Chronique du Nord
Kazerne Dossin
à l’assaut du racisme
dans le football
Par Dietlinde Wouters · Conseillère morale
Avec la rédaction1
Mise en ligne le 17 décembre 2024
Le racisme et la discrimination touchent aussi le monde du sport. C’est en réponse à une demande émanant de la sphère du football belge que le musée Kazerne Dossin, à la fois mémorial et centre de recherche sur l’Holocauste et les droits humains, a développé une offre spécifique sur ces thématiques. En collaboration avec la Fédération des clubs de supporters d’Anvers, nous avons suivi une visite du musée et profité de l’occasion pour nous entretenir avec le directeur, Tomas Baum, de l’« offre football » du musée Kazerne Dossin.
Photo © Celso Pupo/Shutterstock
Carton brun !
Si vous êtes fan du ballon rond, vous avez certainement vu les affiches de la dernière campagne « Come Together ». Lancé en 2021 par la Fédération royale belge de football, l’Association des clubs francophones de football et Voetbal Vlaanderen, en plus du plan d’action de la Pro League, le programme de lutte contre la discrimination et le racisme s’attaque à un phénomène désormais amplifié par les réseaux sociaux. Le dernier rapport annuel de Come Together date de la saison 2020-2021 et n’est pas significatif, puisque la période était à la pandémie. Tacler le racisme et la xénophobie dans les tribunes reste une nécessité : encore en août 2024, lors du match entre le Club Bruges et le Standard de Liège, des dizaines de supporters brugeois ont choqué le public en réalisant des saluts fascistes pendant une action contre le racisme organisée par le front antifasciste, et des photos ont aussitôt circulé sur les réseaux sociaux. Ce n’est malheureusement pas un cas isolé, rappelle L’équipe : fin juillet 2024, des ultras du club flamand ont réalisé des saluts nazis durant la Supercoupe contre l’Union saint-gilloise. Ces incidents, dans un contexte d’appel à la tolérance, interrogent sur la persistance du racisme dans certains milieux du football, la problématique touchant davantage le Nord du pays. (ad)
Par un samedi matin frisquet mais ensoleillé, nous attendons un groupe de membres de la Fédération des clubs de supporters d’Anvers (FASC) à l’entrée du musée, à Malines. Au total, 120 supporters ont été conviés à cette visite, organisée en trois groupes distincts. Le fait que le trajet soit effectué dans le bus des joueurs du Royal Antwerp Football Club est un atout supplémentaire, mais ce n’est certainement pas la seule motivation des participants.
Une visite footballistique sur mesure
Tomas Baum est notre guide aujourd’hui. Il parvient à tisser habilement le récit des événements qui se sont déroulés dans les casernes de Dossin durant la Seconde Guerre mondiale avec les problématiques actuelles liées au football. Il nous parle de la vie de quelques footballeurs talentueux dont le destin a basculé tragiquement. Les mécanismes de l’Holocauste, tels que la pression des pairs, la dynamique de groupe et les stéréotypes, sont mis en parallèle avec ceux observés dans le milieu des supporters. Au fil des étapes, des liens évidents se créent, et les participants partagent leurs réflexions sur l’impact des émotions vécues dans les stades, sur la place des traditions du football et sur la frontière entre l’acceptable et l’offensant.
Après cette visite, nous prenons le temps d’échanger avec Dominik Van Landeghem, responsable de la communication de la FASC. L’organisateur de la sortie est très enthousiaste, bien qu’il aurait aimé voir l’histoire du Royal Antwerp FC davantage développée, mais en même temps, il admet que cela ne lui a pas vraiment manqué. Les thèmes abordés, comme l’idéologie du « eux contre nous », trouvent un écho dans le vécu des supporters d’aujourd’hui. Il promet de recommander cette visite à d’autres fédérations de supporters.
Tomas Baum n’est pas seulement notre guide, il est aussi directeur du musée Kazerne Dossin. À l’issue de la visite, il nous parle plus en détail du programme sur mesure que propose le musée aux acteurs du football.
Comment est née cette initiative en lien avec le football ?
La Pro League et l’Union royale belge des sociétés de football-Association nous ont sollicités pour réfléchir à un programme éducatif face aux comportements inappropriés dans les stades. À ce moment-là, nous avions déjà mis en place un partenariat avec la justice, accueillant des auteurs de crimes de haine, pour un programme de sensibilisation avec un parcours d’apprentissage alternatif aux sanctions habituelles. Les deux organisations de football cherchaient un partenaire vers lequel orienter les clubs et les supporters individuels. La visite n’est pas une punition, mais une occasion de s’instruire et de réfléchir. Dans le cadre de ce partenariat spécifique au foot, nous construisons un programme sur mesure. Cela signifie que nous organisons au préalable une réunion d’introduction afin de mieux adapter la visite guidée au participant. Le guide et le participant établissent ensuite un rapport, et le musée Kazerne Dossin prend également contact avec ce dernier pour une discussion de suivi. Nos ambitions sont modestes. Nous n’avons aucun objectif de rééducation, mais nous voulons donner aux gens la possibilité de vivre une expérience marquante. Les programmes d’apprentissage rattachés au football étaient initialement réservés aux adultes, mais nous les proposons désormais aussi aux mineurs, qui viennent alors avec leur famille. Nous travaillons par ailleurs en amont, de manière préventive, en suggérant des visites de sensibilisation aux clubs et aux supporters. Nous formons aussi le personnel des clubs pour les aider à mieux appréhender les enjeux liés aux stéréotypes et à l’effet de groupe au sein des tribunes.
