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Quand Poutine galvanise
l’extrême droite en Europe

François Finck · Délégué « Europe & International » au CAL/COM

Mise en ligne le 6 septembre 2022

Diviser l’Union européenne, déstabiliser les démocraties, creuser les divisions de nos sociétés : tels sont les objectifs de Vladimir Poutine dans sa stratégie de défense de l’extrême droite européenne. Les partis concernés ont généralement rempli cette mission, et déclaré leur soutien sans faille au dictateur russe. Il ne s’agit pas seulement d’une alliance de circonstance : il y a une véritable connivence idéologique entre le régime du Kremlin et les partis d’extrême droite autour du nationalisme, du machisme et de l’homophobie.

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De Zemmour rêvant à un « Poutine français » aux politiciens de différentes formations d’extrême droite (Rassemblement national, Vlaams Belang…) qui se sont rendus en Crimée comme « observateurs » du plébiscite organisé après l’annexion de la péninsule ukrainienne en 2014… la liste des expressions d’enthousiasme de l’extrême droite européenne envers le régime poutinien est longue. Cependant, la guerre brutale menée par la Russie contre l’Ukraine a bouleversé les opinions publiques des pays d’Europe, et donc rendu difficile l’expression d’une adhésion au « modèle » russe.

Connivences idéologiques et soutien russe

Au moins depuis 2012, et le retour à la présidence de Vladimir Poutine dans des élections marquées par des fraudes, la Russie a défini une stratégie visant à déstabiliser les pays d’Europe et les États-Unis. Des campagnes de désinformation, surtout en ligne, en faveur de Donald Trump pendant l’élection de 2016 aux ingérences dans la campagne du Brexit et pendant les élections de 2017 en France… S’il est difficile de quantifier leur influence réelle, ces opérations témoignent d’une véritable stratégie de déstabilisation des démocraties occidentales.

L’histoire récente de l’Ukraine est celle de la transition du régime soviétique vers une démocratie moderne, avec toutes les difficultés que cela représente et des blocages et retours en arrière occasionnels. Une majorité d’Ukrainiens voit l’avenir du pays dans sa participation à l’intégration européenne. Selon de récents sondages, 68 % des personnes interrogées se sont déclarées en faveur de l’adhésion à l’Union européenne, même si le soutien à l’intégration européenne varie selon les régions. L’Ouest et le Centre sont de manière écrasante en faveur de l’adhésion à l’Union (respectivement 80 % et 60 %), tandis que ce soutien est moins important à l’Est et au Sud du pays, tout en restant supérieur aux personnes qui s’y déclarent opposées (autour de 40 % pour et 30 % contre).

Le régime russe a soutenu l’extrême droite européenne politiquement, financièrement, et cherché à en fédérer les diverses composantes. Le Front national français a ainsi obtenu un prêt généreux d’une banque russe pour la campagne de Marine Le Pen de 2017, que le parti est encore en train de rembourser. Les liens politiques et personnels sont cordiaux avec le RN, les Autrichiens du FPÖ, l’extrême droite italienne ou allemande… En Hongrie, le Premier ministre Viktor Orbán, qui a instauré un régime « illibéral », nationaliste et autoritaire au cœur de l’Union, n’a jamais caché son admiration pour le culte de la force et le mépris des droits humains du dictateur russe.

Une remise en question ?

L’invasion de l’Ukraine par la Russie puis la découverte de crimes de guerre ont choqué l’opinion publique européenne. La ligne pro-russe est subitement devenue plus difficile à défendre. Marine Le Pen, qui disait encore en décembre 2021 que l’Ukraine « appartenait à la zone d’influence russe », a tenté de modérer sa position avant l’élection présidentielle. Elle a condamné l’usage de la force par la Russie, mais continue de se prononcer en faveur d’une alliance avec ce pays, « après la guerre ».

En outre, son concurrent à l’extrême droite, Éric Zemmour, a concentré les critiques sur ce sujet et joué un rôle de « paratonnerre » au bénéfice de Marine Le Pen. Bien qu’il demeure clairement pro-Poutine, en s’opposant aux sanctions et en favorisant un rapprochement avec la Russie, le RN a obtenu de très bons résultats aux élections présidentielle et législatives en focalisant sa campagne sur les questions économiques internes.

Tant Éric Zemmour que Marine Lepen ne cachent pas leur accointance avec le Kremlin.

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Certains partis, parmi les plus radicaux, restent malgré tout alignés sur la Russie, comme les néonazis d’Aube dorée (Grèce). Dans la plupart des cas, l’agression russe a contribué aux divisions existantes dans de nombreux partis d’extrême droite, qui ont adopté des positions conservant une grande ambiguïté. Bien qu’ayant officiellement condamné l’invasion, ils avancent des opinions favorables à la Russie, notamment en s’opposant aux sanctions et à l’aide militaire à l’Ukraine ou en reprenant les thèmes de la propagande russe.

