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Instantanés intimes
et mémoire universelle
Anne Cugnon · Documentaliste au CAL/COM
Mise en ligne le 13 mai 2024
Le rythme dans la vie, il n’y a que ça, rythmes de nos corps, de l’orage, des grands arbres percutés par les rafales, rythme brisé de la lumière en berne, qui se refuse à éclairer un monde avalé par la médiocrité. »
« Où s’arrête le devoir de mémoire, où commence le fétichisme mémoriel ? » s’interroge Violette, héroïne de ce nouvel opus de Véronique Bergen, palpitant récit au mitan de la prose et de la poésie. Avec la fougue littéraire qu’on lui connaît, l’auteure nous embarque dans une quête mémorielle échevelée et obsessionnelle où se télescopent les époques, les sensations et les sentiments. Deux récits s’entremêlent au fil des pages, enchevêtrant histoire collective et individuelle. Celui, cru et ensauvagé, de son héroïne et sans doute alter ego, duquel jaillissent évocations érotiques, expériences bondage et exaltations amoureuses.
À cette narration menée tambour battant s’ajoute en parallèle la découverte du journal intime rédigé par sa grand-mère maternelle, Nurith, survivante de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Suite au décès de cette dernière, Violette, héritière désignée par désintérêt de la mémoire familiale, entre en possession de ces carnets remisés, oubliés. Dans ces pages, son aïeule a couché le récit de sa survie ainsi que la perte douloureuse des siens. Chanteuse, éprise de musique, elle raconte dans un texte délicat ponctué de refrains en yiddish leur quotidien, les privations, l’horreur, la douleur, l’angoisse et la mort, mais aussi ses amours. Témoignant du soulèvement du ghetto, elle nous donne à ressentir le courage du désespoir et cette volonté de sauver la dignité humaine qui habitait les insurgés bien décidés à mourir les armes à la main.
Tribu à la musicalité, aux rythmes, l’ouvrage de Véronique Bergen, au-delà de la quête amoureuse, brasse de mains de maestra de nombreux thèmes dont le sentiment d’abandon, la clandestinité réelle ou ressentie et l’importance du travail de mémoire, ne sont pas les moindres.
Véronique Bergen, Clandestine, Bruxelles, Lamiroy, 2024, 290 pages.
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