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Vous dites?
Les femmes iraniennes, force motrice du changement
Une opinion d’Ava Basiri · Membre du collectif Laïcité Yallah
Mise en ligne le 18 février 2022
Les Iraniennes vont-elles faire tomber le régime ? On m’a posé cette question, mais pourquoi à moi ? Qui suis-je ? Née et élevée en Belgique, fille de migrants iraniens. Je n’ai visité l’Iran que deux fois et je cultive un lien profond avec son peuple et sa culture, même si cette dernière se cache derrière des portes closes.
Photo © Shutterstock
Il ne fait aucun doute que la force des femmes iraniennes a été remarquée dans le monde entier et qu’elle est devenue un exemple pour les mouvements des droits des femmes et les droits humains en général. Je participe à beaucoup d’événements et j’en organise ici en Belgique avec la diaspora iranienne. Participer à un soulèvement qui pourrait me coûter la vie, je ne pense pas que j’aurais le courage de le faire si je vivais en Iran. « Femme, vie, liberté » : un slogan simple, quelques mots pour en appeler aux droits fondamentaux des femmes. En écrivant ces lignes, je me demande ce que sont ces droits.
« Fondamental » signifie « crucial ». Partant d’un moteur de recherche, je me retrouve sur une page du site Web d’Amnesty International répertoriant les caractéristiques des droits humains. Parmi celles-ci : « Les droits de l’homme sont le reflet des nécessités fondamentales de la vie. Sans droits de l’homme, une personne ne peut mener une vie digne. Violer les droits humains de quelqu’un signifie traiter cette personne comme si elle n’était pas humaine. Promouvoir les droits de l’homme, c’est exiger que la dignité humaine de tous soit respectée. » En Iran, les femmes ne sont donc pas traitées comme des êtres humains. L’État iranien ne s’en cache même pas, affirmant publiquement sans vergogne que la valeur d’une femme est la moitié d’un homme.
Les Iraniennes vont-elles faire tomber le régime ? J’ai décidé de leur poser directement la question. Après tout, elles sont les mieux placées pour y répondre. Elles vivent le changement, elles sont là ! J’ai lancé un appel sur Instagram signalant que je cherchais des femmes d’Iran pour une petite enquête. Étant donné que l’État contrôle la connexion Internet, la communication est difficile. Mais nous avons pris les mesures nécessaires pour qu’elles ne courent pas le risque d’être arrêtées pour espionnage. Leurs noms ne sont donc pas mentionnés délibérément.
A.D., 40 ans, originaire du Gorgan (Nord de l’Iran) raconte : « Le gouvernement a été si dur avec la population que nous avons tous peur. Tirer dans la foule ! Même les simples passants peuvent être touchés ! L’inflation est telle que nous sommes coincés chez nous. Il n’y a pratiquement pas d’essence disponible. Avec la pénurie de gaz, beaucoup de personnes sont sans chauffage alors qu’il neige actuellement. Le prix d’une voiture a triplé. La consommation de mazout a tellement augmenté que l’air est pollué. Dehors, on étouffe. La moitié des femmes, en revanche, descend désormais dans la rue sans voile. Ce n’est pas un signe de victoire pour nous, c’est qu’on s’en fiche. On en a marre et on n’a rien à perdre. Si ça continue, la population va exploser et on ne s’arrêtera pas tant qu’on n’aura pas atteint une vraie liberté. »
