Libres, ensemble
#MeToo est-il réservé
aux non-musulmanes ?
Naïla Chikhi · Fondatrice de Migrantinnen für Säkularität Selbstbestimmung
Mise en ligne le 7 septembre 2022
Que ce soit à Bruxelles, à Paris ou à Vienne, les conflits à l’école sont multiples, récurrents et de plus en plus à connotation religieuse. Berlin n’est pas épargnée par cette transmutation. Les conflits à caractère religieux en milieu scolaire trouvent un écho favorable dans les médias, mais peu chez les policitien.ne.s. Les fillettes semblent être les oubliées de cette problématique.
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Depuis plusieurs années, les écoles appellent à l’aide. Elles sont dépassées, car non formées et abandonnées. Martin Hikel, le maire de Neukölln, un arrondissement au sud de Berlin à forte population immigrée, a entendu leur demande. Il a chargé DeVi e.V.1, une association travaillant dans la prévention de l’extrémisme de droite et de l’islamisme, de dresser un état des lieux des manifestations religieuses conflictuelles dans les écoles de son arrondissement. « Par manifestations religieuses conflictuelles dans les écoles, [DeVi] entend les pratiques religieuses ainsi que les comportements quotidiens à connotation religieuse manifestés ou exprimés dans le cadre scolaire, visant à attirer l’attention dans le but de provoquer, d’humilier et/ou d’instaurer une domination. »2
Les protagonistes de dix écoles et une association de jeunes ont été interviewées par la DeVi. Ces écoles sont situées dans des quartiers défavorisés où la majorité des élèves sont turcs ou « arabophones » et de confession musulmane. L’allemand n’est pas leur langue maternelle. Les conflits observés sont semblables à ceux répertoriés en 2004 dans le rapport de Jean-Pierre Obin, alors inspecteur général de l’Éducation nationale française3 : le respect du ramadan par la contrainte, la demande de salles de prière, la dévalorisation des autres religions ou des minorités, le refus de participer aux visites des lieux de culte non musulmans, le refus de la mixité par les familles et une tendance à la radicalisation. Les résultats sont désastreux, surtout pour les filles.
Des communautés hermétiques…
L’environnement social d’une école influence fortement sa dynamique. À Neukölln, beaucoup de familles cumulent les problèmes. Un grand nombre d’entre elles sont peu instruites et vivent de prestations sociales. Les parents semblent dépassés et ne comprennent pas le fonctionnement de leur société d’accueil. Ils ne s’impliquent pas dans la scolarisation de leurs enfants à travers l’aide aux devoirs et l’organisation des loisirs. L’aînée des filles voit souvent sa scolarité entravée par des responsabilités familiales comme s’occuper de ses frères et sœurs plus jeunes. La crainte obsessionnelle d’une occidentalisation des enfants, en particulier des filles, est très présente dans ces familles et se manifeste par l’interdiction de participer aux sorties scolaires.
… sous la mainmise de mosquées réactionnaires
L’emprise des mosquées et des associations dites culturelles n’est plus à démontrer. Insidieusement, par le truchement du droit à la liberté religieuse et à la transmission de la religion à travers l’apprentissage du Coran, très tôt, il est inculqué à ces enfants que cette société allemande n’est pas la leur. Il est observé qu’ils s’éloignent progressivement des valeurs universalistes ouvertes sur l’égalité des sexes et les libertés individuelles. Il leur est interdit d’en parler à l’extérieur de la mosquée.
Il est constaté que les parents musulmans laïques et instruits quittent le quartier dès la scolarisation de leurs enfants ou à la fin de l’école primaire. Les élèves juifs, souhaitant vivre leur judéité librement, ont délibérément déserté ces écoles depuis plus de vingt ans.
La damnation des filles musulmanes
Les personnes interviewées étaient invitées à expliquer ce qui est important à leurs yeux. Presque toutes ont soulevé le thème du « rôle des sexes » et de la pression exercée sur les filles. La majorité de ces élèves évolue dans des familles patriarcales où les rôles traditionnels assignés à chaque sexe sont fortement cimentés. Entre les murs du foyer conjugal, l’unique destin de la femme est basé sur une maternité répétée. Obtenir un métier est une utopie et son indépendance financière est une chimère. Le choix de privilégier une famille nombreuse repose sur les allocations familiales qui sont un revenu pour tout le foyer. Cette aide nécessaire est devenue le fléau de bien des femmes musulmanes, les empêchant de briser les chaînes de l’ordre patriarcal.
