Rendez-vous avec
Ahmad Massoud
Un enfer pour les citoyen.ne.s,
un refuge pour les terroristes
Propos recueillis par Lailuma Sadid · Journaliste
Avec la rédaction
Mise en ligne le 13 mars 2024
En 1996, lorsque les talibans ont pris le contrôle d’une grande partie de l’Afghanistan, un nom a résonné dans le monde entier : Ahmad Chah Massoud. Également connu sous le nom de « Lion du Panchir », le commandant Massoud a résisté aux Soviétiques, aux talibans et créé le Front uni avec ses alliés du Nord avant d’être assassiné en 2001. Auteur de Notre liberté, son fils, Ahmad, 32 ans, s’exprime sur sa résistance à lui et sur sa volonté de réunifier l’Afghanistan.
Photo © Adjin Kamber/Shutterstock
Lorsqu’en août 2021, les talibans s’emparent de l’Afghanistan, vingt ans après l’assassinat de son père et vingt-six ans après la première prise de Kaboul, Ahmad Massoud reprend le flambeau de la résistance. Jeune leader du Front de résistance nationale (FNR), essentiellement basé dans la vallée du Panchir, il entend contrer l’obscurantiste régime des talibans et défendre les valeurs démocratiques dans son pays. Journaliste afghane en exil, j’ai eu la joie de le rencontrer lors de sa visite à Bruxelles où il était venu présenter son livre Notre liberté. Le jeune leader a exprimé ses profonds regrets face au désengagement de la communauté internationale en Afghanistan, rappelant que son père avait été assassiné par deux kamikazes belges se faisant passer pour des journalistes en 2001, deux jours seulement avant les attentats de New York et de Washington du 11 septembre… Il rappelle qu’aujourd’hui « l’Afghanistan est devenu un enfer pour ses citoyens, mais un paradis pour les terroristes ». Et que nous devrions nous méfier de l’actuelle équation, si semblable à celle en vigueur voici une vingtaine d’années.
Où êtes-vous né et où avez-vous étudié ?
Je suis né en juillet 1989 dans une petite ville appelée Piyu, dans la province de Takhar, au Nord-Est de l’Afghanistan. Je suis diplômé de l’Académie royale militaire de Sandhurst. J’ai également terminé un cursus en études de guerre au King’s College de Londres. J’ai donc à la fois étudié la guerre et les relations internationales, en intégrant les perspectives occidentales, arabes, turques et afghanes.
Ahmad Massoud, Notre liberté, préface d’Olivier Webern Paris, Bouquins, 2023, 344 pages.
Quel a été votre sentiment lorsque vous avez été invité en Belgique pour la présentation de votre livre ?
Lorsque j’ai été invité en Belgique, j’y ai répondu positivement pour plusieurs raisons. Premièrement, c’est la capitale de l’Europe. Deuxièmement, cela m’a rappelé que mon père avait aussi été invité par l’Union européenne, même si ce n’était pas à Bruxelles. Troisièmement, je veux transmettre un message aux familles de ces deux personnes qui s’étaient prétendues journalistes pour venir assassiner mon père, mais qui étaient en réalité des membres d’Al-Qaida : « Vous avez assassiné Ahmed Chah Massoud, mais des millions de personnes ont suivi sa voie et des millions de Massoud sont nés et ont lutté pour leur liberté. Et nous poursuivons ce combat. »
Vous voyagez à l’étranger, rencontrez des dirigeants politiques et des parlementaires en Europe. Pourquoi n’avez-vous pas reçu de soutien politique et financier ?
Mes voyages n’ont pas pour but de solliciter une aide étrangère de l’Est ou de l’Ouest. Mon premier objectif est d’attirer l’attention sur les voix, réduites au silence, des hommes et des femmes d’Afghanistan. Je suis ici pour amplifier les appels d’une nation que le monde a choisi de négliger, et de transmettre la douleur et la souffrance qu’elle endure. En tant que citoyen afghan, représentant de son peuple et chef du Front de résistance nationale d’Afghanistan, je m’engage à les défendre face aux brutalités, aux injustices et à la violence actuelles. Je ressens une profonde obligation de rester ferme face à ces enjeux et de sensibiliser à la situation angoissante à laquelle est confronté le peuple afghan. La communauté internationale doit reconnaître et comprendre la tragique situation dans laquelle se trouve mon peuple. Ces rencontres permettent de faire entendre ces voix. Cela peut redonner espoir aux personnes désespérées et mettre en lumière les défis auxquels elles sont confrontées chaque jour. Mais notre espoir ne repose pas uniquement sur l’aide étrangère. Même si nous ne sommes pas soutenus, notre détermination ne doit pas faiblir. Notre résistance se poursuivra, car avec le soutien uni de notre peuple, nous sommes convaincus que nous l’emporterons. Je crois fermement qu’avec l’aide de Dieu, le peuple afghan surmontera ces adversités et que la victoire est à sa portée.
