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Un ovni en prison

Propos recueillis par Dimitri De Smet1 · Délégué au service communication à deMens.nu

Avec la rédaction

Mise en ligne le 26 mars 2025

Nous sommes accueillis dans les Ardennes flamandes, au cœur du charmant village de Nukerke. Tout autour de la maison de Hans Claus, directeur de prison² récemment retraité et artiste à ses heures retrouvées, s’élèvent d’imposantes sculptures. Cet homme engagé est également le fondateur du concept de détention à petite échelle et l’auteur de la « Déclaration du 30 novembre : lignes directrices pour un monde vivable ».

Photo © Na Studio/Shutterstock

Vous avez depuis peu mis un terme à votre carrière de directeur de prison, après quarante ans de service. C’est bien cela ?

Trente-huit ans, pour être exact ! J’ai souvent travaillé trop longtemps et trop intensément, y compris les week-ends et les jours fériés. On peut donc arrondir à quarante ans ! Cela dit, tout va toujours plus vite, plus loin, plus longtemps, et cela, je n’en voulais plus. Je suis un paradoxe ambulant. Je regarde rarement en arrière, mais récemment, l’association Humanistisch Verbond m’a demandé d’écrire un livre. Ils souhaitaient que je réponde à la question : pourquoi suis-je devenu directeur de prison ? Parce que, franchement, ceux qui me connaissent ont toujours trouvé cela étrange. Je peins, je défends l’indépendance, la liberté d’expression, la créativité, et pourtant, je suis entré dans un système qui ne me ressemblait pas du tout.

Ce regard différent n’était-il pas précisément ce qu’il fallait ?

Bien sûr, j’espérais bien que cela profiterait à la société. On m’a probablement laissé faire sans bien mesurer l’ampleur de ce que cela impliquait. Il a fallu que je prouve ma valeur dans cet univers qui n’était pas toujours en phase avec mes idées. Intégrer ma vision dans un système qui s’y opposait souvent était un défi. Il fallait mériter une voix, montrer patte blanche à chaque partenaire. Mais je ne suis toujours pas sûr de savoir comment évaluer tout cela. J’ai cherché à entrer dans ce monde malgré ma réticence, car ni son contenu ni son appareil de contrôle ne me convenaient.

Hans Claus, Een groet die alle regels tart. 100 jaar gevangenis Oudenaarde, Bruxelles, ASP, 2022, 134 pages.

Mais vous avez tout de même impulsé de grands changements, non ?

C’est peut-être trop me créditer. Le mouvement humaniste existait déjà quand j’ai commencé. À l’époque, la société portait encore l’héritage des luttes d’émancipation des années 1960. Ces dynamiques mettent du temps à pénétrer le monde pénitentiaire. Au début des années 1980, une poignée de directeurs ont été sélectionnés pour insuffler cette pensée émancipatrice dans les prisons. Pourquoi ai-je été celui qui a incarné ce changement ? Peut-être parce que j’étais créatif là où mes collègues étaient plus prudents. J’ai aussi persisté, sans relâche, avec une idée concrète : les maisons de détention. Elles matérialisent ces idéaux émancipateurs. C’est une idée poétique qui a triomphé, même si elle heurtait de plein fouet l’image traditionnelle de la prison.

Pourquoi les maisons de détention constituent-elles une bonne alternative ?

Parce qu’on peut y traiter les détenus de manière profondément humaine et les accompagner dans la construction de leur avenir. Si vous astreignez un individu à un régime et à un règlement stricts, cette personne se soumet sans être encouragée à assumer ses responsabilités. On n’en apprend rien. Cela engourdit, anesthésie, et on en ressort inadapté à la vie en société. Une peine doit être centrée sur la personne, et non sur la prison. Or, en réalité, 80 % des efforts dans un établissement pénitentiaire servent à maintenir le fonctionnement de la prison et de ses règles. Les individus y sont constamment subordonnés. Je dirais donc que nous manquons la cible à 80 %. Avec les maisons de détention, nous ne manquerions la cible qu’à 20 %.

Ces maisons de détention suscitent des réticences du genre « pas dans mon jardin ».

