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Cinq questions à Izzeldin Abuelaish
Propos recueillis par Catherine Haxhe · Journaliste
Avec la rédaction
Mise en ligne le 10 octobre 2022
Izzeldin Abuelaish a perdu trois de ses filles à la suite du lancement d’une roquette israélienne sur sa maison. Ce médecin palestinien a alors décidé de transformer sa détresse devant l’inhumanité de cet événement dramatique, en action en faveur de la paix. Il en est ressorti un livre et aujourd’hui la pièce Je ne haïrai pas, jouée actuellement au Poche.
Un an après le drame, vous avez écrit le livre Je ne haïrai point, devenu Je ne haïrai pas pour le théâtre afin de passer du commandement religieux à une éthique personnelle humaine. Quelle a été votre impression après avoir vu la pièce ?
Ce fut une surprise de découvrir la comédienne Deborah Rouach, la femme qui joue et prend la forme des femmes de ma vie, à savoir ma maman, ma femme et mes filles. C’était touchant et inspirant. Quand mes filles ont été tuées, j’ai voulu les garder en vie. Voir la pièce faisait résonnance et confirmait que mes filles étaient encore vivantes et que nous les gardions vivantes dans nos esprits, nos cœurs et nos âmes. Pas avec des balles, mais avec des mots et de la bonté pour inspirer et donner de l’espoir. Cette tuerie ne peut donner place à une autre tuerie, la violence ne peut faire face à la violence. Il faut une attitude positive pour redonner de l’espoir et inspirer la vie. Ce spectacle, que nous avons monté, a créé de la vie à partir de la mort. De cette peine et de cette souffrance est né l’espoir.
Les images de ce drame ont fait le tour du monde, quelle fut alors votre réaction ?
Comme je l’ai écrit dans mon livre, si j’avais pu être certain que mes filles étaient les dernières à être sacrifiées pour un vrai processus de paix alors je l’aurais accepté. Mais elles n’étaient pas les dernières, elles furent simplement des numéros. C’est pour cette raison que je dois poursuivre ma mission, pour témoigner que cette tragédie doit servir le bien. Je ne peux accepter que mes filles soient mortes pour rien, il faut que leur mort serve à quelque chose, c’est ça la morale. Nous devons prendre notre responsabilité humaine et transformer cette tragédie en quelque chose de positif.
Vous avez un jour dit que leur mort doit servir la paix. Le pensez-vous encore ?
Oui, mais qu’est-ce que la paix ? La paix n’est pas le bon terme, c’est le but. Nous devons travailler pour cela, y croire, et définir le mot, car il ne recouvre pas seulement l’absence de conflit, c’est bien plus que cela. Il faut atteindre ce but, avec justice, égalité, liberté, humanité et dans l’effort collectif de ceux qui croient, non pas en une paix fragmentée ou politique, mais en la paix pour tous.
Je ne haïrai pas de Izzeldin Abuelaish
> 22.10.22 au Théâtre de Poche (Ixelles)
Médecin palestinien, Izzeldin Abuelaish est l’auteur de Je ne haïrai point.
© Saskia Vanderstichele
Nous vivons une période d’incertitude, et cela me donne plus de responsabilités pour parler plus fort. Mais je ne peux le faire seul, chacun de nous peut agir, car la paix – paix religieuse, ethnique, géographique – manque dans ce monde. Il est important que les gens ne pensent pas que le spectacle porte sur le conflit israélo-palestinien : c’est une histoire universelle et humaine qui peut inspirer les gens et qui peut nous donner une dose de psychologique positive pour faire face aux défis et endosser un rôle actif. Car par son action, petite ou grande, chacun d’entre nous peut faire la différence.
La comédienne Deborah Rouach joue les femmes de la vie d’Izzeldin Abuelaish.
© Véronique Vercheval
Il vous semble important de distinguer la colère de la haine ?
Je suis en colère quand je vois ce qui se passe dans le monde. Quand je vais en Palestine, dans ma maison, je suis fâché de la situation actuelle. Quand je vois ce qui se passe en Russie, en Ukraine, en Syrie, au Yémen, je me dis qu’on ne peut pas se résigner et qu’il faut agir. Car qui paye le prix de tout cela ? Les êtres humains, et particulièrement les femmes et les enfants. À la fin des conflits, les leaders se serrent la main, mais ils ne songent pas aux femmes et enfants qui ont perdu leurs proches. Comme le dit le poète palestinien Mahmoud Darwich : « Je sais qui gagne la guerre, mais je sais aussi qui paye le prix, ce sont les êtres humains. Je sens leur peine, leurs souffrances. » La guerre ne doit pas seulement être regardée à la télévision ou documentée, il faut la prévenir. La haine, selon moi, est une maladie destructrice et je ne veux pas l’attraper. Car si j’étais touché par cette maladie contagieuse, j’y exposerais les autres et c’est risqué. Nous devons empêcher la haine de s’étendre. Mais la colère peut, dans un sens positif, nous motiver à agir : compatir aux besoins des autres, penser aux autres, se mettre à leur place, c’est cette colère positive qui nous encourage à réaliser de bonnes actions dont nous avons besoin. Et non pas la haine qui appelle à la destruction. J’espère que nous instituerons bientôt une réflexion, une étude globale sur cette haine, cette maladie sociale endémique ainsi que sur le lien entre la haine, la santé et la paix.
Dans la pièce, la formidable actrice Deborah Rouach vous interpelle : « Comment peux-tu te lever chaque matin, Izzeldin » ? Est-ce grâce à votre foi dans le futur ? Votre foi dans votre fondation appelée Daughters for life ?
Je me lève chaque matin en remerciant Dieu de m’offrir un nouveau jour. Je suis en bonne santé, j’ai mes autres enfants et la première chose que je vois sur l’écran de mon ordinateur sont mes filles aimées. J’ai créé la fondation Daughters for life en vue d’éduquer les filles et jeunes femmes du Moyen-Orient, sans discrimination. Nous ne sommes ni politiques ni religieux, nous sommes humains, et toutes les femmes sont concernées, qu’elles soient palestiniennes, israéliennes, jordaniennes, syriennes, libanaises, marocaines, égyptiennes, musulmanes, juives, chrétiennes ou druzes. Je crois dans le rôle des femmes et dans leur éducation. Plus nous voyons de femmes engagées au côté des hommes, plus cela fonctionne. Nous avons tous et toutes à y gagner.
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