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Migrations et solidarité
en Europe :
un détournement de sens
Une opinion de Sotieta Ngo · Directrice générale du CIRÉ
Mise en ligne le 30 novembre 2023
Le 4 octobre dernier, le Conseil européen a fièrement communiqué sur l’accord trouvé en matière de politique migratoire, censé faciliter celui avec le Parlement européen sur le Pacte sur la migration et l’asile. Le contenu de l’accord trouvé et la direction donnée au dit pacte nous laissent perplexes.
Photo © Balkans Cat/Shutterstock
À l’échelle européenne, le Pacte sur la migration et l’asile a été présenté une première fois en septembre 2020, puis complété et modifié au cours des années suivantes. Il devrait en principe être adopté d’ici avril 2024, soit pendant la présidence belge du Conseil de l’Union européenne. Ces propositions accentuent des dispositions actuelles de rejet et de tri à l’égard des ressortissant.e.s de pays tiers. En parallèle du pacte, différentes réformes sont en cours et plusieurs annonces allant dans le même sens ont été lancées. En janvier 2023 par exemple, l’Union européenne réaffirmait son objectif d’accroître le nombre de retours dans le cadre de sa stratégie visant à améliorer l’efficacité de ces derniers.
Le pacte prévoit un mécanisme de crise très attendu, les États européens semblant bien en peine de faire face aux « crises » migratoires que l’Union a rencontrées ces dernières années. Les pays du pourtour méditerranéen (Chypre, Grèce, Italie, Malte et Espagne) réclament depuis longtemps plus de solidarité de leurs partenaires européens lorsqu’ils sont mis sous « pression migratoire ». La solidarité telle que définie par le pacte et l’accord de Grenade est un profond détournement de sens, puisque de solidarité, il n’est nullement question.
En effet, le mécanisme de crise propose la solidarité aux États membres de l’Union sans qu’aucun effet contraignant ne soit prévu. S’engager aux côtés d’un partenaire européen resterait une possibilité, et rien n’indique donc que les États européens s’engageront davantage. Cette « solidarité » pourrait notamment prendre la forme d’une prise en charge effective de demandeurs et demandeuses d’asile ou d’une contribution financière.
Il est aussi extrêmement regrettable que le mécanisme de crise permette en réalité aux États confrontés à un « afflux massif et exceptionnel » de personnes migrantes à ses frontières de mettre en place un régime dérogatoire largement moins protecteur des droits des demandeurs et demandeuses d’asile. Ainsi, les procédures pourraient être simplifiées et accélérées, mais surtout la détention des personnes pourrait être étendue jusqu’à quarante semaines !
Si l’Italie, d’abord réticente, s’est finalement ralliée au texte, ce n’est pas le cas de la Pologne et de la Hongrie qui s’y sont en fin de compte opposées, ni de l’Autriche, de la Slovaquie et de la République tchèque, qui se sont abstenues. Le sommet de Grenade a permis au Conseil de se réjouir de l’accord trouvé, mais nous sommes loin du début d’une politique européenne conjointe en matière migratoire. Au contraire, nous nous en éloignons encore un peu plus. Si le mécanisme de crise précité était mis en œuvre, il ouvrirait la porte à des postures « à la carte » de la part des États membres de l’Union, ce qui signifie que des règles différentes seraient en vigueur au même moment sur le territoire de l’Union européenne. Par ailleurs, les États du pourtour méditerranéen qui réclament la solidarité risquent de voir leurs partenaires justifier d’une des dérogations possibles, et désormais prévues par le mécanisme de crise, pour échapper à toute solidarité. Enfin, les personnes en quête d’une protection internationale, les demandeurs et demandeuses d’asile, pourront toujours tenter leur chance, mais elles seront confrontées à un régime plus sévère, avec des droits dégradés. »
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