Prise à la lettre, la réponse de S.A., 39 ans, d’Abadan (Sud de l’Iran) est non : « Bien entendu, cela ne peut pas se faire à travers les femmes. Les femmes dans la rue qui ne portent pas de foulard sont révolutionnaires. Elles montent en première ligne. Le temps des femmes qui restent à la maison et qui attendent leur mari est révolu. Ce sont elles qui lancent les protestations en se mettant à crier des slogans. Les hommes arrivent après. Les femmes sont à l’origine de la protestation. On constate aussi souvent de manière générale que derrière les hommes qui réussissent, il y a toujours eu des femmes fortes. Ils ne sont rien sans elle dans ce pays, et pourtant ce sont eux qui ont marché avec les trophées pendant des années. Cela soit s’arrêter. Pour le moment, c’est beaucoup plus calme. Les protestations se sont calmées à cause de la peur. Il y a beaucoup trop de victimes. 520 décès au cours des quatre derniers mois : ce nombre est celui des victimes identifiées. Il y a des milliers de disparus et de morts dont les familles n’osent pas parler. Sortir dans la rue maintenant revient à se suicider. Nous espérons que le reste du monde nous aidera. Pas avec des déclarations de soutien et des pétitions, mais avec des mesures concrètes contre ce régime. Nous, les femmes, sommes peut-être des leaders dans ce mouvement, mais maintenant, nous avons besoin de l’aide de vrais leaders extérieurs issus, non pas de la diaspora iranienne, mais des autres pays et des organisations internationales. Notre appel a été lancé et nous attendons. Soit le sauvetage viendra, soit nous nous noierons tous. »
Pour S.S., 38 ans, de Téhéran, la question est étrange : « La situation en Iran est très différente de ce que l’on pense à l’autre bout du monde. Changer de régime, notamment celui de la République islamique, est une tout autre affaire. Je vis seule depuis quatorze ans et j’ai vu de mes propres yeux les problèmes se multiplier dans ce pays. Pour être honnête, aucun groupe ou organisme ne peut changer ce régime. Nous avons affaire à un État qui n’a peur de rien ni de personne. Et donc rien ne peut l’arrêter. Sauf si un tiers s’en mêle. J’entends par là un autre pays, puissant. Il est vrai que les mots d’encouragement et de soutien sont importants pour nous rebooster. Mais ce n’est pas ça qui va faire tomber cet État corrompu qui ne recule devant rien. Le régime des mollahs a un peu plus de 40 ans et ils ont décrit et préparé avec précision chaque scénario, chaque situation. Le soulèvement de personnes impuissantes et désarmées ne va pas les effrayer ou les faire disparaître. La chute de l’État ne se fera certainement pas dans quelques mois. La force motrice de ce mouvement, ce sont les femmes. Mais la situation est telle que rien de tout cela n’est suffisant pour faire disparaître ce sale régime. »
Parisa, 34 ans, qui a quitté Téhéran et vit en Belgique depuis sept mois, rappelle que « le courage et la bravoure dont font preuve les femmes iraniennes a toujours existé dans notre culture et dans notre histoire. Mais ils ont tout simplement été étouffés par le gouvernement pendant quarante-quatre ans. Cette révolte des femmes ne s’est pas produite soudainement après [la mort de Mahsa Amini]. C’est surtout une accumulation de tout ce qui s’est produit. En 2014, par exemple, la journaliste Masih Alinejad a lancé la campagne-défi “Ma liberté secrète”, qui invitait les femmes iraniennes à publier des photos d’elles sans hijab. Les femmes ont depuis longtemps scandé des slogans et commencé ce mouvement. La seule différence est que le reste de la population y participe enfin. Dans l’ensemble, il est très clair que la force motrice ici, ce sont les femmes, car ce sont elles aussi qui souffrent le plus de cet État islamique. »
Après conversations et réflexion, j’ai complètement changé d’avis sur la question. Les femmes sont les racines de ce grand arbre ! Sans elles, le mouvement ne survivra pas. Elles sont clairement le moteur et les leaders de l’Histoire. L’oppression qu’elles subissent depuis quarante-quatre ans est comparable au dessèchement des racines d’un arbre. Et celui-ci tombera un jour, j’en suis certaine. Je peux l’imaginer : un Iran libre, avec une femme à sa tête… Quand cela arrivera-t-il ? Aucune idée, mais nous y arriverons.
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