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Des droits culturels à la démocratie culturelle

Mehdi Toukabri · Journaliste multimédia

Mise en ligne le 23 mai 2025

Généralement relégués à un niveau subalterne, les droits culturels se révèlent être un puissant moteur d’émancipation et la condition sine qua non de l’acquisition à l’exercice des droits fondamentaux. Marcel Hicter, homme politique belge, poète, écrivain et véritable praticien de l’éducation populaire (désormais éducation permanente), l’avait déjà bien compris. Et ce, dès les années 1950. Par ses combats, il marque profondément la conception de la culture. Son ambition : prôner l’accès à la culture au plus grand nombre. Autrement dit : oser la démocratie culturelle. Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment les pratiques culturelles participent-elles à l’acquisition des droits culturels et à plus de démocratie culturelle ?

Illustration © Melitas/Shutterstock

Comme un contre-pied au tumulte urbain et aux bruits de moteurs ronflants des engins de chantier en pleine reconstruction du trottoir de cette rue schaerbeekoise, l’exposition de photo « Évasion éphémère » offre une invitation au calme et à la contemplation. C’est au beau milieu des clichés du photographe Dominique Peeters, minutieusement accrochés aux murs du hall central du Centre culturel de Schaerbeek, que Najib El Akel acquiesce à l’écoute de la définition de la culture proposée par Marcel Hicter : « La culture n’est pas la connaissance ni l’érudition ; c’est une attitude, une volonté de dépassement personnel total, de son corps, de son cœur, de son esprit, en vue de comprendre sa situation dans le monde et d’infléchir son destin. Cette culture-là bannit la tour d’ivoire, exige vers les autres une attitude d’accueil, de dialogue. » Selon ce directeur de centre culturel depuis 2011, « c’est effectivement le rôle de la culture de permettre le dépassement de soi et d’acquérir une réelle ouverture au monde ». À l’inverse du titre de l’expo photo, « [il] ne pense pas que la culture est une évasion éphémère, certainement pas. C’est quelque chose qui participe à la structuration des personnes dans leur accès à la créativité, à la connaissance du monde et enfin à l’acquisition de leurs droits culturels ».

Se réapproprier les droits culturels

Loin du plat pays, au cœur du canton fribourgeois, un groupe d’universitaires se rassemble en 2007 et pose la déclaration de Fribourg. D’après eux, au même titre que la Déclaration universelle des droits de l’homme, « les droits culturels sont à l’égal des autres droits de l’homme, une expression et une exigence de la dignité humaine ». Patrice Meyer-Bisch, professeur à l’Institut interdisciplinaire d’éthique et droits de l’homme de l’Université de Fribourg et une des têtes pensantes de la déclaration de Fribourg, a fait des droits culturels son combat. D’après le septuagénaire, ces derniers ont longtemps été minorés « à cause d’une conception beaucoup trop étroite de la culture restée la cinquième roue du char ». « Cette relégation reposait aussi sur l’illusion que la culture est quelque chose de national régulé par l’école et la communication de masse. En France, pas question de risquer de faire éclater ni de fragiliser l’unité nationale par la promotion de droits culturels soupçonnés de porter en germe le communautarisme ou le relativisme culturel. D’où le repli dans une communauté culturelle nationale “fermée” : une seule identité, une seule langue, une seule culture. Parce que la diversité culturelle fait peur alors qu’en fait, l’application des droits culturels est plus un antidote au communautarisme que son encouragement. Notre idée est d’aller chercher l’universalité dans la diversité des milieux culturels, comme on va chercher la puissance linguistique dans la diversité des langues. Nous défendons le principe selon lequel chacun a le droit de se référer ou non à une communauté ou plusieurs de son choix, sans nécessairement y appartenir. »

À plus de 600 km de là, Najib El Akel partage également cette vision. « Cela fait plusieurs mois que nous réalisons un travail profond de rencontre du territoire, des associations et des habitants de Schaerbeek afin que tout un chacun reprenne en main ses droits culturels. Le tout en gardant, bien évidemment, en tête, notre mission primordiale d’éducation permanente. Pour ce faire, trois enjeux ont été définis. Le premier étant celui de l’expression de la jeunesse. Le deuxième concerne plutôt les familles.

