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Émancipation
et autonomie,
moteurs de la marche
du progrès

Justine Bolssens · Déléguée « Étude & Stratégie » au CAL/COM

Mise en ligne le 14 mai 2024

Dans un monde en perpétuelle évolution, l’émancipation individuelle, l’autonomie de choix et l’accès aux droits fondamentaux restent les piliers d’une société éclairée et progressiste. Ces valeurs doivent être protégées, mais doivent également s’adapter aux nouvelles réalités sociétales. C’est dans cette optique que le Centre d’Action Laïque s’engage depuis de nombreuses années sur des dossiers cruciaux tels que l’euthanasie, l’avortement, la garantie de l’égalité de genre, les droits des personnes détenues ou encore la régulation des psychotropes par l’État.

Illustrations : Olivier Wiame

La Belgique est-elle un État progressiste ? Ce n’est ni tout à fait vrai ni tout à fait faux. Sur le plan politique, elle est souvent saluée pour son système de gouvernement fédéral, favorisant la décentralisation du pouvoir. Certaines avancées comme la légalisation du mariage homosexuel en 2003 témoignent aussi de son engagement dans le sens de l’égalité des droits et la reconnaissance de la diversité familiale. Le coefficient de Gini – cet indice mesurant la distribution des revenus au sein d’une population – place notre pays parmi les plus égalitaires du monde.

Des défis persistent cependant en matière de représentation politique équilibrée entre les sexes, des préoccupations subsistent sur la mauvaise gestion des questions migratoires, de nombreuses lois du siècle dernier peinent à être modifiées en dépit des constats récurrents d’inefficacité, le rapport PISA évaluant la compétence scolaire annonce une baisse des performances, etc. La Belgique doit en conséquence résoudre plusieurs problèmes pour noter une progression complète ou significative dans tous les domaines.

Les tendances conservatrices se multiplient, l’extrême droite pèse de plus en plus dans la vie politique de nombreux pays avec comme conséquence des mouvements rétrogrades sur des dossiers que la société civile demande pourtant de faire évoluer depuis de nombreuses années. Résolument progressiste, le CAL œuvre pour construire une société dans laquelle chaque individu peut jouir pleinement de ses libertés, de sa dignité et de ses droits. Dans un système démocratique, l’objectif est de rencontrer les aspirations de la population. Mais que faire face à celles et ceux qui, tout en érigeant de grands principes moraux souvent manichéens, adoptent une position conservatrice inégalitaire ? La diversité des actions du mouvement laïque peut parfois paraître déconcertante, alors qu’en réalité, tout converge vers l’importance accordée à l’autonomie des décisions et à l’émancipation. En se tenant éloigné d’une posture dogmatique et moralisatrice, le mouvement privilégie une approche libre exaministe.

Le libre choix, de la vie à la mort

L’euthanasie et l’avortement demeurent au cœur des préoccupations du CAL. Actuellement, l’accès à ces droits varie considérablement d’une région du monde à l’autre, voire à l’intérieur d’un même pays. Certains individus se heurtent à des barrières législatives et sociales qui restreignent leur droit de disposer de leur propre vie ou de leur corps. L’enjeu contemporain réside dans la nécessité de garantir un accès universel à l’euthanasie et à l’avortement, permettant à chacun.e de faire des choix éclairés sur sa vie, tout en respectant les valeurs de la société. Cela passe par la sensibilisation et le lobbying politique en faveur d’une législation respectueuse des droits individuels et des choix personnels.

En ce qui concerne l’euthanasie, les législations existantes doivent être consolidées et améliorées afin de garantir le respect des volontés des patient.e.s en fin de vie. La déclaration anticipée montre ses limites puisqu’elle ne peut servir de base à une euthanasie que lorsque le patient, atteint d’une affection grave et incurable, est inconscient et que sa situation est irréversible eu égard à l’état actuel de la science. La libérer de son carcan permettrait aux personnes de définir les conditions dans lesquelles elles souhaitent que l’acte soit pratiqué alors qu’elles ne sont plus estimées en capacité de formuler une demande actuelle en raison de lésions cérébrales graves.

En ce qui concerne l’avortement, malgré des propositions plus progressistes déjà formulées en vain en 1990, date qui marque le vote de la première loi sur l’IVG en Belgique (quinze ans après notre voisin français, soulignant ainsi une très lente évolution), la législation belge ne parvient toujours pas à répondre pleinement aux besoins des femmes, aux demandes du terrain ni aux recommandations scientifiques et académiques.

Dans ces deux dossiers, le travail du CAL consiste à se distancer de postures idéologiques et dogmatiques, ouvrant dès lors les portes au choix des femmes et des personnes en fin de vie. Ces deux dossiers illustrent les défis persistants liés à l’imposition de valeurs sociétales et de jeux politiques et électoraux sur des choix et des situations éminemment personnels.

L’égalité de genre, un pilier indispensable

On peut observer quelques avancées, mais malgré des progrès significatifs, l’égalité de genre demeure une lutte constante. Les disparités salariales, les stéréotypes de genre et la violence envers les femmes se perpétuent dans de nombreux secteurs à l’échelle mondiale. Les chiffres sont criants : 83 % des ménages monoparentaux ont des mères à leur tête1, 70 % des Belges en situation de pauvreté individuelle sont des femmes2 et 98 % d’entre elles ont été la cible de harcèlement de rue3. Notre société ne parvient clairement pas à donner à tou.te.s ses citoyen.ne.s les mêmes chances. Le plus terrifiant est que, malgré ces chiffres, beaucoup de personnes continuent de nier ces réalités.

