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Ma révérence à moi

Amélie Dogot · Secrétaire de rédaction

Mise en ligne le 24 juin 2024

Adieu les cons ! C’est ce que j’aimerais laisser comme note sur la table de la cuisine le soir où je tirerai ma révérence. »

« Je m’appelle Dominique Biron et j’ai décidé de mourir dans trois jours. C’est le temps qu’il a fallu au Christ pour revenir d’entre les morts, ça me suffira bien pour faire mon petit ménage. » À la manière d’un pamphlet incisif, Emmanuelle Pirotte signe avec Flamboyant crépuscule d’une vieille conformiste un roman aussi brillant qu’acerbe, qui fait œuvre de règlement de compte sans concession. L’humour caustique et la réflexion profonde s’entrelacent pour offrir une vision crue et éclatante de la fin de vie.

Le personnage principal est une vieille dame issue de la bourgeoisie. Après une vie entière de conformisme, elle décide de reprendre en main ses derniers moments : dans trois jours, elle enverra tout au diable. Lassée par les conventions sociales étouffantes qui ont régenté son existence, elle choisit de mettre fin à ses jours avec dignité et autonomie. Emmanuelle Pirotte nous plonge dans les réflexions d’une vieille râleuse à la verve mordante, brutale et souvent drôle. Dominique Biron, qui s’est sacrifiée en tant que mère et épouse, aborde sa fin de sa vie avec un je-m’en-foutisme qui détonne, transformant ce qui pourrait être un sujet sombre en une sorte de comédie humaine. Ses réflexions sur le choix de sa propre mort et les contraintes de sa vie sont autant de piques lancées à une société qui préfère souvent ignorer ces questions cruciales. Notre « vieille bique » – qui n’est pas sans rappeler une certaine tatie Danielle –, par ses décisions radicales, devient une héroïne tragique et libérée, qui refuse de courber l’échine face à la certitude d’une lente décrépitude liée à la maladie d’Alzheimer.

Emmanuelle Pirotte, reconnue pour son style incisif et son regard perçant sur les failles de la société, s’était déjà illustrée avec Les Reines, livre que nous avions beaucoup aimé1. Dans ce précédent roman, elle explorait la quête de pouvoir et d’identité de trois femmes dans un univers dystopique. Flamboyant crépuscule d’une vieille conformiste s’inscrit dans la même veine d’analyse sociale, mais avec une focale plus intime sur les choix individuels face à la mort.

Dans son nouveau roman, Emmanuelle Pirotte s’attaque donc à la notion de liberté et d’autonomie face à la fin de vie. Dominique Boiron refuse de se laisser dicter la manière de finir son existence, choisissant de contourner les conventions sociales pour embrasser une fin qu’elle juge digne. À travers ses choix, c’est toute la question du droit à une mort choisie – jusqu’au suicide – qui est posée, résonnant avec une actualité dans laquelle ce débat reste souvent tabou. L’autrice peint avec précision les travers d’un milieu social où les apparences priment sur la réalité des sentiments. La « veilles conformiste », en déjouant les attentes et les conventions, se libère enfin des chaînes invisibles qui ont marqué son existence. Son parcours est un ultime pied de nez à la société des convenances. Dans cette épopée funeste sans être morbide, Emmanuelle Pirotte nous rappelle que la véritable liberté réside dans le choix, jusqu’au dernier souffle.

Emmanuelle Pirotte, Flamboyant crépuscule d’une vieille conformiste, Paris, Le cherche midi, 2024, 160 pages.

  1. Sandra Evrard, « Emmanuelle Pirotte · Les rênes du pouvoir : un piège non genré ? », dans Espace de Libertés, no 509, février 2023.

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