Chronique du Nord
Il y a une vie après la mort
Nele Deblauwe1 · Officiante laïque
Avec la rédaction
Mise en ligne le 21 mai 2024
La mort fait partie de la vie. L’une ne va pas sans l’autre. Tôt ou tard, c’est terminé. Et si ce n’était plus forcément vrai ? Notre existence terrestre achevée, nous continuerons bientôt de vivre dans le métavers. Koen Mylle, l’homme derrière l’application YODT, en est convaincu. Il croit en une vie après la mort, non pas au ciel ou en enfer, mais dans un univers artificiel créé avec des possibilités infinies.
Photo © Tithi Luadthong/Shutterstock
Les humanistes laïques ne croient pas en une vie après la mort. Et vous ?
La mort m’a toujours fasciné. Je trouve que mourir est une réalité très injuste, car on n’a pas de seconde chance. C’est pour cette raison que je veux croire en une vie après la mort. Imaginons que je décède subitement demain. Je donnerais tout afin de pouvoir revenir un instant pour un câlin ou une conversation avec mes proches. Pour leur chuchoter que tout ira bien, que leur deuil est légitime, mais aussi qu’ils doivent continuer leur vie. Les personnes qui annoncent leur décès peuvent se préparer à l’adieu, avec leur famille et leurs amis. Dans le cas d’une disparition soudaine, comme dans un accident ou un suicide, ce n’est pas possible.
L’application s’appelle « YODT », acronyme de « You Only Die Twice », « On ne meurt que deux fois ». Comment ça, deux fois ?
À l’avenir, chacun mourra deux fois. Une fois dans le monde sensible et une fois dans le monde numérique.
Le métavers semble très futuriste. N’est-il pas éloigné de nous ?
Pas du tout. Le métavers se développe rapidement. Nous évoluons vers un monde parallèle où tout un chacun possédera une version numérique de lui-même. Cette réalité n’est plus si lointaine, au contraire. Affirmer que le métavers est une mode passagère est naïf. Il y a vingt ans, il y avait aussi des voix qui prétendaient que l’Internet serait temporaire. Regardez où nous en sommes. Les enfants mènent aujourd’hui une vie très différente de celle des enfants des années 1980. La génération actuelle de jeunes fait partie des natifs numériques, ils n’ont jamais connu d’autre monde que celui avec Internet. Dans ce monde, ils considéreront le métavers comme tout à fait normal.
Avec l’intelligence artificielle, il sera possible pour tout le monde de suivre des personnes décédées. Plutôt que de contempler une photo, on pourra regarder un être en trois dimensions.
© Cristina Conti/Shutterstock
Vivre dans le métavers signifie-t-il également y mourir ?
C’est un dilemme éthique compliqué. Dans les mondes numériques, on trouve effectivement des personnes qui sont décédées dans le monde réel. De nos jours, un individu peut parfaitement continuer de vivre en tant qu’avatar dans un univers numérique après sa mort. Après votre décès, votre avatar peut être dirigé par quelqu’un d’autre dans le métavers. La question est : est-ce que c’est ce que nous voulons ? Nous devons nous demander où fixer la limite. Où se termine la vraie vie et où commence la vie virtuelle ? Où et comment s’arrête cette dernière ? Si vous créez quelque chose dans un monde numérique, cela y restera éternellement. Mais encore une fois : est-ce vraiment ce que vous voulez ?
Plus de questions que de réponses, alors ?
Absolument. Récemment, une conférence a eu lieu à Prague sur l’établissement de règles éthiques pour le monde artificiel. Actuellement, elles sont malheureusement insuffisantes, alors que le métavers devient de plus en plus grand et réel. Facebook est un bel exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Lorsque cette plateforme a commencé à prendre de l’ampleur, le gouvernement n’y prêtait aucune attention, ce qui a entraîné un retard considérable dans la législation. C’est ainsi qu’a éclaté le scandale de Cambridge Analytica. Avec la puissance de l’intelligence artificielle et l’avènement du métavers, on veut éviter ce genre de stratégies manipulatrices, mais cela nécessite une réglementation stricte. Nous n’y parviendrons pas en levant le doigt et en interdisant l’usage d’un langage discriminatoire.
Sur Facebook, vous pouvez désormais indiquer ce que votre profil doit devenir après votre décès. Si vous choisissez qu’il reste actif, quel est l’intérêt ?
Sur Facebook, je suis ami avec quelqu’un qui est décédé depuis dix ans. Ce profil existe toujours, donc je reçois une notification lorsque c’est l’anniversaire de cette personne. Moi-même et d’autres amis postons alors des vœux sur son profil. En principe, cet homme continue de vivre numériquement, car personne n’a supprimé son profil Facebook. Nous constatons que de nombreux profils disparaissent avec le temps, mais quelqu’un peut aussi simplement en reprendre un. J’ai entendu parler de celui d’une jeune fille décédée qui avait été repris par sa mère. Elle postait ou répondait au nom de sa fille. Cela peut avoir un sens dans un processus de deuil ou de réconfort. En même temps, un cadre législatif doit être mis en place, car tout le monde ne veut pas continuer de vivre numériquement. Ce sont des choses auxquelles nous devons réfléchir ici et maintenant, avant de mourir.
