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LGBTQIA+ : vers des lieux plus sûrs, sans tabous

Philipp Kocks · Directeur de la communication à deMens.nu

Avec la rédaction1

Mise en ligne le 4 décembre 2023

Inke Gieghase est « artiste des mots », aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. En tant qu’activiste, iel se concentre principalement sur les thèmes LGBTQIA+ et s’efforce de créer un environnement plus sûr et plus inclusif pour cette communauté, au niveau national comme international. Briser les tabous par les mots, mais aussi par les actes : Inke veut marquer et ouvrir les esprits.

Photo © Hyper-Set/Shutterstock

Comment œuvrez-vous pour briser les tabous ?

Pour moi, cela signifie discuter des problèmes de différentes manières. Par exemple, si je veux briser les tabous avec le word art, je le fais en me basant sur mes propres expériences, mais aussi en partageant les histoires d’autres personnes, bien sûr après consultation et autorisation mutuelle. Il est important que j’ose parler de sujets qui ne sont pas assez abordés. Avec cet art, vous pouvez planter des graines pour faire réfléchir les gens et ainsi ouvrir la conversation. Il est également essentiel que vous puissiez créer un « espace sûr », où les gens sentent qu’ils peuvent parler librement de leurs expériences. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra vraiment briser les tabous. Pour certains, cela fonctionne bien avec l’aide de l’art, d’autres bénéficient davantage de cours théoriques et d’autres encore préfèrent y travailler eux-mêmes de manière concrète.

Les « espaces sûrs » – des environnements dans lesquels tout le monde se sent en sécurité – sont désormais connus, mais vous parlez d’« espaces (plus) sûrs ».

C’est à peu près la même chose, mais je pense qu’il est crucial de mettre le « plus » entre parenthèses. Créer un espace (plus) sûr est un processus constant. Cela signifie qu’il est impossible de garantir la sécurité à tout moment. C’est un objectif à atteindre et cela montre à tout le monde que l’on est prêts à travailler ensemble pour arriver à ce lieu sûr.

Selon Inke Gieghase, « il est souvent difficile d’aborder et de modifier de grands systèmes, mais des étapes plus modestes au niveau micro [comme la publication d’articles et d’un livre sur l’identité de genre, NDLR] ou méso peuvent également s’additionner et conduire à des changements au niveau structurel. »

© Michelle Geerardyn

Quels sont les plus grands obstacles auxquels vous faites face dans votre travail de militant.e ?

Il y en a beaucoup en ce moment. Par exemple, je remarque que les petits problèmes prennent beaucoup d’ampleur. Bien entendu, les toilettes non sexistes sont importantes, tout comme les pronoms dans les signatures électroniques sont pertinents. Mais j’ai le sentiment que les médias se concentrent uniquement sur ces sujets, de sorte que les problèmes majeurs sont passés sous silence. Il suffit de penser à la violence psychologique et physique à l’encontre des personnes LGBTQIA+, aux listes d’attente interminables en matière de soins d’affirmation de genre, à l’exclusion structurelle et au manque de connaissances à ce sujet dans les soins de santé, l’éducation et les médias, entre autres. En général, il y a encore beaucoup d’ignorance, ce qui pousse les gens à résister. Comme aux États-Unis, où les idéologies selon lesquelles les drag-queens et les personnes transgenres sont dangereuses gagnent désormais du terrain. Ces idées sont également de plus en plus populaires dans notre pays. Et sur Internet, on constate que les gens ne mâchent plus leurs mots. C’est extrêmement dangereux. Cela crée un sentiment d’insécurité au sein de la communauté LGBTQIA+.

Vous travaillez en tant que consultant.e auprès d’organisations et d’entreprises. Comment ça marche ?

Dans mes conférences et ateliers, j’essaie de me concentrer sur l’impact que l’on peut avoir à petite échelle. Il est souvent difficile de s’attaquer à de grands systèmes et de les modifier complètement. Mais ces petites étapes au niveau micro ou méso peuvent également s’additionner et conduire à des changements à des niveaux structurels plus larges. Parce que c’est nécessaire. J’essaie juste de procéder étape par étape.

