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Big Tech, big illusions

Vincent Dufoing · Directeur « Projets communautaires » du CAL

Mise en ligne le 16 décembre 2024

Une intelligence artificielle ne peut en aucun cas prétendre avoir des attributs humains comme les sensations, les sentiments, les émotions, la conscience, l’esprit ou l’âme. »

Avec son Manifeste pour une intelligence spirituelle à l’heure de l’intelligence artificielle, Grégory Aimar propose une analyse qui s’oppose à la pensée dominante sur l’IA. Ancien journaliste et réalisateur, l’auteur est reconnu pour ses travaux sur les enjeux éthiques de la technologie et de la spiritualité. Il a notamment écrit le roman I.AM1, dans lequel il explorait déjà les questions soulevées par le transhumanisme et l’intelligence artificielle. Dans L’Évangile selon Big Tech, il développe ces réflexions, mettant en lumière les dangers et les dérives possibles de l’intelligence artificielle.

Partant du principe du bien commun, Grégory Aimar critique l’idée, souvent véhiculée par ses promoteurs, que l’IA, assimilée à une « religion artificielle », serait un bien universel. Selon lui, si certains secteurs comme la médecine ou les transports peuvent bénéficier de cette technologie, elle ne sert pas réellement à la collectivité. Il situe son analyse dans un contexte de sécularisation de la société et de perte de spiritualité, tout en mettant en lumière la quête de toute-puissance technologique, incarnée par le transhumanisme. L’auteur dénonce la déification de l’IA, souvent présentée comme la solution à nos maux, allant jusqu’à promettre l’immortalité de l’humanité. Selon lui, cette illusion aligne l’IA sur des désirs humains profondément ancrés : vaincre la mort et atteindre la toute-puissance. Il rappelle que les pionniers de l’IA, loin d’être des rationalistes froids, nourrissaient un mysticisme caché. Il critique également les métaphores religieuses, comme celles utilisées par Meta, qui évoque un « au-delà » virtuel, pour légitimer un projet mercantile.

L’auteur met en exergue l’aspect lucratif de l’IA, qu’il perçoit comme une réponse aux angoisses existentielles de l’humanité. Il pointe du doigt le vide métaphysique de nos sociétés contemporaines, où la laïcisation mal digérée a créé un manque spirituel, propice à l’émergence de matérialismes excessifs. Le déni des limites humaines est alors entretenu par des systèmes économiques qui prônent l’individualisme et l’isolement, sans aucune régulation juridique. Grégory Aimar souligne le paradoxe de l’humanité qui, tout en détruisant son environnement, aspire à une immortalité technologique. La quête de toute-puissance, selon lui, mène souvent au totalitarisme, qu’il soit politique ou religieux. Il avertit que l’IA, loin de représenter une solution, contribue à un monde où nous sommes constamment sous pression, prêts à accepter des réponses simplistes à des problèmes complexes.

Cependant, Grégory Aimar n’est pas fataliste. Il observe avec intérêt l’émergence d’une science post-matérialiste qui cherche à remettre la conscience humaine et l’amour au cœur du débat. La « singularité », ou la coexistence envisagée entre humains et machines, n’est pas une fatalité, affirme-t-il, à condition que l’humanité fasse un choix éclairé entre les illusions du transhumanisme et l’épanouissement spirituel. Il cite des exemples comme le Chili ou le Colorado, qui ont inscrit des neuro-droits dans leur législation, tout en précisant que ces mesures restent insuffisantes face à l’ampleur des enjeux.

Grégory Aimar s’attaque également à l’illusion de vouloir conférer une conscience aux machines, soulignant que la conscience est l’apanage du vivant et que la science ne porte pas en elle-même une éthique, qui doit être développée par des hommes et des femmes responsables. L’auteur conclut sur une note d’espoir, en appelant à un « techno-optimisme » fondé sur la prudence, la solidarité et la paix. Il termine son ouvrage par la proposition de cinq lois, visant à compléter les trois lois de la robotique formulées en 1942 par Isaac Asimov2. Selon ces lois, aucune forme d’IA ne doit être assimilée à un être vivant ni posséder de conscience ou d’aspiration spirituelle.

Dans l’ensemble, L’Évangile selon Big Tech invite à une réflexion profonde sur les dérives possibles de l’IA, tout en proposant des pistes pour éviter que celle-ci ne devienne l’instrument d’une déshumanisation, au service d’un monde de plus en plus éloigné de l’amour et de la solidarité.

Grégory Aimar, L’Évangile selon Big Tech, Manifeste pour une intelligence spirituelle à l’heure de l’intelligence artificielle, Paris, Librinova, 2024, 100 pages.

  1. Cf. Amélie Dogot, L’omniscience selon MAÏA », dans Espace de Libertés, no 496, février 2021.
  2.  « Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger ; un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la première loi ; un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’entre pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi. »

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