Accueil - Exclus Web - À table -
À table !
Pour nourrir votre esprit
Liturgie féministe
Amélie Dogot · Secrétaire de rédaction
Mise en ligne le 14 février 2022
Celles et ceux qui portent dans leurs bagages une éducation catholique ont encore en mémoire le célèbre « Notre Père », le « Je vous salue Marie », quelques extraits de la sempiternelle messe du dimanche et sans doute aussi des bribes d’Épîtres, de lettres, d’Évangiles et autres textes dits sacrés étudiés au catéchisme. Des textes d’hommes écrits par des hommes, mettant en scène des hommes… et quelques femmes, il est vrai, mais réduites au rôle de mère ou de pécheresse, pour ne pas dire putain.
« Au commencement était le Verbe. Et l’homme accapara le Verbe… Et l’homme dit à la femme de se taire. » C’est pour délier la muselière estampillée « J.-C. » apposée par les grands manitous de la religion chrétienne occidentale que l’autrice et metteuse en scène Nicoleta Esinencu a revisité la Bible à travers trois plus ou moins célèbres dissidentes. Ainsi, l’Évangile n’est plus celui d’un apôtre mais de Marie Madeleine, disciple – et plus si affinités, selon les sources – de Jésus ; l’Apocalypse n’est plus celle de Jean mais de Lilith, première femme d’Adam avant Ève ; et l’Arche n’est plus celle de Noé mais de Noréa, fille d’Ève enterrée bien profond dans les écrits gnostiques.
Entremêlant prières détournées, récits et souvenirs de femmes d’hier, d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, la trilogie poétique anti-biblique de la dramaturge moldave est une véritable ode au féminin sacré et à la libération de tous les carcans de la société judéo-chrétienne patriarcale. « Hérité du spoken word, l’écrit pour la parole célèbre la littérature dans ce qu’elle a de plus politique » : avec cette collection toute particulière, la directrice des éditions de L’Arche Claire Stavaux offre ainsi un écrin de papier au Verbe engagé. Des mots mis en scène à Stuttgart au Theater Rampe qu’on rêverait d’entendre psalmodiés par une grande prêtresse au sommet de la chaire de vérité de l’église du Gesù désacralisée.
Nicoleta Esinencu, L’Évangile selon Marie. Trilogie, trad. Nicolas Cavaillès, Paris, L’Arche, coll. « Des écrits pour la parole », 2021, 176 pages.
Partager cette page sur :