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Violences conjugales,
péril intime

Anne Delépine · Administratrice du Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE)

Mise en ligne le 22 novembre 2024

En France, le procès en cours de Dominique Pélicot, qui a drogué sa conjointe pendant dix ans pour pouvoir la violer, la faire violer par d’autres hommes et filmer ces viols, nous montre une violence conjugale à peine imaginable. En 2021, la soumission chimique a été dénoncée en Belgique avec le hashtag #balancetonbar, qui a révélé le fait que des serveurs de bar droguaient des filles pour en abuser. Mais la soumission chimique n’existe pas que dans le monde marginal de la nuit. Les femmes victimes de ce procédé connaissent souvent leur agresseur. Pensons notamment à cette députée française, qui a échappé de peu aux manœuvres d’un collègue en politique en qui elle avait confiance. La soumission chimique constitue-t-elle une nouvelle forme de violence, ou assiste-t-on au dévoilement salutaire d’une pratique d’abus sexuel ?

Photo © Sarfaraz82/Shutterstock

Dans le monde patriarcal, la domination des femmes passe par l’objectification de leur corps, de leur sexe. Le désir féminin n’a pas de valeur. La contrainte, la violence, les abus sexuels sont des façons banales de perpétuer le patriarcat. Les hommes eux-mêmes sont pris dans ce système. Certains se disent prêts à dénoncer sans ambiguïté cette domination, offrant une alliance nécessaire pour transformer les rapports sociaux qui mettent les femmes au second plan, à la disposition du désir masculin.

Heureusement, les perceptions évoluent, ainsi que les lois. Même si, au sein du couple, il est difficile de détecter et de dénoncer un viol. La loi belge de mars 2022 a clarifié la question du consentement. Si une personne n’est pas capable de consentir à une relation sexuelle – si elle est inconsciente, endormie, sous l’influence de stupéfiants, de drogues ou d’alcool –, la relation sexuelle sera considérée comme une agression. Que celle-ci ait lieu entre partenaires est une circonstance aggravante.

Les médias progressistes portent un intérêt croissant aux affaires d’agressions sexuelles et de prédations, sous un autre angle que celui du fait divers. Gisèle Pélicot a voulu un procès public pour que la honte change de camp. Des femmes pugnaces témoignent par la prise de parole ou par l’écriture, dénonçant des institutions qui protègent des agresseurs – présumés ou avérés – comme Depardieu, Poivre d’Arvor, Matzneff, Duhamel ou l’abbé Pierre parce qu’ils sont des stars, parce qu’ils sont des hommes de pouvoir. Souvent, elles sont accusées en retour de diffamation. La parole qui libère est aussi un combat.

L’affaire Pélicot nous informe sur la multiplicité des stratégies qu’un homme peut utiliser pour dominer et exploiter sa conjointe, sans user de force physique. Beaucoup de violences ne laissent pas de trace. Insidieuses, ces dernières détruisent petit à petit la confiance en soi et le moral de la victime, son réseau social, sa capacité d’agir. Face à cette prise de contrôle progressive, certaines victimes ne voient plus d’issue et se suicident. Repérer ces stratégies de domination peut être difficile tant pour la victime que pour les professionnel.le.s. Le contrôle coercitif permet de les relier et de démonter l’engrenage. Ce concept est une nouvelle « paire de lunettes », avec laquelle on va identifier la diversité des prémices et des actes de violence conjugale, sans la confondre avec des disputes, des mésententes relationnelles ni des conflits de séparation.

L’écho médiatique donné aux affaires sexuelles brise les tabous. Est-ce que cela réduit la prévalence des violences machistes ? Il ne suffit pas d’en parler pour qu’elles cessent de but en blanc. Mais la prise de conscience de l’injustice et de l’effet destructeur de ces violences augmente. Relier leur histoire à des vécus semblables donne de la force aux victimes. Pour les professionnel.le.s, les informations critiques sur l’ampleur de ces phénomènes permettent un accompagnement plus empathique. Le changement est long, mais nous avançons.

  1. Dans le cadre du projet « Améliorer la pratique judiciaire », mis sur pied en 2021 grâce au soutien de Femmes et Égalité des genres Canada, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale a développé de nombreux outils sur le contrôle coercitif dont l’expérience en ligne « Le contrôle coercitif. Le vrai visage de la violence conjugale ».

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