Quelle est la situation actuelle de la population afghane, et en particulier celle des femmes, sous le régime des talibans ? Ces derniers, au nom de la religion, commettent des violences contre le peuple. Des personnes sont emprisonnées, violées, contraintes au déplacement ou à la migration, au mariage forcé, des meurtres sont commis sur des personnes sans défense. Comment peut-on tolérer cela ?
Il faut souligner que les talibans ne comprennent que le langage des armes, et que nous, l’opposition, nous sommes seuls. Tous ces crimes et actes d’oppression commis par les talibans contre les citoyens afghans ne sont en aucun cas acceptables. Tout le monde voit et est conscient que les gens vivent dans des conditions très difficiles. Cependant, si les voix des femmes ne résonnent pas avec autant de force que souhaité, c’est parce que le monde n’a pas soutenu le peuple afghan, en particulier ses femmes. Il n’entend pas leurs voix, et cette négligence est une injustice supplémentaire que la communauté internationale inflige aux Afghans. Si le peuple était soutenu, je suis certain que les individus de tous âges, hommes et femmes, se lèveraient dans les rues, dans les montagnes et partout pour se défendre et se libérer de ce régime brutal. Un soutien authentique est nécessaire. Cela me fait de la peine que notre peuple ait versé du sang, ait été tué et ait compté autant de martyrs. Mais alors que leur sacrifice résonne jusque dans les montagnes, la communauté internationale reste largement silencieuse sur ces crimes. C’est injuste.
Un autre point essentiel est que les femmes sont les principales héroïnes de l’Afghanistan contemporain. Bien qu’elles aient été confrontées aux conditions les plus dures sous le régime taliban au cours de ces deux années, endurant l’oppression, la torture et risquant leur vie pour leurs droits, elles persévèrent. Elles ont été privées de tous les droits, emprisonnées, violées, mariées de force, expulsées de leurs maisons et tuées. Pourtant, leur motivation reste intacte et leur résistance se poursuit, renforçant leur détermination à se lever et à défendre leur patrie. À nos sœurs, je dis : « Nous sommes à vos côtés. » La communauté internationale ne devrait pour le moins pas rester silencieuse face aux violations flagrantes des droits humains perpétrées par les talibans. L’Afghanistan n’est pas seulement une prison pour femmes, c’est un enfer pour tous ses citoyens, et un refuge pour les terroristes. La communauté internationale devrait davantage porter son attention vers ce pays. Des groupes terroristes comme Al-Qaida, Daesh et d’autres opèrent en toute impunité en Afghanistan. Et il n’y a pas de frontières pour ces terroristes.
Depuis leur coup d’État de 2021, les talibans ont retiré un à un leurs droits aux Afghanes.
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Étant donné que les talibans ne respectent pas les droits de l’homme, les droits des femmes et les droits des autres groupes ethniques, devrions-nous engager un dialogue avec un groupe qui ne semble pas comprendre l’humanité et la diplomatie ?
La question est complexe et très controversée dans les relations internationales et la diplomatie. Cela implique un examen attentif de plusieurs éléments, notamment leurs actions passées et leur volonté de s’engager dans des négociations pacifiques, avec le potentiel d’issues positives. Plusieurs points sont donc à considérer. Il est important de reconnaître et de condamner les violations des droits humains et des droits des femmes lorsqu’elles se produisent. De nombreux pays et organisations internationales ont vivement critiqué les talibans pour leurs actions dans ces domaines. Discuter avec de tels groupes devrait impliquer un engagement clair à améliorer ces situations. La diplomatie est souvent considérée comme l’approche privilégiée pour résoudre les conflits. Dialoguer peut être un moyen d’influencer et de faire pression sur un groupe pour qu’il respecte les normes et valeurs internationales, y compris les droits humains. Mais nous voyons et savons que les talibans ne respectent aucune de ces valeurs.
