La tartine
Un cheval de Troie
dans les institutions internationales
François Finck · Délégué « Europe & International » au CAL/COM
Mise en ligne le 26 juin 2024
Les organisations intergouvernementales font l’objet d’un intense lobbying d’organisations religieuses ultraconservatrices, voire fondamentalistes. Elles tentent d’utiliser ces forums pour y exercer une influence, et à terme modifier le droit international dans le sens voulu.
Illustrations : Cost
Souvent, le lobbying à caractère religieux à l’occasion de la négociation d’actes divers, tels que les résolutions, généralement regroupés sous l’expression de « soft law », de « droit mou ». Celui-ci ne lie donc pas directement les États et les individus, mais il permet d’appuyer un argumentaire politique, de créer des précédents qui serviront ensuite à faire adopter des actes contraignants, et à les présenter comme une évolution qui serait voulue par la société civile.
L’ONU contre le « sacrilège »
Au sein de l’Organisation des Nations unies, le Pakistan mène une campagne pour faire interdire la critique de la religion islamique au nom de la lutte contre l’islamophobie. En 2002, une résolution présentée par ce pays et soutenue par les 57 États membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) a été adoptée par l’Assemblée générale. Cette résolution condamne l’« islamophobie », terme qui a donc été validé par l’ONU. La résolution définit l’islamophobie comme une « nouvelle forme de racisme » qui se traduirait par des mesures discriminatoires, notamment concernant le port du voile islamique.
Cette définition est problématique, en ce qu’elle pourrait servir de base pour combattre des mesures visant à protéger les enfants de l’endoctrinement ou à garantir la neutralité de l’État, comme l’interdiction de signes convictionnels dans certaines circonstances en France et en Belgique. En outre, le terme d’« islamophobie » est souvent utilisé pour intimider les simples critiques de dogmes islamiques.
François Finck, Les croisés de la contre-révolution, Bruxelles, Centre d’Action Laïque, coll. « Liberté j’écris ton nom », 2021, 96 pages.
Le 7 juillet 2023, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution sur la « lutte contre la haine religieuse constituant une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence », sur une initiative du Pakistan. Ce texte va un cran plus loin : sous couvert de lutter contre la « haine religieuse », il demande aux États de punir le sacrilège. Le texte condamne « toute incitation et manifestation de haine religieuse, y compris les actes publics et prémédités de profanation du Saint Coran commis récemment, et souligne la nécessité que les responsables répondent de leurs actes».
La cause immédiate invoquée par les partisans du texte est la série d’autodafés publics d’exemplaires du Coran par un réfugié irakien au Danemark. Cependant, l’objet du texte onusien n’est pas tant de condamner le racisme et la xénophobie que de réintroduire le délit de sacrilège, et d’imposer des normes religieuses en droit international des droits de l’homme.
On y retrouve de nombreuses expressions telles que « le fait de brûler le Saint Coran ou tout autre texte sacré est un acte offensant et irrespectueux » ou encore « profanation du Saint Coran ». Le texte assimile toute destruction volontaire du Coran à un appel à la haine, et de fait demande de criminaliser le « sacrilège » contre un « livre saint » au nom de la nécessaire lutte contre la haine raciste. Cédant à la pression internationale, le Danemark a adopté une loi punissant d’une peine d’emprisonnement les « traitements inappropriés » de textes ayant une signification religieuse importante, interdisant de facto les autodafés du Coran.
La droite chrétienne contre le « genre »
Le lobbying de la droite chrétienne est surtout le fait d’un réseau transnational d’organisations actives et très bien financées. Ce réseau est bien structuré et a développé une stratégie cohérente. Relevons que celui-ci est international dans sa composition (Amérique du Nord, Europe, Russie, principalement) comme dans ses actions, qui couvrent l’Afrique, l’Amérique du Nord, l’Europe… Il est aussi multiconfessionnel : catholique, protestant (évangélique) et orthodoxe.
