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Le clito, ce bouc émissaire
Sandra Evrard · Rédactrice en chef
Mise en ligne le 22 avril 2024
Au sein d’une société phallocrate et patriarcale, certains médecins vont jusqu’à m’accuser de mettre en péril le respect des bonnes vies et mœurs et me jugent carrément dangereux. »
Vous saviez déjà que le corps des femmes est l’objet d’une domination patriarcale depuis l’aube des temps. Et vous saviez déjà également que le diable se cache dans les détails. Enfin… cela dépend de ce que l’on entend par « détail »… En l’occurrence, ce n’en est peut-être pas un dans le cas qui nous occupe ici, malgré sa propension à privilégier l’ombre à la lumière, à jouer la discrétion jusqu’à se faire oublier (ou méconnaître), au point qu’on lui prête diverses légendes et fausses destinées. J’ai nommé le clito.
Associé aux troubles hystériques féminins au XIXe siècle selon Charcot et Freud par la suite, on prescrivait pourtant sa stimulation au IIe siècle pour soulager les « fureurs utérines » tandis qu’en 1971 la psychanalyste Françoise Dolto estimait important que « la fille fasse son deuil de ses fantasmes masturbatoires clitoridiens. De l’ambition de phallus qu’il cache, la solution heureuse est l’investissement vaginal », affirmait-elle. Sans blague ! Heureusement, il y eut d’autres époques où la croyance fut d’une certaine façon plus clémente pour les femmes, puisque d’aucuns estimaient que l’orgasme féminin (produit grâce au clitoris) était nécessaire pour tomber enceinte. Ouf !
Toujours étroitement associé à la maternité, à la prédominance de la semence masculine, au risque d’émancipation charnelle de la femme, le clitoris a de tout temps été le bouc émissaire des craintes, méconnaissances et velléités de dominations sur le corps des femmes. Même l’apparition du premier vibromasseur au XIXe siècle le fut pour calmer l’hystérie féminine. Jamais pour le plaisir de ces dernières, forcément ! Autre lubie intéressante : cette idée fixe qui a perduré jusqu’au XXe siècle que l’utérus se baladait dans le corps, provoquant encore et toujours les étranges humeurs et comportements de ces dames. On en rit aujourd’hui, mais le plus désolant réside dans la méconnaissance anatomique de cet organe jusqu’aux années 2000 et plus précisément son absence remarquée des planches anatomiques jusqu’en 2016… Sans commentaires.
Les médecins ne savaient pas encore comment était constitué le clitoris que déjà le viagra arrivait sur le marché pour traiter les dysfonctions érectiles. Question de priorité. Il faudra finalement attendre que des femmes s’intéressent à ce petit organe si décrié pour que la connaissance à son sujet augmente et qu’il sorte de l’ombre. On remercie donc Natacha De Locht d’en avoir fait le héros de son nouveau livre Le clito quoi ? qui explicite toutes ces aventures en transformant le clito en petit personnage qui raconte sa propre histoire. La plasticienne belge et auteure de livres ludiques qui vulgarisent la sexualité et la connaissance du corps à l’intention des enfants retrace l’histoire de cette méconnaissance du clitoris à travers les siècles.
Aujourd’hui, il est devenu le symbole du combat féministe. La revanche du clito semble en marche. D’ailleurs, le collectif Osez le féminisme estime que « l’égalité femmes-hommes passe aussi par la sexualité et par l’égalité dans le plaisir. Pour l’association, le clitoris et la sexualité des femmes sont des sujets politiques ». On ne peut leur donner tort. Alors que sa forme et ses fonctions sont désormais connues, il demeure le bouc émissaire des sociétés patriarcales dans lesquelles on pratique encore l’excision. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) estime à 200 millions le nombre de filles et de femmes toujours en vie, ayant subi une mutilation génitale dans le monde. Derrière l’histoire du clitoris, se cache encore et toujours une autre triste histoire : celle des violences et de la domination patriarcale.
Natacha De Locht, Le clito quoi ?, Bruxelles, Les Nez à Nez, 168 pages.
À voir
À (re)lire
Amélie Dogot, « Le clitoris en tête d’affiche », dans Espace de Libertés, n° 485, janvier 2020.
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