Ainsi, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) avait de très bonnes relations avec la Russie, et militait pour un rapprochement avec elle et la fin des punitions introduites en 2014. Après le 24 février, le parti condamne publiquement l’invasion, tout en se prononçant contre les sanctions économiques et la livraison d’armes à l’Ukraine – au nom de la neutralité et du pacifisme –, et pour le maintien du gazoduc Nord Stream 2. Toutefois, une frange du parti demeure sur une ligne ouvertement pro-russe, tandis que le chef du parti, Tino Chrupalla, reste très ambigu : s’il critique l’usage de la force par la Russie, il estime qu’elle défend sa sécurité, et que l’Allemagne ne doit pas se mêler du conflit.

La situation est identique au FPÖ autrichien. Son chef, Herbert Kickl, a blâmé l’agression armée, tout en s’opposant aux sanctions et à l’assistance à l’Ukraine au nom de la neutralité, mais certains membres sont toujours clairement pro-russes.

Du respect
de l’État de droit

En Italie, Matteo Salvini, de La Ligue, a également condamné l’invasion, tout en acceptant une invitation à Moscou fin mai. Il a finalement dû annuler le voyage après les critiques venant de partenaires de la coalition gouvernementale – dont la Ligue fait partie, mais dont le chef, le Premier ministre Mario Draghi, mène une politique de soutien clair à l’Ukraine.

Les liens entre Matteo Salvini et Moscou suscitent des inquiétudes en Italie, au risque de gêner son parti et ses alliés de Forza Italia et Fratelli d’Italia (post-fasciste) dans la campagne électorale.

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Europe centrale :
une rupture entre les partis populistes anti-UE

Une conséquence importante de l’agression russe contre l’Ukraine est la fin de l’axe polono-hongrois, « illibéral » et fortement anti-Union européenne. Ces deux gouvernements se protégeaient mutuellement contre les tentatives de l’Union de les sanctionner pour leurs atteintes à ses valeurs, mais ils ont adopté des politiques diamétralement opposées sur la guerre.

En Hongrie, Viktor Orbán continue de soutenir Poutine. Il aurait même été averti de son attaque par la Russie, et aurait projeté de participer à un partage de l’Ukraine (dans l’hypothèse d’une victoire russe rapide, la Hongrie aurait annexé la Transcarpatie, région limitrophe où réside une minorité hongroise). La Hongrie bloque ou du moins freine l’adoption de sanctions contre la Russie – son gouvernement est le seul de l’UE à être ouvertement pro-russe.

En revanche, le gouvernement polonais de Droit et Justice (PiS) soutient résolument l’Ukraine. La Pologne a accueilli près de trois millions de réfugiés, et fournit une aide militaire et politique importante à son voisin. Le gouvernement du PiS a également mis fin à sa rhétorique hostile aux institutions européennes, et cherche à apaiser son conflit avec elles. Il semble que l’agression russe a fait comprendre aux dirigeants polonais tout l’intérêt de la construction européenne pour la sécurité de la région. Quant aux partis d’extrême droite dans l’opposition au PiS (membres de la Confédération), leur rhétorique pro-russe les a clairement marginalisés.

Dès le début de l’invasion russe, la Pologne s’est organisée pour l’accueil des réfugiés ukrainiens, mettant fin à l’axe polono-hongrois anti-européen.

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L’orientation pro-ukrainienne et atlantiste du gouvernement polonais a conduit à l’isolement politique de la Hongrie au sein de l’Union européenne, et à l’appauvrissement de l’influence des régimes « illibéraux ».

Vers un affaiblissement de l’extrême droite ?

Il est difficile d’estimer les conséquences de la proximité entre les partis d’extrême droite et la Russie en matière de résultats électoraux de manière générale. Les liens avec cet État peuvent gêner une partie des électeurs de ces partis, mais la plupart se décident en fonction de questions internes, et non de politique étrangère. En outre, la ligne ambiguë actuelle peut leur convenir : condamnation de l’agression pour la forme, mais critiques des sanctions qui ont aussi des conséquences sur le pouvoir d’achat.

Cela dépend également des pays. En Pologne, l’opinion publique est fortement solidaire avec l’Ukraine, ce qui a sans doute en partie déterminé la politique du gouvernement. En revanche, en Hongrie, la politique d’Orbán ne l’a pas empêché de gagner les élections en avril 2022 avec une large majorité. En France, cela n’a pas non plus empêché le RN d’obtenir les meilleurs résultats de son histoire en avril et juin 2022.

Il est probable qu’en Europe occidentale, le soutien pour la Russie n’ait pas une grande influence sur les résultats de l’extrême droite. D’une part, il est vraisemblable qu’une partie de son électorat suive tout simplement sa ligne politique sur ce sujet. D’autre part, les politiciens d’extrême droite évitent la question et se concentrent sur leur fonds de commerce habituel et la politique interne de chaque pays.

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