L’effet de groupe joue un rôle majeur dans la profération de propos racistes dans les gradins.
© Katatonia82/Shutterstock
Au départ, le football n’était pas une spécialité du musée. Comment avez-vous travaillé pour mettre ce thème au centre de ces visites ?
Pendant la Seconde Guerre mondiale, 25 843 personnes ont été déportées depuis la caserne. Parmi elles, certaines avaient un lien avec le football. Nous avons fait des recherches sur ces parcours de vie afin de pouvoir les présenter dans les visites guidées. Le football, même en temps de guerre, occupait une place importante dans le quotidien des gens, même dans la clandestinité. Des lettres évoquant les derniers résultats des matchs en témoignent. Ce genre de détail rend notre histoire plus tangible pour les visiteurs Les clubs de football ont souvent une histoire riche, avec parmi leurs membres des collaborateurs et des déportés. Nous essayons de raconter aux supporters de football une histoire adaptée à leur club.
Ces visites spécifiques au football suscitent-elles beaucoup d’intérêt ? Comment sont-elles accueillies ?
Nous avons organisé cinq visites individuelles, trois visites familiales, treize visites de groupe en tant que mesure alternative et trente-neuf visites préventives. Les retours sont globalement très positifs. Bien sûr, certains participants viennent à contrecœur. Il nous est arrivé d’émettre un avis négatif lorsque nous avons constaté qu’une visite n’avait vraiment aucun sens. Néanmoins, la plupart repartent en ayant vécu une expérience significative. Même ceux qui montrent des réticences finissent souvent par exprimer leur reconnaissance.
Pour les jeunes, la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste peuvent sembler loin. Comment captez-vous leur attention ?
La première chose à faire dans un musée tel que Kazerne Dossin est de raconter l’Histoire, car nous ne devons pas l’oublier. En même temps, nous voulons faire plus. Des thèmes comme l’identité, les stéréotypes, l’incompréhension des gens, la violence et l’injustice sont largement abordés. Il est facile de relier ces sujets à l’actualité et au monde des jeunes, ce qui donne souvent lieu à des conversations intéressantes. En tant que musée, nous évitons d’adopter une approche moralisatrice, car cela ne fonctionne pas. On ne peut pas contrôler la façon de donner un sens à notre histoire. Il faut se défaire de cette envie. On ne peut pas dire aux gens ce qu’ils doivent ressentir. Ils traitent l’information à leur manière, et en tant que guide, je ne peux transmettre que ce que je juge utile. Nous devons diffuser des connaissances, mais en même temps laisser de la place au questionnement. L’idée n’est pas d’imposer des réponses, mais d’ouvrir des questions. Ainsi, la visite résonne plus longtemps dans l’esprit des participants.
En tant que directeur, comment voyez-vous le rôle de votre musée, mémorial et centre de recherche dans la société ?
Kazerne Dossin n’est pas un musée traditionnel. Le site a plusieurs vocations. C’est un lieu de mémoire avant tout, un lieu où l’on se souvient et où l’on honore les victimes. Il s’y est passé quelque chose d’important, et tous les visiteurs sont invités à la commémoration. En outre, en tant que centre d’archives, nous remplissons une mission de préservation. Des recherches sont effectuées et nous sommes engagés dans la coopération internationale. Il est essentiel que nous puissions numériser nos documents et les partager avec les institutions internationales. Enfin, nous sommes aussi un lieu d’exposition où nous racontons l’histoire des casernes de Dossin et présentons une sélection d’objets. Nous voulons que le musée soit un lieu où les gens peuvent apprendre et vivre une expérience significative.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, certaines personnes déportées depuis la caserne Dossin avaient un lien avec le football.
© Ilse Liekens
Quels sont les projets pour l’avenir ?
L’initiative autour du football a commencé modestement, mais elle a grandi et a encore beaucoup de potentiel. Nous souhaitons approfondir nos liens avec le monde du sport, et toucher un public qui, autrement, ne visiterait peut-être jamais notre musée. Notre satisfaction est grande lorsque nous recevons des visiteurs comme les fans de football. Nous voulons nous concentrer davantage sur ce point. Une exposition temporaire sur le sport et Auschwitz est actuellement en préparation. Le musée a ouvert il y a douze ans, et il est temps d’adapter l’exposition permanente à notre époque. Nous prévoyons donc aussi de la renouveler pour qu’elle réponde encore plus aux attentes des visiteurs d’aujourd’hui.
Kazerne Dossin au prisme du foot
Le musée malinois propose des visites thématiques pour les groupes de supporters, d’employés ou de membres de clubs de football ainsi que pour les familles de fans de ce sport. Ces visites guidées mettent en lumière l’histoire méconnue des joueurs déportés pendant la Seconde Guerre mondiale et explorent, quand cela est possible, le passé de guerre de certains clubs. Au-delà du devoir de mémoire, la visite interroge aussi sur la dynamique de groupe et le comportement des foules dans les stades actuels, rappelant que chacun peut contribuer à la lutte contre le racisme dans les enceintes sportives belges. Une façon de lier histoire et engagement citoyen dans le monde du sport. (ad)
- Cet article est une adaptation en français de « Omgaan met racisme in het voetbal. Het voetbalaanbod van Kazerne Dossin », paru dans deMens.nu Magazine, 13e année, no 3, mis en ligne le 3 juillet 2024. Il est publié ici avec l’autorisation de deMens.nu.
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