Il s’agit donc d’une décision éthiquement difficile pour le moment que d’engager le dialogue avec un groupe comme les talibans. Cela pourrait être plus efficace si des conditions préalables et claires étaient établies. Il pourrait s’agir d’exigences en faveur d’une amélioration des droits de l’homme, des droits des femmes ou d’engagements en faveur d’une résolution pacifique des conflits. Il est également très important d’établir des contacts avec les organisations de la société civile, les ONG, les politiques et les militaires, qui peuvent jouer un rôle essentiel dans la promotion du dialogue, de la paix et des droits humains. En fin de compte, l’opportunité d’engager un dialogue avec des groupes comme les talibans est une question de jugement, fondée sur les spécificités de la situation, les perspectives de changement positif et les risques. Il s’agit d’une décision qui implique un équilibre délicat entre des considérations diplomatiques, éthiques et pragmatiques, et qui peut varier d’une situation à l’autre.
La communauté internationale est souvent confrontée à des choix difficiles lorsqu’elle traite avec de tels groupes, et ces décisions peuvent faire l’objet de débats et de désaccords permanents. Nous savons que les talibans communiquent par la violence. Il est toujours utile de rappeler les paroles de Luqman Hakim, un « homme sage », qui a déclaré : « J’ai appris la politesse auprès des gens impolis. » Nous devons nous en remettre à la population lorsque nous planifions notre avenir. Laissez le peuple décider, respectez ses choix et soutenez les processus légitimes comme les élections qui conduisent à la formation d’un gouvernement libre. Même s’ils devaient finalement soutenir les talibans, il faut donner aux gens les moyens de prendre leurs décisions. J’insiste sur l’importance d’utiliser un langage politique et diplomatique, cette dialectique est intrinsèque à notre approche intellectuelle. Lorsque les talibans recourent au langage de la torture, notre réponse doit être ancrée dans celui de la diplomatie.
Pensez-vous que les talibans comprennent le langage de la politique et de la diplomatie ? Nous avons vu les résultats d’une telle diplomatie dans les négociations de Doha. Alors que le monde s’engage dans cette voie, les talibans poursuivent leurs violences.
Cette tâche n’est pas simple, il serait plus efficace de s’adresser aux groupes d’opposition comme le nôtre, ainsi qu’aux mouvements de femmes et à la société civile. Il est essentiel d’établir des liens avec ces groupes et de les soutenir, car nous sommes attachés à la démocratie, aux droits de l’homme et des femmes et à l’État de droit. Nous recherchons la justice, la liberté et la démocratie pour tous les citoyens de notre nation. L’engagement direct avec les talibans doit être abordé avec prudence. Si vous pensez que les talibans peuvent être influencés par la diplomatie et des incitations financières, vous vous trompez lourdement. La communauté internationale devrait défendre la cause de la démocratie et de la liberté, faute de quoi la nation succombera à un régime dur et répressif. En méprisant les droits humains fondamentaux, en particulier ceux des femmes et des filles, ainsi que les libertés individuelles, ils montrent leur vrai visage. La résistance des « lionnes » à différents égards nous inspire. Je suis immensément fier d’elles et je me tiens aux côtés de mes sœurs. La résistance est notre principal outil pour défendre notre peuple. Il est essentiel de se rappeler que si nous compromettons notre moralité, notre culture, nos croyances et adoptons leur comportement, la distinction entre nous et les talibans s’estompe. Par conséquent, nous devons rallier le soutien de tous les groupes ethniques dans nos efforts de défense, en imitant l’héritage du héros national Ahmed Chah Massoud. Malheureusement, notre pays est redevenu un terrain fertile pour le terrorisme, menaçant la paix et la stabilité aux niveaux régional et mondial. Tout engagement extérieur avec les talibans devrait dépendre de leur reconnaissance légitime par la population afghane par les voies appropriées. Les interactions internationales ne peuvent pas conférer aux talibans une légitimité nationale. Cependant, il est important de noter que la situation en Afghanistan est très fluctuante et que la dynamique du pouvoir est toujours sujette au changement. Les derniers succès du FNR et sa capacité à influencer le paysage politique en Afghanistan dépendront de divers facteurs, notamment de sa capacité à maintenir un front uni, de ses relations avec d’autres acteurs politiques et du contexte géopolitique plus large.
