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Le Guatemala
renoue-t-il enfin
avec la démocratie ?

Propos recueillis par François Finck · Délégué « Europe & International » au CAL/COM

Avec la rédaction

Mise en ligne le 28 juillet 2024

Entré en fonctions le 14 janvier dernier, le nouveau président du Guatemala, Bernardo Arévalo, est le premier chef d’État progressiste depuis le coup d’État de 1954. Le fils de Juan José Arévalo, premier président démocratiquement élu en 1945, suscite donc une vague d’espoir dans ce pays qui a souffert de la dictature, mais aussi de la corruption et d’une criminalité instituée depuis des décennies. Mais ce désir de changement concernant les droits humains se concrétisera-t-il ? Éléments de réponse avec David Pineda, président de l’association laïque Humanistas Guatemala.

Photo © Niyazz/Shutterstock

Quel est l’état actuel de la démocratie au Guatemala et la situation des humanistes ?

Au Guatemala, nous venons de traverser l’un des processus électoraux les plus complexes, les plus mouvementés et potentiellement catastrophiques de « l’ère démocratique » du pays, qui a commencé en 1986. De nombreuses raisons structurelles ont conduit à une telle situation, l’une des principales étant le délitement institutionnel, dû à la cooptation de l’État par les multiples tentacules de la corruption et du crime organisé que l’on retrouve dans les trois branches de pouvoir du gouvernement. Cela a donné lieu à une attaque, principalement de la part du parquet du gouvernement, contre le parti qui semblait gagner du terrain et mettait en danger le statu quo de la démocratie de façade du Guatemala. Heureusement, ils n’ont pas réussi et la démocratie est restée. Nous avons donc l’espoir d’un changement.

Quelles sont les luttes spécifiques menées par Humanistas Guatemala ? Les actions entreprises sont-elles entravées par des poursuites judiciaires, une stratégie utilisée pour intimider ceux qui jouent un rôle important dans la lutte contre l’impunité des violations graves des droits humains et de la corruption ?

Notre organisation a priorisé certaines lignes d’action par rapport à d’autres : la défense de l’État laïque, la promotion de l’humanisme et la revendication des droits des femmes, de la population LGBTI+, des minorités ethniques et religieuses, ainsi que des droits sexuels et reproductifs. Dans ce pays, ceux qui défendent les droits de l’environnement, qui protègent les ressources naturelles et les droits des populations autochtones sont criminalisés et intimidés. Cependant, nous n’avons subi jusqu’à présent aucune intimidation directe ni tentative de nous faire taire. Nous avons bon espoir que ce gouvernement ne sera pas celui qui changera cette situation, mais nous escomptons obtenir une plus grande possibilité de dialogue et d’ouverture au changement.

Sur le plan de la séparation de l’Église et de l’État, comment l’influence dominante de la religion dans la vie publique porte-t-elle atteinte au droit à l’égalité ou à la non-discrimination ?

Au Guatemala, le risque lié au fait de s’identifier comme non religieux est plus social que juridique. Il existe une laïcité implicite dans les lois et la Constitution du pays. Cependant, en raison d’une culture et d’une société largement chrétiennes, ceux qui détiennent ou prétendent détenir le pouvoir utilisent le discours religieux pour souligner leur vertu et dénigrer, traiter d’« immoraux » ceux d’entre nous qui n’observent pas de foi religieuse. Cela influence également des questions législatives telles que l’interdiction du mariage homosexuel ou la criminalisation de l’avortement, même en cas de viol, ce qui est assez grave.

Concernant l’avortement, pourriez-vous nous expliquer comment la « loi pour la protection de la vie et de la famille » constitue une menace sérieuse pour la vie, les droits humains et les familles ?

En réalité, au Guatemala, l’avortement était déjà interdit et illégal. Mais cette loi a imposé des sanctions encore plus sévères et injustes. Ont également été ajoutés des délits tels que la diffusion de matériel éducatif lié à l’éducation sexuelle comprenant des informations comme la pilule du lendemain et des sujets similaires. Même chose en ce qui concerne le mariage pour tous : il était déjà proscrit et la nouvelle loi ne fait que réitérer l’interdiction.

Au sujet de la liberté de la presse, pourquoi les journalistes sont-ils si souvent intimidés et attaqués ?

Cela fait partie du même système qui se protège en intimidant et en criminalisant les journalistes et les militants. Il s’agit d’un système d’extraction de richesses par un petit groupe appartenant à l’élite économique, mêlé à l’establishment politique ou à la politique traditionnelle corrompue, ainsi qu’à un acteur relativement récent : le trafic de drogue et les réseaux du crime organisé qui y trouvent également leurs intérêts, avec beaucoup d’argent permettant d’acheter les volontés et un gros pouvoir d’intimidation.

Quels changements le nouveau président de centre-gauche pourrait-il apporter ?

On peut espérer que le nouveau gouvernement du Guatemala, composé d’un parti jeune et démocratiquement constitué, sans compromis avec la politique traditionnelle, pourra générer des changements significatifs et engranger une façon inédite de faire de la politique. Que ces changements créent du bien-être et des résultats tangibles pour la population est d’une importance vitale, même si cela sera difficile de faire en quatre ans le nécessaire pour inverser des décennies d’abus et entraîner une continuité pour le parti au pouvoir. Il est encore trop tôt pour évaluer jusqu’où nous pourrons aller, mais avec la barre fixée si bas par les pires gouvernements en vigueur jusqu’à ce jour, je crois qu’un bon travail devrait produire des résultats visibles prochainement. Quant à la législation concernant les groupes les plus vulnérables, il est possible que cela ne soit pas la priorité, notamment car cela pourrait être impopulaire. Nous devrons donc attendre.

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