Le travail sur ce(s) sujet(s) n’est pas simple puisqu’il consiste à rendre visible ce qu’on ne veut pas voir, à pousser une société confortablement installée dans un système patriarcal à se remettre en question, à aider, à permettre à cette même société de repenser son fonctionnement pour octroyer aux femmes et aux minorités de genre une pleine autonomie de décision. Il faut noter que l’évolution politique de nombreux pays européens (dont le nôtre) ne suscite pas forcément l’optimisme étant donné qu’Europol dans un rapport de 20204 pointe les liens étroits entre les théories misogynes, l’antiféminisme et les idéologies d’extrême droite particulièrement en vogue.

L’objectif est d’offrir les mêmes chances et possibilités de participation à la société que celles accordées aux hommes dans des situations similaires. Sans égalité de genre, il ne peut exister de cohésion sociale. Et sans cohésion sociale, il est impossible de construire une société où chacun.e peut trouver sa place. L’enjeu actuel est d’instaurer une égalité de genre réelle, dépassant les discours, les vœux pieux, pour exister concrètement dans toutes les sphères de la vie sociale et professionnelle. Aux côtés de nombreuses associations et militantes féministes, le CAL s’efforce de faire évoluer les mentalités, de promouvoir des politiques inclusives et de soutenir des initiatives visant à éradiquer les discriminations basées sur le genre.

Pour une justice de sens

Autre domaine qui met à mal les droits et la dignité des personnes : la prison. Le CAL analyse de manière critique la politique pénitentiaire, marquée par une surpopulation carcérale qui porte atteinte aux droits des personnes détenues et limite grandement leur possibilité de réintégrer la société. La surpopulation carcérale en Belgique n’est pas le résultat direct d’une augmentation de la criminalité, mais plutôt de facteurs socio-économiques et d’une politique au tout-pénal et à la répression. Les causes principales sont le recours excessif à la détention préventive, aux peines privatives de liberté et la criminalisation de comportements comme la consommation de drogues. Les conditions précaires de détention et l’absence de programmes de réinsertion entravent la construction d’un processus axé non pas sur la répression mais sur la réhabilitation.

Grâce à l’assistance morale en prison, à ses ateliers de philosophie et de citoyenneté et à son plaidoyer politique, le CAL vise à garantir le respect des normes légales de détention, limitant autant que possible ses impacts « négatifs ». Remettre en question la politique pénitentiaire de la Belgique est un défi et souligne que les efforts actuels ne suffisent pas à remédier à l’inefficacité de la prison. Collaborant avec des expert.e.s et des associations de droits humains, le mouvement laïque met, une fois de plus, l’accent sur la nécessité de dépasser les idéologies qui, adoptant une vision binaire, résument les détenu.e.s à leurs délits. Plaider en faveur d’une politique pénale réductionniste ne revient pas à nier les actes commis ni à enlever toute responsabilité aux auteur.e.s. L’objectif est de prendre de la hauteur, d’adopter une vision humaine et à plus long terme. La peine de prison a clairement montré ses limites, et la solution ne peut être que de la prononcer en ultime recours et dans le respect des droits des personnes incarcérées.

Les psychotropes, un défi de santé publique

En Belgique, régie par une loi datant de 1921, l’approche prohibitionniste des drogues n’éradique pas les problèmes sociaux, sanitaires et sécuritaires liés à la consommation des drogues. Le constat est clair : se procurer de la drogue est facile, et les politiques d’interdiction actuelles ne fonctionnent pas. Il est nécessaire d’adopter une démarche pragmatique, en travaillant sur la prévention, les facteurs sociaux influençant la consommation, et en offrant des solutions accessibles tout en réduisant les risques pour la santé publique. Bien que l’objectif ne soit pas d’encourager la consommation, la réalité impose une légalisation des drogues, sous la régulation de l’État, pour en contrôler la qualité et prévenir les impacts sur la santé publique.

Actuellement, environ 50 % des personnes détenues sont incarcérées pour des infractions liées aux stupéfiants. Le CAL souligne l’incompatibilité de l’arsenal législatif existant avec les valeurs laïques de responsabilité, d’autonomie et de liberté individuelle. Sa proposition de modification législative vise à ce que l’État régule la production, le commerce et la consommation de tous les produits psychotropes, tout en insistant sur la nécessité de décriminaliser les comportements liés à leur usage. Il est important de noter que la société a une vision trop manichéenne de la consommation de drogues.

Dans ces contextes, la promotion de l’émancipation individuelle et de la défense des droits fondamentaux constituent des axes de travail cruciaux pour l’avenir du pays. S’efforcer de contribuer à façonner une société où l’autonomie, la dignité et l’accès aux droits seraient enfin des réalités et non des déclarations d’intention, une société dans laquelle chaque individu peut exercer ses libertés et être maître de ses choix et de son bien-être : voilà ce qui motive les laïques.

  1. Noémie Emmanuel, « Monoparentalité et mal-logement : une histoire de femmes », mis en ligne sur ligue-enseignement.be, 7 février 2022.
  2. Thomas Delclite et Geneviève Geenens, « Inégalités de revenus entre femmes et hommes et pauvreté individuelle », mis en ligne sur statbel.fgov.be, novembre 2019.
  3. Belga, « Harcèlement de rue : 97% des femmes de moins de 34 ans ont déjà été harcelées dans la rue », mis en ligne sur rtbf.be, 23 décembre 2023.
  4. Europol, « European Union Terrorism Situation and Trend report (TE-SAT) 2020 », 23 juin 2020.

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