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Prendre soin de la santé : une urgence

Propos recueillis par Amélie Dogot · Secrétaire de rédaction

Mise en ligne le 2 octobre 2025

Elle déclame, elle chante, elle joue de la trompette. Nous l’avions déjà constaté sur la scène du festival des Solidarités où nous l’avons vue se produire avec sa troupe en août 2022 et cela se confirme dans le hall du Théâtre national où nous lui avons donné rendez-vous cet automne : la comédienne Léa Le Fell s’investit à fond dans ses projets. Dans Urgence, pièce documentaire qu’elle a co-écrite, elle met en lumière les réalités et les enjeux de la santé, une thématique qui la touche particulièrement. Léa Le Fell évoque la genèse de cette œuvre engagée.

Photo © Olivier Laval

Présentée d’abord en province avant de conquérir Bruxelles, la création collective de la Compagnie Adoc aborde la crise du système de santé en Belgique, soulignant les conséquences de l’austérité budgétaire et l’impact sur les soignant·es et les patient·es. Urgence met en avant les luttes des travailleur·euses de la santé face à des conditions de travail précaires, tout en rendant hommage à leur dévouement. L’œuvre questionne également l’accès aux soins de qualité pour tous, indépendamment des moyens financiers.

La pandémie a révélé les failles du secteur hospitalier, mais elle semble aussi avoir généré un certain cynisme. Urgence parvient-elle à contourner ce désenchantement ?

Je ne sais pas si la pièce Urgence arrive à contourner ce désenchantement. Par contre, elle met vraiment en lumière tout ce que le personnel soignant, le corps médical a à dire et à crier depuis sept ans. Les premiers mouvements de la santé en lutte remontent à 2017 en France. C’est sûr qu’avec la crise de la Covid, le monde, et surtout les médias, a un peu plus braqué, la lumière sur les hôpitaux et sur le dysfonctionnement du système des soins de santé. Parce qu’en fait, ils étaient là, à ce moment-là, « patients », la première fois pour certains d’entre eux. On a essayé de comprendre l’origine des problèmes systémiques qui font qu’aujourd’hui, le personnel soignant et les patients sont en danger. On a essayé de comprendre en allant à la rencontre d’universitaires, de ministres, de philosophes, de patients et de membre du personnel hospitalier. Comment tout ça se trame-t-il ? Quels sont les rouages du système ? Que fait-on quand on en arrive là  ? La première partie de la pièce se concentre sur l’état du personnel soignant et des patients. La deuxième partie est un peu plus positive. On tente de décortiquer ce que sont les déterminants de la santé avec les experts et on évoque des solutions en prenant comme exemple les zones bleues. Il y en a cinq dans le monde, cinq lieux où les gens vivent plus longtemps, presque anormalement en bonne santé. Quels sont les facteurs d’une bonne santé ? Avoir une vie sociale, être bien logé, bien se nourrir, faire du sport. Tout cela relève de choix politiques. Par exemple, on a interdit la cigarette dans des lieux publics. À l’époque, si on avait tout arrêté du jour au lendemain, ça aurait été la révolution. Mais on l’a fait progressivement. Avec cette mesure, on s’est dirigé vers une bonne santé, en tout cas un mieux vivre ensemble pour la population. Il y a de nombreux choix politiques à poser comme celui-là. Certes, les hôpitaux publics doivent être refinancés. Mais je pense que la question de la santé est plus globale. La pièce évoque cela aussi.

À voir

3 octobre 2025 à 20h

Une représentation tout public au Théâtre Le Moderne à Liège, dans le cadre du festival Prendre Soin Liège

Infos et réservation

6 octobre 2025 à 19h

Une représentation tout public à Woluwe-Saint-Pierre pour l’UCLouvain

Infos et réservation

Présentation de la pièce par la Compagnie Adoc

Votre engagement dans Urgence semble dépasser le cadre du théâtre. Selon vous, où commence la responsabilité de l’artiste lorsqu’il s’agit de dénoncer un système de santé qui est à bout de souffle ?