Vous avez parlé d’unité et de résistance. Malgré plus de deux années sous le régime extrémiste des talibans, vous n’avez pas réussi à vous aligner sur le parti Jamiat-e Islami, partisan de votre père. Pour quelle raison ?
À cet égard, je pense que nous avons obtenu des résultats positifs sur certains points, par exemple en matière d’unification et de cohésion des personnes issues de divers milieux socio-économiques. Un autre effort important fut porté sur la coordination étroite avec le peuple et le Conseil suprême de la Résistance nationale pour le salut de l’Afghanistan. Le Front de résistance nationale a entamé cette démarche et, simultanément, d’autres groupes de la population afghane sont parvenus à un consensus grâce à un processus continu. Le processus de Vienne a été établi grâce à nos efforts. Nous travaillons donc activement à l’unité des citoyens afghans. Si ce processus l’emporte, les talibans seront bientôt confrontés à leur défaite. Je suis optimiste que cela se réalise rapidement et j’ai confiance dans notre victoire imminente. Établir la représentation du Front en Amérique constitue également un accomplissement notable et j’espère que ces efforts produiront des résultats encore plus positifs. Nos adversaires comprennent nos vulnérabilités et les exploitent pour semer la discorde et maintenir le contrôle. Cependant, notre acte de résistance est fondamental et nous sommes déterminés à progresser dans cette direction. Nous gardons espoir d’y parvenir, car nous croyons que le pouvoir du peuple reflète le pouvoir de Dieu. Le traitement cruel et violent infligé au peuple afghan par les talibans n’est en aucun cas représentatif de l’islam, leurs actions sont totalement dénuées d’humanité. Où dans le Coran déclare-t-on que les filles et les femmes doivent se voir refuser l’éducation ? Nous devons donner la priorité à l’humain et traiter chacun avec respect.
Un certain nombre de jeunes critiquent le FNR pour son adhésion à des partis politiques qui semblent avoir abandonné le peuple afghan. Quelle est votre réponse à ces critiques ?
L’heure n’est pas aux critiques. Tout le monde sait que les dirigeants précédents ont gravement violé les droits du peuple. Sans aucun doute, ce dernier mérite de savoir pourquoi ces dirigeants ne l’ont pas soutenu. Mais l’heure n’est pas au jugement. Le moment est venu de faire preuve d’unité et de solidarité pour défendre notre pays. Lorsque tout ceci sera terminé, ils pourront être traduits en justice. J’exhorte tous les Afghans, de tous groupes ethniques, hommes et femmes, à s’unir et à continuer de résister jusqu’à ce que nous triomphions. Mon message à la jeune génération afghane est de ne pas jouer au juge pendant cette phase critique, contrairement à d’autres groupes. Mais rassurez-vous, nous n’oublierons pas et nous y reviendrons ultérieurement. Si nous ne nous unissons pas pendant cette période difficile, le succès ne sera pas au rendez-vous. Dirigeons nos critiques vers les atrocités commises par les talibans. Si Ahmed Chah Massoud était en vie, son approche serait la même : s’unir d’abord contre l’ennemi commun, puis lutter pour nos droits et notre liberté. Après la victoire, nous pourrons débuter le processus visant à demander des comptes à ces personnes. J’ai un message pour la génération éveillée de l’Afghanistan : « Si vous aimez Ahmed Chah Massoud, le héros national, et sa vision de la liberté, ce qui, je crois, est le cas de la plupart des Afghans, alors suivez son chemin et préparez-vous à une résistance profonde et vigoureuse. Cela signifie défendre les valeurs humaines, les droits de l’homme, et en particulier les droits des femmes, qui étaient essentiels au héros national. Poursuivez vos campagnes civiques, politiques et militaires ! » Aujourd’hui, des extrémistes dirigent l’Afghanistan, leur principale lutte étant contre l’éducation, notamment celle des filles. Comme je l’ai déjà mentionné, la résistance ne concerne pas seulement le champ de bataille, elle englobe toutes les formes de défi, y compris les vaillants efforts des femmes afghanes, tant au pays qu’à l’étranger.
Quelle est la force politique du Front de résistance ?