La mouvance de la droite chrétienne utilise plusieurs méthodes. Elles tentent à la fois d’influencer la politique des institutions internationales (ONU, Union européenne, Conseil de l’Europe) et les attaquent dans le but de les décrédibiliser. Ainsi, le Centre européen pour le droit et la justice a produit un « rapport » sur les liens réels ou supposés entre les juges de la Cour européenne des droits de l’homme et l’Open Society Foundations de George Soros. Il s’agit pour cette organisation catholique fondamentaliste, succursale européenne de l’American Center for Law and Justice, de décrédibiliser les juges accusés d’être sous l’influence, voire à la solde, du milliardaire d’origine juive, tout en attisant l’antisémitisme de son public.
Pour cette mouvance, les organisations internationales sont contrôlées par des « globalistes radicaux », qui ne ménageraient pas leurs efforts pour persécuter les chrétiens. Les pétitions de la plateforme CitizenGo, issue du groupe fondamentaliste catholique espagnol HazteOir, tentent de mobiliser la base, au besoin en inventant des dangers imaginaires. Ainsi de cette pétition récente contre une supposée tentative de l’ONU de criminaliser les éléments essentiels de la foi chrétienne. Le seul fait d’affirmer les positions chrétiennes sur le mariage et la famille pourrait être qualifié de « crime contre l’humanité », rien de moins ! Cela ferait partie d’un « système, conçu par des tyrans mondialistes et la gauche radicale, vis[ant] à vous transformer en un sujet docile d’une nouvelle dictature mondiale, au service des organisations pro-avortement, féministes radicaux (sic), LGBTI et transgenres ».
En réalité, ce prétendu projet est bien entendu inexistant. Les fondamentalistes de CitizenGo se basent sur un projet d’articles de la commission juridique de l’Assemblée générale de l’ONU sur la définition des crimes contre l’humanité, mais rien de tel n’y figure. Simplement, le projet d’articles (qui n’est pas un texte contraignant), qui définit le crime contre l’humanité, entre autres, comme « la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste » (gender dans la version anglaise), n’a pas repris la précision se trouvant dans le statut de Rome sur le fait que le terme « gender » désigne « les deux sexes, masculin et féminin, dans le contexte de la société ». Cet article ne peut en aucun cas signifier une obligation d’incriminer les opinions affirmant le contraire.
Ces exemples illustrent leurs méthodes ignominieuses de manipulation de l’opinion, en leur présentant sur un mode complotiste des ennemis puissants et décidés à les persécuter. Cela ne peut qu’inciter à un vote d’extrême droite et nationaliste.
Une guerre judiciaire
Dans le même temps, ces organisations multiplient leurs interventions et recours devant la Cour de Strasbourg, dans une stratégie de guerre judiciaire qui vient des États-Unis, où ils ont adopté une stratégie multiple, à la fois de mobilisation politique (depuis la fin des années 1970 avec la Moral Majority, puis avec Trump) et d’activisme judiciaire. Les deux se renforcent, puisque la victoire de Trump grâce à son alliance avec les évangéliques extrémistes lui a permis de nommer trois juges à la Cour suprême des États-Unis, qui reviennent sur des jurisprudences bien établies ; le cas le plus connu étant l’arrêt Dobbs qui annule la garantie constitutionnelle du droit à l’avortement. L’objectif déclaré de ces organisations est de modifier le droit dans différents pays pour qu’il soit conforme à leur conception de la doctrine chrétienne. La droite chrétienne vise donc l’établissement de théocraties, où le droit sera inspiré de dogmes religieux. Les effets de leurs actions sont ravageurs, de l’interdiction de l’avortement dans plusieurs États américains à la criminalisation de l’homosexualité dans plusieurs pays africains.
Il semble qu’un rapprochement est en train de s’opérer entre la droite chrétienne militante et l’extrême droite politique et de gouvernement. La conférence National Conservatism, ou NatCon, qui a eu lieu à Bruxelles en avril 2024 rassemblait des politiciens d’extrême droite (comme Tom Vandendriessche ou Éric Zemmour) et des religieux fondamentalistes, ce qui révèle une évolution notable. Ce rapprochement se fait sous l’égide du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, qui veut faire de la Hongrie un « hub » de ces deux courants.
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