La douleur des survivants

Le génocide des Tutsi au Rwanda a fait non loin de 800 000 victimes, massacrées parfois par des connaissances, leurs propres voisins. À l’heure où certains tentent de réécrire l’histoire, d’édulcorer les faits ou même de les nier, Dominique Celis, agrégée en philosophie (ULiège), livre un fougueux premier roman au ton cru et à l’écriture acérée dans lequel elle aborde les séquelles encore vivaces au sein de la société rwandaise de ce crime contre l’humanité. Prolongeant les constats dressés précédemment dans son essai Gêneurs de survivants ! paru il y a tout juste dix ans, l’auteure dénonce, par la voie romanesque, cette fois, la banalisation ambiante et le négationnisme.

Suite à une douloureuse rupture sentimentale, Erika, descendante de victimes du génocide de retour dans un Rwanda en phase de reconstruction, entreprend d’écrire à Lawurensiya, sa sœur aînée. Au fil de missives fiévreuses, elle hurle ses états d’âme, raconte sa vie amoureuse, ses rencontres et ses nouvelles amitiés. Elle dit aussi ses interrogations face à la situation et évoque le souvenir des disparus, des absents, dont ses tantes, affreusement violentées, « génocidées », à l’instigation d’un voisin éconduit. Confrontée à l’implication dans le massacre de membres de son nouvel entourage, elle se refuse à tourner la page comme on le lui conseille.

L’auteure met en lumière la violence psychologique imposée aux rescapés et à leurs proches par la contrainte qui leur est faite de côtoyer au quotidien d’anciens bourreaux, condamnés ou non, dans cette atmosphère volontariste de normalisation de la société rwandaise. Et on s’interroge avec elle : un tel processus de « réconciliation » peut-il vraiment fonctionner ? Dominique Celis signe ici un premier roman fort, abrupt, qui ne laisse pas indifférent.