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Relier les votes et les vies
Lionel Rubin · Délégué « Étude & Stratégie » au CAL/COM
Mise en ligne le 20 juin 2025
Les territoires que j’ai traversés, souvent symboles de la désindustrialisation, du chômage et des emplois mal payés, partagent une histoire commune du déclassement socio-économique. »
C’est un voyage un peu particulier que Vincent Jarousseau nous propose dans son dernier ouvrage Dans les âmes et les urnes. Durant dix ans, de 2014 à 2024, il nous rapporte ses pérégrinations à travers la France et ses villages. Son objectif : aller à la rencontre des Français pour comprendre le vote Rassemblement national (RN) et la fracture de plus en plus évidente entre les politiques et leurs concitoyens1. Dans ce voyage politique, mais surtout profondément humain, trois villes symboliques font l’objet de sa fine observation : Hénin-Beaumont, la base arrière du RN ; Beaucaire, ville du sud de la France ; et enfin Hayange, terre ouvrière. Voilà le décor planté.
Au fil des rencontres, Vincent Jarousseau brosse des portraits, rapporte des récits de vie et place la compréhension des colères qu’il recueille au centre de ses observations. Ses échanges naissent au gré du hasard et de ses promenades dans les centres-villes, mais pas seulement. Il côtoie ainsi les classes populaires et laborieuses. Le lecteur est alors plongé dans le quotidien de ces Français qui révèlent une société fragile et disloquée.
Cette colère, le RN l’a comprise – ou du moins a compris comment l’instrumentaliser – à travers son processus de dédiabolisation. Car s’il faut entendre et lire tous ces récits du quotidien pour constater qu’un vote RN ne répond à aucune règle générale, l’auteur met néanmoins en évidence un point commun entre toutes ces femmes et ces hommes : ils sont des déshérités, voire des déclassés socio-économiques avant tout. La question du pouvoir d’achat et du travail est en effet centrale, et alimente une « rupture du lien social et le sentiment de perte d’appartenance à un projet commun ». C’est dans cette insécurité économique que l’immigration est agitée comme un épouvantail par l’extrême droite. C’est là qu’il faut chercher, en partie, le terreau du vote RN. Le succès de celui-ci ne se résume plus à « une réaction ponctuelle ou circonstancielle ». Et, évidemment, « il remplit un vide laissé par les autres partis, et en premier lieu la gauche ».
À travers ces récits, c’est la scène politique française qui est analysée : les élections présidentielles et législatives, l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron, les attentats, les Gilets jaunes, la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19… Une toile de fond qui rassemble et met en perspective tous ces témoignages.
On peut lire cent études sociopolitiques sur le basculement du vote vers l’extrême droite. On peut analyser l’ensemble des résultats électoraux, les détailler, les modéliser. Mais on ne comprendra pas les raisons de ce basculement si l’on ne relie pas « les votes et les vies ». C’est ce voyage que nous propose Vincent Jarousseau, car pour comprendre les urnes, il faut sonder les âmes. Aussi désarçonnant qu’humain.
- En Flandre, l’auteur et metteur en scène Dominique Willaert a mené la même démarche pour mieux comprendre celles et ceux qui votent Vlaams Belang du côté de Ninove. Cf. Joke Govaerts, « Extrême droite : écouter pour comprendre et agir », dans EDL, no 520, printemps 2025.
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