Dans ces familles, le rôle de mère est très valorisé. Celui du père autoritaire est plus craint que respecté. Ces rôles définis par le sexe influencent les garçons dans leur manière de considérer les filles et les filles dans celle d’entrevoir leur avenir. Les garçons sont des acteurs et les filles des sujets. Dans un tel schéma, ces dernières n’ont guère la chance de pouvoir s’extraire de cet avenir tout tracé. Elles se résignent, s’adaptent, intériorisent ces codes sociaux misogynes. Pour plusieurs d’entre elles, elles transmettront à leurs enfants la hiérarchie des sexes qui les opprime.
La majorité des élèves issues des quartiers défavorisés évolue dans des familles patriarcales où les rôles traditionnels sont fortement cimentés.
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Derrière le voile
Il a été relaté à plusieurs reprises que les filles subissent une très grande pression de la part des garçons conservateurs. Ils les contrôlent dans leur façon de se conformer à la tradition religieuse orthodoxe, particulièrement à son code vestimentaire – le voile. Lorsque les filles ne sont pas désinscrites des cours d’éducation physique et de natation – bien que le port du burqini4 par des mineures soit devenu pratique courante –, les parents exigent qu’elles portent le voile. Certaines écoles acceptent ce compromis tant que les règles de sécurité sont assurées. Elles justifient cette compromission prétextant qu’elle permet aux filles voilées de pratiquer le sport. Chaque compromis cédé aux parents islamisés en appelle un autre. S’en suivent l’interdiction des joggings supposément trop moulants et leur remplacement par « des robes longues pour les cours d’éducation physique » ! Dans ces zones urbaines européennes, tout comme dans de nombreux pays islamisés, le port du voile découle de la pression et de l’intimidation subies par les filles dans la rue. Les parents qui sont contre le port du voile finissent par s’y plier si leur fille est continuellement harcelée par les jeunes fanatisés du quartier.
À ce jour, les soldates voilées de l’islam politique et leurs « avocaillonnes » occidentales osent affirmer que le port du voile est un choix réfléchi. En effet, certaines adolescentes le portent avec assurance et ont appris à défendre leur « choix ». « Une élève a été victime d’une agression sexuelle très grave parce qu’elle s’habillait de manière neutre. Par la suite, elle a porté le voile et a justifié sa décision par le fait que maintenant, on la laisse tranquille. » L’argument du choix est aussi caduc quand les filles d’éducation séculière l’expliquent par la reconnaissance des pairs. Une direction d’école souligne : « Il est extrêmement rare que les voiles soient retirés, celles qui le portent le font jusqu’à la fin de leur scolarité. » Il est consternant de constater l’acceptation sournoise du voilement supposément volontaire des mineures, mais il est cynique d’occulter le fait que des élèves non musulmanes soient harcelées et que des enseignantes aient à subir l’incivilité de leurs élèves masculins, car non voilées.
Aucune situation de violence observée ne doit et ne peut être banalisée. Et il faut redoubler de vigilance quand il s’agit de fillettes non pubères. Une direction d’école avoue avoir repéré chez celles-ci un changement négatif dans leur comportement comme la perte de vivacité et l’isolement. Le voile les rend silencieuses.
Le tabou de l'ÉVRAS
De ces entretiens, nous relevons que dans les espaces sociaux où s’établit un islam conservateur, les rôles différenciés se renforcent au sein des familles patriarcales s’accompagnant d’une morale sexuée archaïque et d’un rapport négatif à son propre corps et au corps de l’autre sexe. Les cours d’éducation sexuelle, qui pourraient combler ce déficit5, sont boycottés par certains parents : « Nous n’annonçons plus [que le cours d’éducation sexuelle] aura lieu la semaine prochaine, sinon la moitié de la classe s’absente. » La honte, la conformité aux lois et aux interdictions conservatrices sont si prégnantes que les élèves refusent parfois de se laisser examiner par un médecin non musulman et en exigent un de leur confession.
Il est connu et admis que les premières victimes de l’islam politique sont les musulman.e.s. À travers ces faits rapportés, de plus en plus récurrents, on constate que les premières à pâtir de ces courants obscurantistes, ici en Occident, sont les filles et les femmes.
Diversité, entre enrichissement et conflit ?
