un blâme pour agissement raciste, NDLR). C’est un lieu où l’on envoie un maximum de fonctionnaires de police afin de les sensibiliser à certaines problématiques telles que le mécanisme de rejet pouvant exister dans un groupe : racisme (antisémitisme, islamophobie), sexisme, etc. En Belgique, dans chaque patrouille, on travaille au minimum par deux. Lorsque l’on fait du maintien de l’ordre, par exemple, on peut être beaucoup plus. Un mécanisme de rejet peut se mettre en place dans une équipe face à une personne seule, par exemple. Lors des formations à la caserne, on tente avec les agents d’expliquer ce phénomène et surtout de le démonter ensemble. Nous, en tant que formateurs, en tant qu’accompagnateurs, on ne préfère pas connaître les raisons qui poussent les agents à venir à nos formations. Cela ne nous regarde pas, en fait. Si on voit arriver une équipe estampillée « raciste » ou « machistes », cela n’a pas de sens pour nous. On ne va pas s’adresser à eux de la même manière qu’à tous les autres. Donc on reçoit des équipes qui sont souvent multiples, qui viennent de différents horizons, d’une zone de police, d’un groupe fédéral, etc. Lors de moments d’échange après la visite du musée, on essaie de confronter les esprits, sans toutefois se lancer dans une thérapie. Car nous n’avons pas le temps pour ça. Le vrai problème est que nous n’avons aucun suivi, aucun retour après la formation. C’est très dangereux. Et il faut le dire, oui, les réactions xénophobes existent bien au sein de la police.
Y a-t-il suffisamment de prévention sur les questions de xénophobie au sein de la police ?
Franchement, oui. Je trouve que la vraie belle action a commencé en 2012, suite à la collaboration avec Kazerne Dossin et le mémorial de la Shoah. Donc, au travers du devoir de mémoire. Avant cela, seules existaient des mises en garde ou des remontrances quand il y avait une affaire de racisme et de xénophobie. Heureusement, des lois ont été votées et appliquées, mais malheureusement pas toujours de la meilleure manière. Et elles ne sont pas toujours prises au sérieux par certains.
Ancienne commissaire à la police fédérale, Cécile Rigot estime qu’il y a bel et bien un problème de racisme au sein de la police belge.
© DR
On se rend bien compte que lorsqu’un problème de violence ou de racisme éclate et que la police y est mêlée, une forme d’omerta se met en place.
Oui, il y a un secret. On se protège. Il y a des années, on s’est rendu compte que dans certaines filières policières, certains policiers ne dénonçaient jamais leurs collègues par peur d’être mis au ban de l’équipe. Bien sûr qu’il faut en parler et bien sûr qu’il faut dédramatiser. Mais surtout, il faut déculpabiliser ceux qui osent parler. Ce ne sont pas des balances, ce sont des courageux.
Nous avons abordé le devoir de mémoire, notamment par le biais de la collaboration avec le musée Kazerne Dossin, mais il existe un travail de mémoire très peu réalisé au sein de la société belge : celui de la colonisation. C’est d’ailleurs un des points cités dans le rapport des experts de l’ONU. Pensez-vous que parler plus souvent de la colonisation aurait pu avoir un impact sur le racisme qui subsiste encore aujourd’hui au sein de la société, a fortiori de la police ?
Je vais être très honnête. Je ne sais pas si en parler aurait vraiment eu un impact, mais je suis persuadée que oui. Je suis entrée, au début de ma carrière, à la police communale de Woluwe-Saint-Pierre. Le chef de corps de l’époque était un ancien colonial. On le sentait bien. Et, bien souvent, l’exemple vient « du haut ». Dès l’instant où le nouveau commissaire en chef a remplacé l’ancien, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait des mots à ne plus utiliser. Il a tout de suite mis les choses au point, alors qu’il adorait son ancien patron. Cette nouvelle personnalité ne supportait pas les blagues idiotes ou les réflexions vaseuses. En fin de compte, c’est vraiment une question de société. Si on avait été plus correct, plus clair par rapport à la colonisation, évidemment qu’on aurait été plus honnête par rapport à ce qui se passe aujourd’hui.
En tant qu’ancienne commissaire, quel est votre sentiment par rapport à la direction prise par la police aujourd’hui ? Notamment par rapport à toutes les affaires qui ont ébranlé, au cours de ces derniers mois, la police ?
J’ai passé trente-cinq ans dans ce corps de métier. Pendant toutes ces années, j’ai défendu mes collègues. Pour moi, la majorité des gens à la police sont des gens bien. Mais, je suis horrifiée par les dérives. Je trouve qu’il y a une violence générale qui est en train de se répercuter dans la police. Quand on me parle de maltraitances, de manifestations qui tournent mal, je pense que ces personnes sont une bande de pourris qui n’ont rien à faire dans la police. Ils sont en train de nous déshonorer. Si ça continue comme ça, si personne n’arrive pas à mettre le holà, nous allons perdre le respect de la population. Lorsque j’entends parler de dérives, je n’espère qu’une chose : que le Comité P² prenne les choses en main et qu’il licencie les fauteurs de trouble.
Pensez-vous que le Comité P est assez outillé pour faire face aux dérives et aux violences policières ?
Je ne sais pas. Je trouve cela très important que ce soit l’inspection générale, donc l’AIG (Inspection générale de la police fédérale et de la police locale, NDLR), ou le Comité P qui prenne ce genre de situation en charge. Je trouve également très intéressant que le Comité P dépende directement du Parlement. L’AIG est composée de gens que j’ai connus, qui sont vraiment des gens qui font du bon boulot. Mais le véritable problème est comme toujours celui que l’on retrouve partout : pas assez de personnel, pas assez de temps, pas assez de financement, etc. Je trouve que la principale chose à faire aujourd’hui est de renforcer l’école (l’académie de police, NDLR). À une certaine époque, les écoles étaient dirigées par des personnes aux idéaux douteux. C’était terrible. Mais grâce à la nouvelle directrice de l’École de police de Bruxelles (Caroline Scopel, NDLR), juriste de formation et vraiment très sensible sur les questions éthique, la situation me rassure vraiment. Enfin, les générations futures qui vont sortir de cette école vont avoir une dirigeante qui a de belles valeurs. Et moi, je suis sûre que cela a énormément d’importance.
Après trente-cinq ans de carrière dans les forces de l’ordre, Cécile Rigot assure que le profilage ethnique n’est absolument pas quelque chose d’officiel au sein de la police.
© Alexandros Michailidis/Shutterstock
Êtes-vous optimiste pour le futur de la police ?
Oui, bien sûr. Il le faut. Mais pour cela, il faut aussi qu’on soit clair sur les dérives. Elles ne doivent jamais être tues et encore moins minimisées. Les dérives, ça n’a pas sa place au sein de la police. Mais pour ça, il faut pouvoir les dénoncer. Et il en faut du courage pour y parvenir.
- Le musée Kazerne Dossin est un mémorial, musée et centre de documentation sur l’Holocauste et les droits de l’homme, inauguré en 2012 à Malines, NDLR. Nous avons déjà parlé des visites thématiques destinées à lutter contre le racisme dans le monde du foot qui y sont organisées. Cf. Dietlinde Wouters, « Kazerne Dossin à l’assaut du racisme dans le foot », dans EDL, no 518, novembre 2025.
- Le Comité permanent de contrôle des services de police, aussi appelé Comité P, est un organe de contrôle externe de tous les fonctionnaires des services de police en Belgique. Créé en 1991, il est contrôlé par la Chambre des Représentants qui nomme ses membres, NDLR.
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