Concernant la force militaire et politique du Front, il est clair que nous avons recherché un soutien national et étranger sous diverses formes. Malheureusement, nous n’avons rencontré aucune approbation externe significative, ce qui nous laisse isolés. Cependant, nos forces, avec la grâce de Dieu, restent inflexibles dans la défense du peuple sur tous les terrains et dans toutes les conditions, avec des ressources limitées. Leur ténacité représente leur force et celle du front politique. Si l’on regarde l’histoire du monde, les discordes internes ont conduit à la chute des nations, tandis que l’unité aboutit à la victoire et la paix. Nous avons encore la possibilité de favoriser la confiance et de nous unir dans cette bataille cruciale. En tant que fer de lance de cette résistance, j’ai maintenu la transparence et adopté une politique de porte ouverte. Notre objectif reste d’unifier, mais pour ceux qui ne veulent pas collaborer, le choix leur appartient. Nous avons partagé nos objectifs et nos stratégies avec plusieurs factions. Malheureusement, l’absence de cohésion nous a empêchés de réaliser des coentreprises significatives. Nous disposons de suffisamment d’équipements pour défier les talibans, mais pas assez pour les renverser ou exercer le type de pression qui mènerait à des négociations importantes. La communauté internationale doit en prendre conscience.
Nous avons entendu dire que les talibans avaient l’intention de convoquer une Loya Jirga1 en Afghanistan. Quelle est votre position à ce sujet ? Si vous êtes invité, participerez-vous ?
L’année dernière, ils ont convoqué une Loya Jirga, mais la tenue de telles jirgas chaque année ne soulagera pas la douleur. Les participants, au nombre de 3 000 à 5 000 personnes, représentent-ils réellement les 40 millions de citoyens afghans ? Les désirs du peuple seront-ils pris en compte dans cette jirga ? Les femmes y auront-elles un rôle ? Lorsque des questions cruciales comme l’éducation, les droits de l’homme, les droits des femmes et des filles, la liberté et la presse ne sont pas abordées dans ces jirgas, les problèmes persistent. Ces questions nécessitent une plus grande attention. Dans ce contexte, les talibans devraient s’aligner sur les valeurs universelles, qui revêtent pour nous une immense importance. S’ils établissent un gouvernement inclusif et respectent ces principes, nous pourrions alors envisager de répondre à leur invitation. Autrement, il n’est pas judicieux de faire confiance à un groupe qui s’est révélé à maintes reprises en être indigne. La préoccupation majeure concerne les actions concrètes des talibans : la fidélité avec laquelle ils adhèrent à leurs promesses et les mettent en œuvre. Les talibans ont induit en erreur non seulement le peuple afghan, mais aussi la communauté mondiale, en ne respectant pas leurs engagements. En conséquence, la confiance de la population dans les talibans s’est érodée.
Un groupe de talibans s’est rendu en Allemagne en novembre dernier pour discuter. Auriez-vous souhaité participer à ces conversations ? Comment voyez-vous la situation en Afghanistan aujourd’hui ?
D’après notre expérience, les talibans s’engagent souvent dans des pourparlers principalement pour leur propre bénéfice plutôt que pour des intérêts plus larges. Le dialogue, la négociation et le compromis sont en effet des efforts positifs, mais seulement si le groupe est sincère et n’utilise pas simplement le terme « négociation » comme moyen de tromper à la fois le peuple et la communauté internationale. Mon père estimait que la légitimité politique émanait du peuple. Sa vision de l’Afghanistan était celle d’un pays riche en diversités religieuse, ethnique et linguistique. Cette vision a jeté les bases d’un système pluraliste et décentralisé dans lequel le pouvoir est réparti équitablement entre les citoyens. Il est essentiel de surveiller de près la situation en Afghanistan, car elle s’apparente à une bombe à retardement qui pourrait exploser sans avertissement. Si la communauté internationale continue de sous-estimer les risques de terrorisme et d’extrémisme émanant d’Afghanistan, les conséquences pourraient être désastreuses. De telles menaces ne se limitent pas aux frontières du pays, elles ont le potentiel de proliférer à l’échelle mondiale. Le commandant Massoud avait déjà mis en garde le monde, en particulier l’administration américaine, contre la grave menace posée par Al-Qaida en 2001, lors de sa visite au Parlement européen à Strasbourg !
- Terme pachtoune qui désigne une assemblée de dirigeants nationaux et de chefs tribaux convoquée afin de prendre les grandes décisions concernant le peuple afghan, NDLR.
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