C’est vraiment une grande question. Je vais juste parler de moi, parce que je n’ai pas du tout envie de parler au nom de l’artiste avec un grand A. En tout cas, ma responsabilité en tant que citoyenne, et ce pour quoi j’ai envie de monter sur scène, c’est parce que j’ai rencontré toutes ces personnes et je considère que je suis dépositaire de leurs paroles qu’on ne met pas du tout assez en lumière et en valeur. Je me considère comme un lien, un vecteur. Ma responsabilité, elle est là, et c’est vraiment l’image du colibri qui va petit à petit contribuer à quelque chose. Je sais que c’est qu’une goutte dans un grand océan, mais au moins, c’est une goutte. Urgence, c’est du théâtre par le peuple et pour le peuple. C’est ce qu’on se dit dans la compagnie. C’est ça qui me fait vibrer, qui me pousse à monter sur scène et qui me donne encore envie de poursuivre. Ce que j’aime aussi, c’est que la pièce peut prendre de nombreuses formes : on peut jouer dans la rue, dans un camion, n’importe où, dans des cantines d’hôpitaux et sur de grandes scènes de théâtre.

En tant que comédienne, comment vous préparez-vous pour incarner l’épuisement et la révolte des soignants, alors que ce sont justement souvent des expériences qui sont vécues et passées sous silence ?

En fait, c’est assez pratique. Je ne me prépare pas parce que ces personnes, je les ai rencontrées. Elles nous ont transmis quelque chose de tellement fort ! C’est tellement injuste et urgent, tout ce qu’il y a à défendre. Je repense à elles et je n’ai pas besoin de grande préparation.

Les discussions post-représentation donnent voix au public. Est-ce que tu as observé des réactions particulièrement marquantes venant des soignants ou de responsables politiques ?

Oui, tout à fait. Une réaction qui m’a particulièrement marquée (lors d’une représentation tout public, au Théâtre Le Moderne à Liège, dans le cadre du festival Prendre Soin Liège en octobre 2024, NDLR), c’était justement celle d’un travailleur du secteur médical. Il a dit : « Merci beaucoup ! Maintenant, j’ai envie soit de me tirer une balle, soit de partir vivre dans une des zones bleues au Costa Rica. » Cela m’a vraiment profondément touchée, car il a oublié notre plus grande richesse… alors qu’on en parle dans le spectacle. En Belgique, nous avons la sécurité sociale. On a tendance à oublier que nos aînés se sont battus pour elle pendant des années. Elle n’est née qu’en 1945, et aujourd’hui elle est attaquée de toutes parts. Je trouve qu’on ne s’en rend pas assez compte. La sécurité sociale, c’est extraordinaire ! Ce sont sept grands piliers – les allocations familiales, les retraites, les pensions, les soins de santé, les assurances accidents de travail, les assurances maladie professionnelles et les vacances annuelles. On a tendance à l’oublier. Et on en parle aussi dans le spectacle. Je me suis aussi battue pour qu’on en parle, mais tout le monde était vraiment d’accord avec ça. C’est un des meilleurs systèmes de protection universelle au monde et on l’a ici en Belgique. Aujourd’hui, elle est menacée par les politiques. Elle est en péril ; prenons-en conscience et soin. Et ne partons pas à l’autre bout du monde, protégeons nos droits ici !

Le secteur hospitalier subit une pression croissante avec des grèves, des burn-out qui sont évoqués dans Urgence. Est-ce que tu sens que la pièce capture une forme de ras-le-bol collectif ou est-ce qu’il y a un espoir de changement malgré tout ?

C’est sûr qu’il y a un ras-le-bol collectif. Et l’espoir de changement, il est radical, vraiment présent. C’est la première fois depuis des dizaines d’années, presque même depuis la nuit des temps, que le personnel soignant se révolte. Les mouvements de lutte dans le secteur sont tout nouveaux en fait. Le mouvement de la santé en lutte n’existait pas avant. Dès qu’il y avait des assemblées de citoyens, des débats, le personnel était intimidé ou alors mis à pied. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas, il y a une vraie solidarité. Il faut continuer à débattre, à se rassembler et à lutter ensemble. C’est comme ça qu’on va y arriver. Tout le monde en a conscience. Grâce à la crise de la Covid, le monde a également pris conscience de la richesse de nos soins de santé. La sécurité sociale nous a montré sa modernité. C’est grâce à elle qu’on a pu amortir le choc de la crise de la Covid chez nous. Sans elle, nous n’en serions pas là. Je pense qu’il y a beaucoup d’espoir malgré tout.

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