Certaines familles ont un réel déficit de capital culturel, comme le développait Bourdieu. Comment travailler sur celui d’un public cible familial ? Et le troisième enjeu est, quant à lui, transversal. C’est la question de l’interculturalité. Comment, dans un territoire aussi diversifié dans ses populations que celui de la commune de Schaerbeek, créer une interculturalité entre les personnes et favoriser des projets, non pas multiculturels, mais profondément interculturels ? »

Et le directeur schaerbeekois d’exemplifier : « Pour l’enjeu “jeunesse”, un festival des droits de l’enfant et des jeunes est mis en place depuis l’année dernière. Il y a également des projets qui sont plus tournés vers l’interculturalité au travers du conte. On tente d’examiner celui-ci en fonction des cultures de chaque personne présente et de créer une approche interculturelle par le biais des histoires proposées. Il y a énormément de projets. L’important, c’est d’organiser des projets qui engendrent une réelle dynamique participative des publics plutôt que d’être simplement dans de la diffusion de contenus culturels. »

démocratie culturelle

La culture tisse un lien vivant entre les individus. À travers l’action et la participation, elle permet à chacun d’exercer ses droits et d’enrichir son identité.

© Melitas/Shutterstock

La culture, un lien

Du travail d’interculturalité qui précède le principe même d’accueil (de migrants, par exemple) et de démocratie, il en est question au sein de la pensée du professeur Meyer-Bisch. « Il y a toujours au moins un point de rencontre à cultiver entre tous les individus d’ici et d’ailleurs. Le vécu dramatique des guerres est aussi un bien culturel qui fonde l’identité et vaut la peine d’être partagé. Le sujet de l’identité doit être pris très au sérieux à travers une approche hospitalière. C’est en allant chercher le meilleur dans la diversité linguistique, culturelle, humaine que l’on trouve un universel concret qui, loin de gommer les différences, au contraire, les valorise. » Il y a plus d’une soixantaine d’années, Marcel Hicter proposait également un point de vue précurseur et inclusif de la culture.

Du travail d’interculturalité qui précède le principe même d’accueil (de migrants, par exemple) et de démocratie, il en est question au sein de la pensée du professeur Meyer-Bisch. « Il y a toujours au moins un point de rencontre à cultiver entre tous les individus d’ici et d’ailleurs. Le vécu dramatique des guerres est aussi un bien culturel qui fonde l’identité et vaut la peine d’être partagé. Le sujet de l’identité doit être pris très au sérieux à travers une approche hospitalière. C’est en allant chercher le meilleur dans la diversité linguistique, culturelle, humaine que l’on trouve un universel concret qui, loin de gommer les différences, au contraire, les valorise. » Il y a plus d’une soixantaine d’années, Marcel Hicter proposait également un point de vue précurseur et inclusif de la culture.

Exercer ses droits

Et le président d’ajouter : « D’après Hicter, la démocratie culturelle affirme la pratique responsable à la fois des individus et des groupes. Elle repose sur le principe que l’individu, dans l’action solidaire, doit pouvoir développer en toute liberté l’ensemble de ses potentialités ; elle affirme, pour tous les hommes, des droits égaux et tend à créer pour chacun les conditions matérielles et spirituelles de l’exercice de ses droits. Cette conception postule évidemment le droit à l’expérience, à l’erreur, à la différence, comme moyens d’assumer sa personnalité et de découvrir pour tous des richesses culturelles nouvelles. Elle garantit aux individus et aux groupes les moyens concrets de vivre selon leurs convictions. »

La pensée de Marcel Hicter percole encore jusqu’à aujourd’hui sous la forme de la solidarité, et Najib El Akel de conclure : « En fait, c’est très peu vu ou compris, mais en réalité, les centres culturels ne font que du travail de lien entre les gens. C’est la première chose. C’est le lien qu’on crée entre les personnes qui sont au cœur de notre travail. Et forcément, de là découle une forme de solidarité entre elles. »

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