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Les Babyloniens non plus
ne comprenaient pas
la jeunesse

Propos recueillis par Vinciane Colson · Journaliste « Libres ensemble »

Avec la rédaction

Publié le 1er juillet 2024

Journaliste et auteure du best-seller Sois jeune et tais-toi : réponse à ceux qui critiquent la jeunesse, Salomé Saqué se défend d’être « la représentante » de la jeunesse. Régulièrement interpellée en raison de son genre et de son (jeune) âge, elle dézingue les clichés autour d’une génération malmenée, à qui on laisse une situation écologique sans précédent. Et s’il n’y avait que ça !

Photo © Studio Romantic/Shutterstock

Dans votre ouvrage Sois jeune et tais-toi, vous tentez de casser les stéréotypes qui circulent sur la jeunesse. Parmi ces préjugés, celui du jeune qui ne s’informerait pas ou ne s’intéresserait pas à ce qu’il se passe. Or, ce que vous montrez dans votre livre, c’est que les jeunes sont très au courant de ce qu’il se passe autour d’eux.

Précision importante : quand on parle des « jeunes », on parle de tendances. On pourra toujours nous sortir l’exemple d’un jeune qui n’est pas informé. Ils peuvent être informés différemment en fonction de leur territoire, de leur milieu social, de leur sensibilité… Il existe beaucoup de variabilité. Mais cette génération est globalement bien plus informée que ce que l’on pourrait penser. J’avais 25 ans lorsque j’ai commencé mon enquête, j’en ai bientôt 29. J’avais moi-même intégré des clichés sur le fait que les jeunes ne seraient pas tant informés. J’ai été surprise de constater que beaucoup de jeunes, y compris ceux issus de milieux plus défavorisés, avaient une telle accroche avec l’actualité. Cet intérêt peut être différente de celle de nos parents ou de nos grands-parents. Je crois que la rupture se situe ici : dans les moyens d’information, et parfois même sur les thématiques. Mais ils font preuve d’une curiosité intellectuelle très forte qui s’exerce notamment à travers les réseaux sociaux. Alors oui, on peut faire une critique de ces derniers – et l’on doit même la faire, c’est loin d’être un médium parfait –, mais ils peuvent se montrer très utiles. Lors de mon enquête, l’extrême majorité des jeunes connaissait la situation en Ukraine. Ça les inquiétait, les touchait, ils se sont sentis impliqués sur ce qu’il se passe à l’international, mais aussi dans leur propre pays. On peut trouver une expertise très inattendue sur certains sujets, qui ont pu par exemple s’établir grâce aux jeux vidéo. Certains d’entre eux jouent avec des personnes habitant à Hong Kong, à l’autre bout du monde. Lorsqu’il se passe quelque chose là-bas, cela les touche également. Bien sûr, cela ne signifie pas que ces jeunes adultes sont tous de fins analystes géopolitiques… Mais combien parmi les sexagénaires le sont ? Mon enquête entendait démontrer cela : l’intérêt et la sensibilité de cette jeunesse.

Salomé Saqué, Sois jeune et tais-toi : réponse à ceux qui critiquent la jeunesse, Paris, Payot, 2023, 320 pages.

Comment expliquer la condescendance des plus âgés envers cette jeunesse – qui existe depuis longtemps, on le sait, mais semble se renforcer ?

Au même titre que je ne souhaite pas mettre tous les jeunes dans le même panier, je ne veux pas non plus que l’on mette tous les plus âgés dans le même panier. Mon enquête a pour objectif de dresser un état des lieux des incompréhensions générationnelles, qui sont réelles, mais n’entend surtout pas alimenter une guerre générationnelle. Celle-ci n’existe pas, à mon sens. Le livre tente au contraire de combattre ce qui éloigne les générations : les incompréhensions. C’est l’apanage de toutes les générations plus âgées. On trouvait déjà sur les tablettes babyloniennes ou dans les écrits de Socrate des critiques des jeunes ! Des critiques très semblables à celles que l’on retrouve aujourd’hui. Les jeunes seraient paresseux, impertinents, sèmeraient le désordre, seraient incultes… Notre époque n’échappe pas à ça non plus. J’ai essayé de démontrer avec ce livre qu’il est temps de dépasser ce clivage, car nous sommes dans un moment clé de l’Histoire, et particulièrement d’un point de vue écologique. Nous avons un besoin vital d’obtenir une union des générations. On ne peut pas simplement laisser la responsabilité de changer le monde aux jeunes, car ça les terrifie. Beaucoup d’entre eux ont l’impression que les personnes censées assurer leur avenir ne l’assurent pas du tout.

