Chronique du Nord
Les droits, une matière
vivante et sensible
Ava Basiri · Activiste pour les droits humains en Iran et membre du collectif Laïcité Yallah
Avec la rédaction
Mise en ligne le 5 octobre 2023
Que savent les élèves de quatrième secondaire des droits humains ? Ont-ils conscience que les droits acquis et exercés en Belgique ne sont qu’un rêve ailleurs dans ce monde, notamment en Iran ? Atelier de sensibilisation dans une école malinoise.
Photo © Shutterstock
Le lundi 13 février 2023, je me rends dans une école secondaire catholique à Malines, sur invitation d’une de ses enseignantes, Yasmina Faid. L’école entame une semaine thématique. « L’idée est que chaque année se déroule une semaine de projet », raconte la professeure de culture et de psychosociologie. « Selon l’année d’étude, les thèmes sont différents. En deuxième année, il s’agissait de la démocratie et en quatrième année, des droits de l’homme et de la femme. Plusieurs femmes sont intervenues, dont deux Iraniennes, une ancienne élève d’origine assyrienne qui a étudié la philosophie et une militante des droits des femmes du CNCD-11.11.11. Les élèves ont été répartis en groupes afin que chaque intervenant.e puisse interagir avec eux et établir un contact privilégié. » Les actions d’Amnesty International et du Marathon des lettres leur ont été présentées. « Il s’agit de faire prendre conscience aux élèves que des personnes sont emprisonnées dans certains pays pour une raison insignifiante, voire sans raison », poursuit l’enseignante. « Nous voulons que les élèves se rendent compte de la différence entre la société dans laquelle nous vivons et celle de certains pays en crise ou du tiers monde. »
Ayant pris connaissance de mon investissement en faveur des droits des Iraniennes, la professeure souhaitait aborder ce sujet sous le prisme de l’activisme. Je me retrouve donc face à des jeunes de 14 à 15 ans pour animer un atelier sur les femmes et les enfants en Iran. J’essaie de les faire participer en leur posant trois questions qui les étonnent par leur simplicité : « Avez-vous déjà pris un verre ou êtes-vous allé au cinéma avec votre copain ou votre copine ? Si vos parents ont divorcé, vivez-vous avec votre mère ou la voyez-vous régulièrement ? Avez-vous un chien comme animal de compagnie ? » Des situations banales pour eux. Quand je leur ai apprends que les Iraniennes et les Iraniens n’ont pas ces « droits », ils sont interloqués.
Derrière les apparences
Pour les sensibiliser et accroître leur empathie, je me suis adaptée à ce qui se rapproche le plus de leur âge, de leur mode de vie et de leurs habitudes. Venue expressément sans présentation écrite à l’avance, j’utilise un moteur de recherche pour leur montrer et leur raconter quelque chose de vivant et de sensible. L’occasion de leur démontrer également qu’ils peuvent eux aussi faire des recherches sur l’état des droits. Avec mon ordinateur, laissant le poids des images parler pour elles, nous introduisons une requête sur les filles à l’école en Iran. Résultat en images : toutes avec le même uniforme et le même foulard. Un monde de différence avec les adolescents qu’ils sont aujourd’hui, attentifs à leur apparence, suivant les tendances et célébrités à travers les réseaux sociaux !
Un petit tour sur Instagram sur les comptes de Hadis Najafi et Hamid Reza Rouhi, tous deux instagrammeurs et tiktokeurs âgés de 20 ans, suffit pour comprendre que les jeunes Iraniens, quand ils le peuvent, ne sont pas très différents d’eux ; ils ont le même style vestimentaire, écoutent les mêmes chansons et s’enflamment les mêmes danses…
Des vies arrachées
Impossible de parler des droits en Iran sans évoquer la mort de Mahsa Amini, la jeune fille iranienne d’origine kurde qui a été arrêtée par la police des mœurs le 16 septembre 2022, lors d’un voyage en famille à Téhéran, pour avoir « mal » porté son foulard. Les élèves ne connaissent pas grand-chose de la révolte qui a suivi, de la révolution des femmes, du mouvement Femme, Vie, Liberté qui s’est répandu dans le monde entier, des foulards enlevés, brûlés, des cheveux coupés, des slogans libertaires scandés. Ils ne savent pratiquement rien des émeutes et de la violence de la répression envers les manifestant.e.s pacifiques après quarante-quatre ans d’oppression… Des blessés, des morts, dont 71 jeunes à peine plus âgés qu’eux en quatre-vingt-deux jours… Sont-ils au courant ?
Les jeunes Iraniens, quand ils le peuvent, ne sont pas très différents des jeunes Belges.
© C. Na Songkhla/Shutterstock
Prendre les rênes et agir
À la fin de l’atelier, la page Instagram de Hadis est encore ouverte derrière moi sur l’écran. Je révèle aux élèves qu’elle a été abattue, tout comme Hamid Reza. Eux aussi ont manifesté dans la rue et ils en ont perdu la vie. Un silence de mort plane sur le groupe.
Jusqu’à il y a peu, je n’avais pas moi-même vraiment prêté attention aux droits humains et à la vie de celles et ceux qui en sont privés. Le 16 septembre 2022, la mort de Mahsa Amini a été pour moi un électrochoc. Je suis convaincue que l’on doit être touché émotionnellement pour prendre conscience d’une réalité, aussi dure soit-elle. J’espère avoir suscité auprès des élèves que j’ai rencontrés une même prise de conscience.
« L’atelier a mis l’accent sur un point important », souligne l’enseignante : « Les médias sociaux peuvent être utilisés par les jeunes pour exprimer leurs opinions et diffuser leurs idées. Ils peuvent s’en servir pour s’engager et ne pas détourner le regard de certaines questions. Avec les réseaux sociaux aujourd’hui, les jeunes peuvent prendre les rênes et agir. » Comme Malala Yousafzai, la jeune militante pakistanaise pour le droit à l’éducation des filles, nous devons nous rappeler : « Un enfant, un enseignant, un stylo et un livre peuvent changer le monde. »
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