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Les cultureux
Plongée dans le Laboratoire d’imagination insurrectionnelle
Caroline Dunski · Journaliste
Mise en ligne le 5 septembre 2022
La désobéissance est-elle, comme l’affirmait Oscar Wilde, la vertu première de l’être humain en ce qu’elle permet le progrès et le changement ? Entre art et activisme, nourri d’éducation populaire, l’artivisme constitue une forme de résistance alliant courage et poésie, en empruntant des chemins latéraux, qui nécessite créativité et imagination.
Photo © Labo.zone
Une armée de clowns déboulant dans les sièges d’organisations internationales ou les animaux de l’Ensemble zoologique de libération de la nature (EZLN) envahissant le showroom d’un concessionnaire automobile pour réclamer une politique contraignante à l’égard des gros pollueurs, des teufeurs occupant une forêt pour empêcher la création ou l’extension d’une autoroute, une bataille de boules de neige intitulée « Le peuple contre les Banksters » provoquée dans la City, quartier financier de Londres… Par ces actes de résistance qui mêlent l’action directe et différentes disciplines artistiques, des inconnus se mobilisent pour devenir architectes de leur vie et construire collectivement un présent qui ressemble au futur dont ils rêvent.
Fin mai dernier, à l’invitation du Théâtre de la parole, qui organise chaque année le festival Paroles de résistance, Isabelle Fremeaux et Jay Jordan animaient le workshop « Désobéissance ou comment faire de l’artistique un vrai outil de résistance ? » pour une douzaine de participant.e.s. Avec le Laboratoire d’imagination insurrectionnelle (LII) créé à Londres en 2004, Isabelle et Jay essaient de ne pas distinguer les aspects pédagogiques, politiques et artistiques et de réunir des profils très variés pour concevoir de nouvelles formes de résistances. Les expériences du Labo ne cherchent pas à « faire de l’art », mais à modeler la réalité. Il ne s’agit pas de montrer le monde aux gens, mais de le transformer, ensemble, en développant des manières inédites de se lier les un.e.s aux autres, et de s’auto-organiser.
Effort d’imagination et créativité
Selon Isabelle, il paraît « impératif de réinventer les formes de résistances, parce que quand elles sont répétitives, cela facilite la répression. Dans toute l’histoire de la résistance, tout ce qui nous semble normal aujourd’hui paraissait irréaliste et absurde. Lutter contre l’esclavage, contre le travail des enfants… a nécessité un imaginaire fort ».
L’armée des clowns rebelles a participé aux manifestations anticapitalistes contre le sommet du G8 à Gleneagles (Écosse) en juillet 2005 après une tournée insurrectionnelle de deux mois.
© Labo.zone
Les pratiques collectives conçues au sein du LII visent à créer des synergies entre individus qui, généralement, ne se connaissent pas, pour faire naître une communauté de personnes courageuses et solidaires. « Nous explorons ensemble les principes et les modalités de l’activisme pour élaborer une action qui sera développée plus tard. Nous disposons d’une série d’outils et de méthodologies pour construire la confiance du groupe et mener une action efficace et créative. Les discussions permettent de faire émerger un point de vue commun et d’identifier des thématiques qui importent à toutes et tous. Nous employons aussi des outils de consensus, parce que nous travaillons dans une vision horizontale, sans hiérarchie ni domination », précise Jay. « Il y a beaucoup de jeux. La joie et le plaisir sont au centre de la volonté de changer le monde. »
Faire de la politique autrement ?