Voudriez-vous continuer de vivre en tant qu’avatar ?
Si mes proches peuvent se consoler avec un avatar de ce que j’étais ou de ce que j’aurais pu être, cela me va très bien. J’aime l’idée que mes arrière-petits-enfants rencontreront mon avatar et apprendront à me connaître de cette manière. Pour moi, c’est une façon de continuer de vivre après ma mort, c’est une pensée réconfortante. Mais mon avatar doit être constitué sur la base de mes données, de toutes les informations me concernant en tant qu’être humain. Je ne veux pas qu’on crée quelque chose qui ne corresponde pas tout à fait à ce que j’étais. Tant que vous n’avez pas conscience de votre finitude, vous ne pouvez pas profiter intensément de votre vie. Mais avec l’intelligence artificielle, il sera possible pour tout le monde de suivre des personnes décédées. Plutôt que de contempler une photo, on pourra regarder un être en trois dimensions. L’avatar du défunt sera présent aux funérailles, on pourra encore lui parler. Cela se fait déjà.
Avec l’intelligence artificielle, il sera possible pour tout le monde de suivre des personnes décédées. Plutôt que de contempler une photo, on pourra regarder un être en trois dimensions.
© Fizkes/Shutterstock
Nous allons aux funérailles de notre oncle décédé et qui trouvons-nous là-bas ? Notre oncle ?!
Je n’ai jamais connu ma grand-mère, elle est décédée pendant la Seconde Guerre mondiale, avant ma naissance. Ma mère en parlait souvent, mais je n’ai qu’une photo. Je n’ai jamais entendu sa voix ni son intonation, ni vu son expression faciale. Si aujourd’hui j’avais la chance de lui parler un instant, je le ferais immédiatement. Je donnerais beaucoup pour ça.
Même si ce n’était qu’un avatar ?
Cela me serait égal.
Vous savez que vous ne lui parleriez pas réellement ?
En effet, je converserais avec une version numérique réaliste d’elle. Des recherches ont été menées aux Pays-Bas à ce sujet. On a demandé à différentes personnes si elles voulaient parler virtuellement à leur partenaire ou à leur enfant décédé. Les sujets de l’expérience ont vu l’image de leur être cher disparu projetée sur quelqu’un d’autre – un thérapeute deepfake – devant eux. Le thérapeute a répondu aux questions des proches, avec la voix et l’apparence de la personne décédée.
Le deepfake, c’est quelque chose de complètement différent, n’est-ce pas ?
Le deepfake est une projection, tandis qu’un avatar est une réalité virtuelle. Dans le deepfake, une personne se met dans la peau de quelqu’un d’autre. Les participants à l’étude semblaient bien comprendre que c’était faux, pourtant ils se sentaient soutenus et réconfortés par la thérapie deepfake. Aujourd’hui, vous pouvez déjà réserver une telle thérapie de deuil après discussion.
Pouvons-nous encore simplement faire notre deuil, en disant au revoir définitivement ?
Bien sûr, mais ne voulons-nous pas tous croire en de belles histoires ? Les gens vont assister à des spectacles de magie, même s’ils savent qu’ils sont dupés. L’illusion et l’expérience comptent. L’inventeur de la thérapie deepfake le formule ainsi : la raison est mise de côté pour le sentiment agréable que les gens éprouvent en conversant avec le défunt. Ils parlent de tout et de rien, de ce qu’ils entendent, ressentent et voient. Est-ce bien ou mal ? Si cela atténue la douleur, cela n’a pas d’importance. Je ne pense pas que ce soit mal de se sentir bien avec quelque chose tant que nous en avons conscience. Un film n’est pas réel non plus, et pourtant nous allons massivement au cinéma. Cela relève du divertissement. Avec des avatars lors d’une cérémonie funéraire ou une thérapie deepfake pour des personnes en deuil, nous touchons à des sentiments humains classiques tels que la tristesse, la douleur et le manque. Vous pouvez vous poser de nombreuses questions à ce sujet. Est-il mal de recourir à des avatars et à la thérapie deepfake ? En soi, la technologie et son développement ne sont pas mauvais. C’est la manière dont nous les utilisons qui pose problème. Cette nouvelle réalité arrive de toute façon, il est grand temps d’y réfléchir. Avez-vous déjà regardé Matrix ? On y pose la question : « Comment définissez-vous le réel ? » L’avènement de l’intelligence artificielle rendra la frontière entre le monde réel et le monde virtuel très mince et probablement même complètement obsolète. Cela jouera également un rôle dans le deuil et dans notre relation avec la mort.
- Cet article est une adaptation en français de « Er is leven na de dood. Over YODT, avatars en deepfake », paru dans deMens.nu Magazine, 12e année, no 2, mis en ligne le 13 avril 2023. Il est publié ici avec l’autorisation de son autrice et de deMens.nu.
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