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La répression des Femen : l’Europe à la rescousse

François Finck · Délégué « Europe & International » au CAL/COM

Mise en ligne le 15 décembre 2022

L’activisme, aussi provocant soit-il, doit-il être limité ? La condamnation à une peine de prison avec sursis d’une militante Femen en France, fin 2014, a relancé le débat. Verdict de la Cour européenne des droits de l’Homme, appelée à la rescousse : la France a violé la liberté d’expression en se prononçant de la sorte. Il s’agissait donc simplement de la répression de l’expression d’une opinion exprimée de manière provocante, estime l’arrêt rendu le 13 octobre dernier.

C’est une victoire importante pour les libertés, contre une répression disproportionnée. L’action d’Eloïse Bouton « à laquelle aucun comportement injurieux ou haineux n’a été reproché […] avait pour seul objectif de contribuer, par une performance délibérément provocante, au débat public sur les droits des femmes, plus spécifiquement sur le droit à l’avortement. »

Le 20 décembre 2013, Eloïse Bouton, alors membre du mouvement féministe Femen, avait réalisé une performance dans une église de Paris pour protester contre la position de l’Église catholique sur les droits des femmes, en particulier le droit à l’avortement. Elle s’était présentée devant l’autel, la poitrine dénudée et le corps couvert de slogans, afin de mimer un avortement, à l’aide d’un morceau de foie de bœuf. Il n’y avait pas de messe, et elle était hors de vue de la chorale qui répétait à ce moment-là. Elle avait quitté les lieux dès qu’on le lui avait demandé.

Elle a été condamnée à un mois d’emprisonnement avec sursis pour « exhibition sexuelle », ainsi qu’à payer 3500 euros d’amende et frais de justice. La Cour européenne des droits de l’Homme s’est dite « frappée de la sévérité de la sanction ([…] infligée à l’intéressée », clairement disproportionnée.

Pour la Cour, une peine de prison ne peut être prononcée dans le cadre d’un débat politique ou d’intérêt général que dans des circonstances exceptionnelles, « notamment lorsque d’autres droits fondamentaux ont été gravement atteints, comme dans l’hypothèse, par exemple, de la diffusion d’un discours de haine ou d’incitation à la violence ».

Luc Malghem, « Femen, je vous aime » et Jean-Philippe Schreiber, « Femen : au-delà du jet d’eau bénite, « fuck your morals » » : les premiers articles sur les Femen ont publiés dans le n° 420 en juin 2013.

En outre, le délit d’« exhibition sexuelle » a été indûment détourné de sa fonction pour réprimer l’expression pacifique d’une opinion sur une question d’intérêt général. En effet, les juridictions françaises avaient condamné la militante sur la base de la conciliation de deux libertés, « à savoir la liberté d’expression, d’une part, et la liberté de conscience et de religion protégée par l’article 9, d’autre part, décrite en l’espèce comme étant le droit “de ne pas être troublé dans la pratique de sa religion”.

Or, ce n’est pas du tout le but de l’incrimination d’exhibition sexuelle. La sanction pénale qui lui a été infligée en répression du délit d’exhibition sexuelle, pour avoir dénudé sa poitrine dans un lieu public, n’avait pas pour objet de punir une atteinte à la liberté de conscience et de religion. En outre, nul n’a été troublé dans la pratique de sa religion, puisque le happening avait eu lieu en l’absence d’office religieux, et d’une manière qui n’était même pas visible des personnes présentes.

Il s’agissait donc simplement de la répression de l’expression d’une opinion exprimée de manière provocante. En détournant le délit d’exhibition sexuelle pour poursuivre une démonstration politique, les tribunaux français ont voulu sanctionner un blasphème, voire le “sacrilège” de réaliser cette action dans une église. C’est inacceptable dans une République laïque. Après neuf ans de procédure, la France a donc été condamnée à verser 2 000 euros à la militante pour dommage moral et 7 800 euros pour frais et dépens.

Nous saluons cet arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme qui rappelle le primat des droits garantis par la Convention et l’importance de la liberté d’expression. L’occasion de rappeler ici que la laïcité fonde l’impartialité de l’État et est garante des droits et libertés.

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