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Défendre
la liberté de pensée :
un appel mondial à l’action

Gary McLelland · Directeur général de Humanists International

Avec la rédaction

Mise en ligne le 29 février 2024

Les humanistes peuvent être fiers du rôle qu'ils jouent dans la défense de la liberté de pensée. Le dernier Freedom of Thought Report publié par Humanists International1 fournit une analyse approfondie du paysage juridique et des atteintes aux droits des humanistes, des athées et des personnes non religieuses dans le monde entier. Ce rapport arrive à un moment crucial où les fondements mêmes de la démocratie sont remis en question partout.

Photo © Shutterstock

« Il est essentiel de reconnaître le rôle que jouent les humanistes dans la défense et la revitalisation des institutions démocratiques. Les humanistes ne sont pas de simples observateurs ; ils participent activement au processus démocratique et s’efforcent de faire entendre les voix de la raison et de la compassion. Notre engagement en faveur de la prise de décision fondée sur des preuves, de l’égalité et de la protection des droits de l’homme nous incite à contribuer de manière significative à la lutte contre le recul de la démocratie et nous fournit une solide plateforme éthique et intellectuelle pour le faire. » Andrew Copson, président de Humanists International, insiste sur ce point dans l’avant-propos du dernier Freedom of Thought Report : l’engagement des humanistes fait d’eux des contributeurs essentiels à la lutte contre le recul de la démocratie.

Des discriminations croissantes

Les humanistes subissent des discriminations dans 186 pays. Celles-ci peuvent prendre diverses formes telles que la marginalisation, les interdictions légales et les restrictions au droit de s’identifier comme athée ou agnostique. Dans 11 pays, des dirigeants ou des organismes d’État marginalisent, harcèlent les libres-penseurs ou incitent ouvertement à la violence envers eux. Dans 15 pays, le fait de se définir comme athée ou non-religieux est soit illégal, soit non reconnu, ce qui porte atteinte au droit fondamental d’exprimer ses convictions.

L’existence de religions d’État constitue une menace importante pour les droits des personnes non religieuses. Dans 23 pays, des barrières empêchent les personnes non religieuses d’occuper certaines fonctions, ce qui rend leur pleine participation à la vie civique impossible. Le rapport souligne également le nombre alarmant de pays où le blasphème reste un délit punissable (87) et où les tribunaux religieux influencent les questions familiales ou morales (48).

En Arabie saoudite, en Afghanistan, au Pakistan et en Corée du Nord, en matière de liberté de pensée, les voyants sont dans le rouge foncé à tous les niveaux : Constitution et gouvernement, éducation et droits de l’enfant, société et communauté, justice, liberté d’expression et défense des valeurs humanistes.

cc Humanists International

Le financement de la religion par l’État dans 85 pays exacerbe les inégalités et contribue à la marginalisation des personnes non religieuses. Le rapport met en lumière les défis auxquels sont confrontées les organisations humanistes, 32 pays rendant difficile ou illégale la gestion d’entités qui revendiquent ouvertement cette conception de vie. Non seulement cette situation étouffe la liberté d’association, mais elle entrave également la capacité des humanistes à s’organiser, à défendre leurs intérêts et à concourir au progrès de la société.

Dans le domaine de l’éducation, l’enseignement religieux obligatoire dans les écoles publiques, sans autre option laïque ou humaniste dans 33 pays, suscite des inquiétudes quant à l’endoctrinement des jeunes esprits. L’absence d’alternative laïque limite l’exposition des élèves à diverses visions du monde et sape les principes de pluralisme et de tolérance.

Point de répit, même en démocratie

L’édition « Pays clés » du rapport2, qui porte sur une sélection d’une trentaine de pays, offre une perspective nuancée en examinant les droits des non-religieux dans le cadre de différents systèmes de gouvernance. Même dans les démocraties établies comme l’Australie, les contraintes juridiques et sociétales qui pèsent sur les humanistes soulignent la nécessité d’une vigilance permanente. Le Brunei, monarchie islamique absolue de droit divin, présente un scénario contrasté. L’absence de contrôle démocratique exacerbe les difficultés rencontrées par les personnes non croyantes, et le rapport met en lumière un environnement juridique restrictif. L’Iran impose quant à lui des contraintes sévères à la liberté de pensée, l’islam en tant que religion d’État ayant un impact significatif sur les droits des personnes non religieuses.