La vigueur de la résistance prouve justement qu’un véritable changement est en cours. C’est certainement difficile, mais la différence avec la situation d’il y a dix ans est énorme. Aujourd’hui, presque tout le monde adhère au concept de la détention à petite échelle. À condition, bien sûr, que cette maison ne soit pas dans leur rue et qu’elle soit destinée à des publics spécifiques qu’ils jugent légitimes. « Mais pas pour des criminels dangereux », entend-on souvent. Pourtant, ces critiques méconnaissent la réalité. J’ai travaillé pendant des années avec ces prétendus grands criminels. De qui parle-t-on exactement ? Veut-on désigner des personnes condamnées à de longues peines ? Mais des délits graves et des peines longues ne riment pas nécessairement avec culpabilité extrême ou dangerosité. Si on observe les relations humaines, on comprend que quelqu’un peut avoir un accès de violence. Le contexte est crucial. De plus, ceux qui purgent de longues peines en prison posent la plupart du temps le moins de problèmes. Vous apprenez à mieux les connaître, et ils participent généralement plus facilement à la vie dans une maison de détention. Après tout, c’est leur maison pour de nombreuses années. Les prétendus petits criminels, que tout le monde imagine bien dans une maison de détention, causent parfois plus de soucis. Souvent, ils se sentent beaucoup moins impliqués. Ils y séjournent brièvement, ce sont dans certains cas de jeunes délinquants en rébellion contre le système, ce qui complique les choses. Les gens ont une idée fausse de la réalité, et tous ces clichés m’irritent. Au comptoir, tout le monde se croit criminologue. Les gens pensent savoir comment faire sans jamais avoir passé une journée sur le terrain.

Les maisons de détention matérialisent des idéaux émancipateurs.

© Na Studio/Shutterstock

Que vous réserve l’avenir ?

Maintenant que je suis à la retraite et que je touche enfin mon revenu de base, j’ai le temps de me consacrer entièrement à des projets comme De Huizen et Rescaled3. Désormais, les maisons de détention et de transition sont inscrites dans la loi. Actuellement, il y en a cinq, et six autres devraient voir le jour. Des négociations gouvernementales sont en cours, et nous restons en contact avec les négociateurs. Je sers de lien entre le monde carcéral et le monde politique. La politique doit impérativement agir, car les prisons sont dans une crise permanente. J’étais récemment à Merksplas4, et ce que j’y ai vu dépasse l’entendement. Lorsque j’ai commencé, nous voulions encore ouvrir les prisons à la culture, aux bibliothèques, à l’éducation. Aujourd’hui, c’est un enchaînement constant de crises à gérer : manque de personnel, surpopulation, incidents médiatisés, droits des détenus. Voilà la réalité des directeurs actuels. Peut-être que tout le monde a déjà oublié les récents événements à Anvers (un prisonnier y a été torturé par ses codétenus, NDLR), mais de tels incidents se produisent probablement chaque mois quelque part. Oui, dans ce pays, au cœur de l’Europe, berceau des droits humains.

Hans Claus, Verklaring van 30 november, Anvers, Humanistisch Verbond, 2020, 47 p.

Est-ce que le revenu de base est une solution ?

C’est la seule issue possible, selon moi. Si les gens doivent travailler uniquement sous la menace de la pauvreté ou de la faim, alors on peut parler d’esclavage. Le progrès doit être redéfini. Actuellement, l’intelligence artificielle est considérée comme une avancée. Si l’IA nous permet d’avoir plus de temps les uns pour les autres, alors c’est une bonne chose. Le progrès, c’est avoir davantage de temps pour ce qu’on aime faire et pour être ensemble. Les personnes disposant d’un revenu de base ne resteront pas assises à ne rien faire, elles s’investiront différemment et se concentreront sur d’autres choses. Ce dont un être humain a besoin, c’est un toit au-dessus de sa tête, de la nourriture, des vêtements adaptés aux conditions climatiques et, surtout, du temps pour les autres. L’idée que cela n’est pas abordable est fausse. Nous avons les moyens techniques pour le réaliser, mais cela exige un changement de valeurs. Nous devons reconnaître que la croissance économique n’est pas un objectif ultime. Le développement humain et le bien-être sont tout aussi importants.

Y a-t-il un message ou une réflexion que vous souhaitez partager ?

Selon moi, le message le plus important pour l’humanité est de créer du calme. Parce que si vous regardez la Terre depuis la Lune, il n’y a qu’une chose qui vous inquiète réellement : c’est l’agitation croissante de l’humanité. La quantité de mouvements que nous faisons, la quantité de matière que nous extrayons de la terre, tout cela bouleverse l’atmosphère, dont nous ne sommes qu’une infime particule. Créer du calme, voilà le message. C’est aussi la note fondamentale de la Déclaration du 30 novembre. Nous devons apprendre à instaurer du calme dans nos vies et nos sociétés, pour construire un avenir meilleur pour nous-mêmes et pour les générations à venir.

  1. Cet article est une adaptation en français de « Kunst kan wel degelijk de wereld redden », paru dans deMens.nu Magazine, 13e année, no 4, mis en ligne le 7 janvier 2025. Il est publié ici avec l’autorisation de deMens.nu.
  2. À Gand, Saint-Gilles et à Audenarde de 2005 à 2024, NDLR.
  3. De Huizen ASBL œuvre à la réalisation de maisons de détention à petite échelle et Rescaled est le projet européen sur les maisons de détention fondé par Hans Claus, NDLR.
  4. Maison de peine à régime semi-ouvert, qui comprend une section pour internés handicapés mentaux, NDLR.

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