La diversité met au défi notre tolérance à l’ambiguïté. Aujourd’hui encore, des femmes se battent à travers le monde pour que la violence à l’égard des filles et des femmes ne soit plus relativisée. En Allemagne, des partis comme Bündnis 90/Die Grünen (écologistes) et Die Linke (La Gauche) s’efforcent d’inscrire les droits de l’enfant dans la Constitution allemande. Parmi ces droits, celui du bien-être et de l’épanouissement de l’enfant ainsi que la non-discrimination des mineurs. C’est dans cet esprit que se situe le projet de DeVi. Il consiste à documenter de manière neutre et méthodologique les manifestations religieuses conflictuelles, les évaluer objectivement, étudier le phénomène afin de développer des stratégies d’action adéquates qui serviront à aider les écoles, à protéger les victimes et à éduquer les auteurs.
Paradoxalement, ce sont ces deux partis dits féministes et émancipateurs qui s’expriment avec véhémence contre le projet de DeVi alors qu’il identifie nettement la source du problème. De plus, en janvier 2022, un réseau de groupes religieux, soutenus par des universitaires en islamologie et en théologie et par des associations dites de lutte contre le racisme et la discrimination, s’est opposé au financement et au maintien du projet, le qualifiant d’islamophobe, l’accusant de stigmatiser les musulman.e.s et d’assimiler l’islamisme à l’islam. Désormais, le « racisme anti-musulman » et l’« islamophobie » sont systématiquement brandis contre les droits constitutionnels des citoyen.ne.s, y compris ceux des enfants. Les conflits documentés étaient en lien avec une interprétation rigoriste et politique de l’islam. L’enquête a été menée, conformément au mandat donné, dans un quartier précis de Berlin où la grande majorité des élèves est de confession musulmane. Le mandat ne couvrait pas tout le Land de Berlin ni la République fédérale allemande.
De telles condamnations généralisatrices sont stigmatisantes. Le désintérêt envers cette jeunesse s’exprime par la défense des agresseurs fanatisés allant jusqu’à justifier leurs comportements alors que leurs victimes sont abandonnées. La démagogie, c’est d’émettre des jugements moraux hâtifs au lieu de se questionner sur les raisons de l’égarement de ces jeunes que l’État a perdus. Le déni systématique évite de se pencher sereinement sur leurs modes de pensée et sur leurs comportements antisociaux.
Un procès d’intention
Ce qui est anti-musulman, ce n’est pas le projet qui veut aider le personnel éducatif et les élèves à vivre ensemble, mais bien l’attitude de ses opposants qui refusent de protéger les jeunes musulman.e.s de l’endoctrinement. Un tel mépris démontre un flagrant manque de connaissances des prémices de la radicalisation. Ce qui est anti-musulman, c’est de ne pas porter assistance aux fillettes musulmanes qui subissent quotidiennement des violences psychologiques, physiques et sociales.
Toutes les personnes interviewées ont expressément insisté sur leur anonymat. Des quatre associations de jeunes contactées, une seule a accepté de nous rencontrer. La peur de nommer explicitement le problème est évidente. Une étude de la Fondation Jean-Jaurès parue en 2021 en France décrit de manière similaire l’autocensure du personnel enseignant sur la particularité de ces épineux sujets6.
Si la propagation du fondamentalisme et de sa violence envers les enfants est tue par le politique et par la société, il est permis de se demander dans quelle mesure cette société peut encore se définir comme égalitaire et préoccupée par les droits de la personne et de l’enfant. On se demande également comment les féministes de la gauche bien-pensante menant une politique féministe à géométrie variable expliquent vouloir briser le silence sur la violence faite aux filles et aux femmes, et ce, à tous les niveaux de la société alors que leur silence est assourdissant quand des musulmanes sont concernées. Est-ce par ostracisme, par relativisme culturel ou par préoccupations électoralistes ? #MeToo est-il réservé uniquement aux non-musulmanes ?
- DeVi e.V. Demokratie und Vielfalt (Démocratie et Diversité). Ci-après nommé « DeVi ».
- Définition de DeVi e.V. donnée dans la brochure « Anlauf- und Dokumentationsstelle konfrontative Religionsbekundung », décembre 2021.
- Jean-Pierre Obin, « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires », Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, juin 2004.
- « Burqini » avec un q, car il a pour racine « burqa » alors que « burkini» est un dérivé de « bikini».
- La Cour européenne des droits de l’homme avait considéré en 2018 que l’éducation sexuelle avait pour objectif de protéger les enfants contre la violence et l’exploitation sexuelles et qu’une désinscription de ce cours n’était pas justifiée.
- Iannis Roder, « Les enseignants de France face aux contestations de la laïcité et au séparatisme », Fondation Jean Jaurès, 6 janvier 2021.
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