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Les nouveaux
boucs émissaires
François Finck · Délégué « Europe & International » au CAL/COM
Mise en ligne le 14 février 2022
Un professeur d’université assassiné après avoir cité Spinoza en direct à la télévision, lors d’un talk-show : c’est de cette manière improbable que commence Le Recensement des intellos de gauche, du journaliste et romancier italien Giacomo Papi. Olivia, la fille du professeur Prospero, rentre d’Angleterre pour tenter de comprendre, et découvre les changements qui ont eu lieu en son absence… La chasse aux sorcières a été lancée, mais cette fois ce sont les écrivains et les penseurs qui trinquent.
Cette satire politique a lieu dans un futur proche, dans une Italie gouvernée par un « Premier ministre de l’Intérieur » démagogue, qui a désigné les intellectuels, supposément tous « de gauche » (radical chic dans l’original italien), comme boucs émissaires. Il attaque sans relâche leurs prétendus privilèges et moque leur « inutilité ». Les assassinats se poursuivent, au point que le ministre propose de les faire recenser par les autorités. Pour les protéger, bien sûr… Dans le même temps, le dirigeant a créé la « Haute autorité pour la simplification populaire de la langue italienne », chargée de simplifier la grammaire et d’interdire les mots compliqués ou peu usités.
Le Recensement des intellos de gauche, c’est un peu Orwell à la sauce italienne, un 1984 situé dans la première moitié du XXIe siècle, dans une version un peu moins implacable et plus grotesque. Quoique, c’est peut-être précisément l’univers familier du roman qui le rend plus inquiétant. La dystopie imaginée par Papi semble à la fois surréaliste et tout à fait plausible. En effet, le propos est criant d’actualité et de réalité : le fascisme, on le sait, peut prendre le pouvoir dans une forme plus soft, sans violence, par la démagogie, exploitant et encourageant l’abrutissement et la haine de la culture.
À travers sa prose, l’auteur pointe aussi certains travers des intellectuels et la faiblesse de l’opposition démocratique face au culot et à l’agressivité d’un dirigeant tout-puissant. Ce roman, écrit dans un style vif et plaisant, fait la part belle à l’humour et à l’ironie. Une lecture réjouissante et qui fait réfléchir.
Giacomo Papi, Le Recensement des intellos de gauche, Paris, Grasset, 2021, 234 pages.
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