Journaliste active sur les questions liées au réchauffement climatique, à la jeunesse et aux inégalités hommes-femmes, Salomé Saqué démonte les idées reçues sur les jeunes.

© Clémentine Schneidermans

Il y a une volonté commune, entre les générations, de tendre vers un monde meilleur : l’égalité entre tous les êtres humains, la demande d’un système éducatif de qualité et un soutien actif à la jeunesse, une requête d’une réelle justice sociale et des mesures concrètes pour la planète. On le voit aussi bien chez les jeunes que chez les moins jeunes. Sont-ce les moyens de l’exprimer qui diffèrent ?

Oui, là où il existe peut-être des désaccords, c’est sur les moyens. Il faut tout de même bien se rendre compte que, par exemple sur la question de l’égalité sociale, ce sont les jeunes qui sont structurellement défavorisés dans nos sociétés occidentales, aujourd’hui. Ce sont les premiers exposés à la précarité alimentaire, à la précarité du logement, qui sont deux phénomènes grandissants. Ils sont aussi les premiers à occuper des emplois précaires, sur des temps plus longs que ceux qu’ont connus les plus âgés. D’une certaine manière, les jeunes de maintenant sont plus précaires que les jeunes d’il y a plusieurs décennies en comparaison du reste de la société. Il faut bien avoir ça en tête avant d’asséner aux jeunes : « Quand on veut, on peut. Moi, à ton âge, je travaillais… » Beaucoup d’entre eux sont confrontés à la violence du marché économique, et c’est donc dur à entendre. C’est vraiment un cliché. On a parfois des jeunes qui donnent une place différente au travail dans leur vie, qui exigent par exemple d’avoir une vie personnelle à côté, mais ça ne signifie surtout pas qu’ils ne souhaitent pas travailler. Au contraire, ils ont envie de s’accomplir, d’être utiles, de pouvoir faire société, à rebours de tous les clichés que l’on entend. Je pense que nous souhaitons tous la même chose, mais pour accéder à l’égalité et à la justice sociale, à une société apaisée, nous avons le besoin d’établir un constat. Aujourd’hui, le constat qui concerne la situation des jeunes est souvent mal établi. L’objectif de mon enquête et de mon intervention est d’essayer d’amener un peu de compréhension, de compassion, envers cette jeunesse vraiment malmenée.

Malmenée… et qui va mal. Il est urgent de considérer davantage leur santé mentale.

Tout à fait, c’est un problème de santé publique majeur en Europe, qu’on ne prend pas du tout avec le sérieux que cela mériterait. Cela témoigne de l’attitude que nous avons dans nos sociétés vis-à-vis des jeunes, qui consiste à dire : « Vous êtes jeunes, vous allez vous en remettre. » Ce qu’on voit, c’est qu’il y a des jeunes qui ne s’en remettent pas, et vont de plus en plus mal. Il y a eu un point de bascule avec la pandémie de Covid-19, mais cela avait déjà commencé avant. Et plus les jeunes sont malmenés, plus ils sont précarisés, plus les paramètres socio-économiques, géopolitiques se dégradent, plus la santé mentale des jeunes se dégrade. En France, les pensées suicidaires des jeunes ont doublé depuis 2014. Il ne s’agit pas que de pensées : l’année dernière, toujours en France, les tentatives de suicide ont augmenté de 60 %. Cela doit nous alarmer. On a besoin d’avoir un réel sursaut sur cette question de la dégradation mentale. J’ai voulu montrer dans mon livre qu’il est légitime pour les jeunes d’aller mal dans un monde qui est lui-même mal portant et qui les traite aussi mal. La corrélation est extrêmement claire entre la précarité et la dégradation de la santé mentale. Les chiffres de l’OCDE indiquent qu’un jeune qui est précarisé a 70 % de risque en plus de connaître des troubles de santé mentale. Évidemment, quand on ne sait pas comment on va payer son loyer, quand on ne parvient pas à se nourrir correctement, quand on stresse chaque jour sur la façon de subvenir à ses besoins les plus élémentaires, ça crée de la détresse. Ensuite, il y a bien sûr la difficulté à se projeter dans l’avenir, qui touche encore une fois davantage les jeunes que tout le reste de la population. Je terminerai sur les inégalités sociales, qui font que les jeunes les plus précarisés sont ceux qui se lancent dans les études les moins longues, sont les moins à même de réaliser leurs rêves, de s’orienter vers des filières qui leur plaisent, et qui privilégient des emplois qui leur permettent… de survivre, tout simplement.

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