Nele, artiste photographe qui partage son atelier avec d’autres artistes sur le site du Rouge-Cloître, siège du Théâtre de la parole à Auderghem, confie avoir été « embrigadée » dans le workshop. « Plusieurs personnes m’ont dit que ce stage me correspondrait bien. Je suis de nature curieuse, alors je fonce généralement sans savoir ce que je pourrais en tirer. Je ne suis pas sûre de devenir activiste demain, mais en fait, je le suis déjà un peu. J’ai travaillé au GRACQ1, ce qui m’a éveillée sur la manière de défendre des positions intéressantes pour que la société avance, et j’ai toujours eu envie de faire de la politique sur le terrain en posant des actes, mais sans adhérer à un parti politique. J’ai décidé de vivre de mon art il y a trois ans, et j’accueille dans l’atelier partagé des activités qui ne sont pas que de l’art plastique, comme l’herboristerie, parce qu’elles répondent à mes valeurs et sont cohérentes avec le lieu. »
La question du lieu semble centrale dans la démarche des artivistes. En 2012, Jay et Isabelle quittent Londres, après avoir pris conscience que leur vie quotidienne représentait le même système de production capitaliste que celui qu’ils combattaient, dans une métropole construite sans lien avec le vivant. « Pendant une année, nous avons voyagé dans des communautés autogérées et réalisé le film Les Sentiers de l’utopie, confie Jay. Les rencontres nous ont donné le courage de déserter et nous nous sommes retrouvés à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. »
Devenir le territoire et autres principes de l’activisme créatif
L’acronyme « ZAD », pour « zone à défendre », est un détournement de la terminologie urbanistique « zone d’aménagement différé ». « Devenir le territoire », l’habiter est l’un des quinze principes de l’activisme créatif. Pour faire barrage au projet de construire l’aéroport du Grand Ouest, des centaines de zadistes se sont installés sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, constituée de champs agricoles, d’une zone humide très rare et d’un paysage de bocage avec 220 kilomètres de haies sans remembrements. Ils y vivent comme s’ils étaient déjà libres, autre principe de l’activisme créatif.
La police, les huissiers, les contrôleurs de règles urbanistiques ne viennent plus sur cette grande portion de territoire où l’on trouve une large diversité politique. Les primitivistes côtoient des maraîchers utilisant la traction animale, des antispécistes, qui considèrent que l’espèce à laquelle appartient un animal n’est pas un critère pertinent pour décider de la manière dont on doit le traiter, vivent à côté de paysans faisant de l’élevage laitier… Cette diversité a permis une floraison d’activités, y compris culturelles et artistiques. Comme l’érection d’un phare à l’endroit où il aurait dû y avoir une tour de contrôle et, un an après la victoire de la ZAD, la tenue d’un « rituel de guérison » parce que chaque rituel permet de relier les êtres et de faire communauté – encore l’un des quinze principes.
Sur la ZAD de Notre Dame des Landes, en Bretagne, se dresse un phare désobéissant.
© Labo.zone
Trouver courage et solidarité
Au Rouge-Cloître, Sophie, conteuse pour enfants, performeuse et pratiquant l’impro, était motivée par la perspective d’acquérir des outils qui lui permettraient d’enrichir ses activités de libre expression. Par celle, aussi, de rencontrer des gens qui seraient sans doute dans le même état d’esprit insurrectionnel et pacifiste qui l’habite depuis qu’elle est toute jeune. « Je suis heureuse de me retrouver avec mes pairs. J’étais déjà activiste sans le savoir et j’ai trouvé ici ce qui me manquait pour rendre cet activisme plus efficient. »
Henri, quant à lui, se définit un peu comme ni artiste ni activiste, mais quand même aussi comme un peu des deux. « Je pratique le dessin pour moi, dans le cadre privé. C’est en quelque sorte mon jardin secret. Je suis très démoralisé par tout ce qui se passe. Ma motivation à prendre part au workshop était de trouver du courage et un groupe solidaire. »
Enfin, Jean-Paul, professeur d’architecture et d’urbanisme aujourd’hui retraité, revendique d’être à la fois artiste et activiste. « J’ai fait une carrière complète dans l’enseignement supérieur et, petit à petit, je me suis rendu compte que j’enseignais autrement. D’après moi, sortir de la norme est fondamental. Depuis quinze ans, je me bats pour sauver des bâtiments voués à la destruction. Parfois, il s’agit de bâtiments sans véritable intérêt architectural qui sont sur des friches pour lesquelles des promoteurs immobiliers ont des projets, mais les lieux ont souvent une grande valeur pour le tissu local. Dans le Laboratoire d’imagination insurrectionnelle, les quatre jours de workshop basés sur la méthode du consensus ont été très intenses et constructifs. » Le secret de la thématique sur laquelle le groupe agira reste bien gardé, mais ce qui est certain, c’est que les compétences de chaque membre seront bien utiles quand il sera question de passer à l’action. Attendons-nous à être surpris.es !
- Groupe de recherche et d’action des cyclistes quotidiens.
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