Comment ce « petit impact » se manifeste-t-il ?

Je vais illustrer cela par un exemple. J’ai donné une conférence dans une école où un.e élève a dit à un enseignant qu’iel se posait des questions au sujet de son genre et de son identité sexuelle. L’école avait pris l’initiative d’organiser cette conférence pour tous ceux qui souhaitaient y participer : étudiants, personnel et parents. J’y ai raconté mon histoire, et à la fin l’étudiant.e a dit devant une salle comble qu’iel n’avait pas les mots justes et qu’iel n’osait pas en parler en public, mais qu’iel se sentait comme moi et qu’iel était non binaire. Le fait que cet adolescent.e ait osé dire ça à tous ces gens m’a aidé à me relever. Quand j’étais si jeune, je ne pouvais pas m’exprimer et je n’avais aucun filet de sécurité sur lequel me reposer. Le fait que les gens puissent désormais trouver les mots pour s’exprimer et faire partie d’une communauté m’impressionne encore. J’essaie toujours d’être ouvert.e sur mon identité sur les réseaux sociaux et je remarque qu’il est plus facile pour les autres de se retrouver, de découvrir leur identité. Si vous avez suffisamment de personnes pour vous soutenir, vous réalisez que vous pouvez aussi ouvertement défendre qui vous êtes.

« Si je veux briser les tabous avec le word art, je le fais en me basant sur mes propres expériences, mais aussi en partageant les histoires d’autres personnes. » Paroles d’artiste militante.

© Erhan Inga/Shutterstock

Quels outils proposez-vous aux organisations ?

C’est très large et cela dépend du secteur ou de l’organisation elle-même. Lorsque des entreprises ou des associations souhaitent impliquer davantage de personnes non binaires ou trans dans leurs activités, elles le font parfois à la hâte, sans garantir au préalable un environnement sûr. Il s’agit ensuite simplement de cocher des cases pour montrer qu’elles sont diversifiées et inclusives. C’est bien sûr une bonne chose s’il y a de la diversité au sein de votre personnel, mais pas si l’environnement de travail n’est pas un endroit sûr pour ces personnes. Il existe plusieurs manières de créer cet environnement, à commencer par une politique anti-discrimination forte. Une telle politique ne concerne pas seulement la transphobie, elle doit avoir un cadre plus large. Vous pouvez également vous concentrer sur une plus grande représentation aux postes de direction. Car les organisations montrent souvent leur diversité à l’extérieur, mais les décisions sont toujours prises par les mêmes personnes. La cohérence est également importante. Si un drapeau arc-en-ciel est partagé sur les réseaux sociaux pendant le mois des fiertés ou parfois uniquement lors de la Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie (le 17 mai de chaque année, NDLR), mais si aucune action n’y est liée, alors c’est en fait une image creuse et ça peut faire plus de mal que de bien. Chaque communication doit également être accompagnée d’actions concrètes pour créer un environnement sûr pour notre communauté. Un travail de sensibilisation pour toucher les personnes LGBTQIA+ est également indispensable, car si vous utilisez toujours les mêmes canaux, vous ne devriez pas être surpris de ne pas attirer un public plus diversifié. Toutefois, si vous travaillez dans une organisation ou une entreprise où les gens ne sont pas encore disposés à mettre en œuvre de tels changements au niveau structurel, vous ne devez certainement pas sous-estimer l’impact des petites actions. Si vos collègues ont le sentiment de pouvoir être eux-mêmes avec vous, c’est déjà un pas dans la bonne direction. Cela se voit également dans le travail avec la jeunesse. Si un adolescent ou un jeune a ne serait-ce qu’un seul modèle adulte, le risque de problèmes de santé mentale sera considérablement réduit. Ne sous-estimez donc pas l’impact que vous pouvez avoir en tant qu’individu sur vos amis, vos connaissances, vos collègues, une organisation ou une entreprise.

  1. Cet article est une adaptation en français de Philipp Kocks, « Taboes doorbreken en bespreekbaar maken », dans deMens.nu Magazine, 12e année, no 3, juillet 2023. Il est publié ici avec l’aimable autorisation de son auteur et de deMens.nu.

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