Au Brunei, seul État d’Asie du Sud-Est à avoir imposé la charia sur tout son territoire, le sultan impose sa loi dite divine. Les libre-penseurs y sont persécutés, et l’apostasie et le blasphème sévèrement réprimés.

© F. Muller/Shutterstock

Ces différentes études de cas soulignent le caractère mondial de la lutte pour la liberté de pensée, qui transcende les systèmes politiques et les contextes culturels. Dans chacun de ces pays, les humanistes sont confrontés à des défis distincts, mais le thème dominant est la nécessité d’efforts concertés pour protéger et promouvoir les droits des non-croyants.

Un appel à l’action

Le rapport dresse un tableau complet des défis auxquels sont confrontés les humanistes dans le monde, mais il sert aussi de cri de ralliement.

Premièrement, Humanists International appelle à tirer parti des voies diplomatiques pour s’engager auprès des pays où la liberté de pensée est menacée. Cela implique de donner la priorité à cette question dans les forums internationaux afin d’encourager le dialogue et la coopération en matière de droits humains.

Deuxièmement, il est suggéré de conditionner l’aide étrangère à l’amélioration des droits humains, et plus particulièrement à la protection de la liberté de pensée. Exhorter les pays bénéficiaires à adopter des changements législatifs qui protègent les droits des non-religieux est une étape cruciale.

Troisièmement, l’accent mis sur le renforcement de la collaboration avec les organisations internationales travaillant sur les questions de liberté de pensée est fondamental.  En mettant en commun les ressources et en coordonnant les efforts, les organisations humanistes peuvent amplifier l’impact de leur plaidoyer.

Quatrièmement, il est essentiel de reconnaître et soutenir les personnes persécutées pour avoir défendu les droits humains. Humanists International plaide pour leur protection et encourage la sensibilisation à leur sort sur la scène internationale. Cinquièmement, inciter les pays à adopter des principes de gouvernance laïque est déterminant pour séparer la religion des affaires de l’État. Le partage des réussites des États qui sont parvenus à protéger la liberté de pensée et de religion par des valeurs laïques peut constituer un puissant levier. Sixièmement, l’accent est mis sur le soutien aux initiatives qui promeuvent l’éducation laïque dans le monde. Il est indispensable de plaider en faveur de programmes scolaires inclusifs encourageant la pensée critique pour favoriser un environnement respectueux de la liberté de pensée.

Pour aller de l’avant, la communauté mondiale doit répondre à l’appel à l’action lancé, en reconnaissant que la défense de la liberté de pensée est une responsabilité partagée. Nous pouvons collectivement démanteler les barrières qui étouffent la liberté de pensée. Face à la discrimination, à la persécution et aux défis lancés à la démocratie, les humanistes se posent en défenseurs résolus de la raison, de l’égalité et des droits humains. Il faut non seulement reconnaître les luttes, mais aussi s’engager activement dans un effort de collaboration pour construire un monde où la liberté de pensée vaut pour tout un chacun.

Le berceau peu paisible de la démocratie

Dans l’avant-propos du rapport 20233, Panayote Dimitras donne un aperçu poignant des défis auxquels sont confrontés les défenseurs humanistes des droits de l’homme. Il y a trente ans, il a cofondé le Greek Helsinki Monitor (GHM) qui se consacre à la défense des droits des minorités et à la lutte contre les discriminations en Grèce. En 2010, il a créé l’Union humaniste de Grèce. Il témoigne du harcèlement intense et quasi continu dont ses collègues et lui font les frais. Fin 2022, les autorités grecques ont porté des accusations infondées contre M. Dimitras pour avoir fait la lumière sur les violations des droits des migrants commises aux frontières de la Grèce et pour avoir cherché à obtenir justice pour les personnes concernées. Le 24 janvier 2023, Dimitras s’est vu signifier une décision du Conseil judiciaire lui interdisant d’exercer toute activité de GHM. La Grèce, bien que démocratique, ne possède pas de culture des droits humains. L’expérience de Panayote Dimitras est emblématique des difficultés plus larges auxquelles sont confrontés les humanistes dans le monde entier.

  1. Humanists International, « The Freedom of Thought Report ».
  2. Humanists International, « Key Countries Edition », décembre 2023.
  3. Panayote Dimitras, « Foreword to the 2023 edition ».

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