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Alors, on change ?
Amélie Dogot · Secrétaire de rédaction
Mise en ligne le 2 octobre 2023
Ce n’est pas une nouvelle manif qui changera la face du monde. Un groupe d’achat commun non plus, pas plus qu’une séance de psychothérapie ou de méditation transcendantale. Le monde tourne mal, et à elles seules, ces actions semblent bien vaines pour inverser la tendance. 88 % des Belges pensent qu’« on va droit dans le mur si on continue comme ça », mais alors que peut-on faire pour changer ?
C’est à la demande de l’éditeur français Massot que Vincent Commenne, l’initiateur du mouvement des « créatifs culturels » (CC) en Belgique, a écrit ce livre sur les nécessaires passerelles entre les acteurs de changement. Pour comprendre le titre, Mutants militants, il faut d’abord se plonger dans le concept même de cultural creatives. Se replonger, à vrai dire, car il n’est en fait pas nouveau : né aux États-Unis, il a été popularisé par le sociologue américain Paul Ray et la psychologue américaine Sherry Anderson au début des années 2000. Traduit un peu trop littéralement, il se rapporte au mouvement social constitué d’individus qui se situe en rupture avec la culture ambiante, à savoir « les actrices/acteurs de changement visant l’émergence d’une société plus responsable, durable, inclusive et porteuse de sens ». Leurs actions reposent, à des degrés divers, sur quatre pôles de valeurs : la solidarité, l’écologie, les valeurs du féminin et l’intériorité.
Selon la thèse de départ de Vincent Commenne, économiste formé à la psychologie humaniste, des milliers de personnes agissent pour faire changer le monde mais malgré cela, le train fou roule à sa perte à tout vapeur. Dans la perspective des CC, parmi ces personnes, on trouve les militants/activistes subdivisés en altermondialistes et alterlocalistes d’une part, et les « mutants », des personnes engagées dans un processus de mutation personnelle soit par la voie psychologique, soit par la voie spirituelle d’autre part. Selon l’auteur, chaque « cadrant » a des spécificités dans son action et des choses à offrir aux autres, et c’est la synergie des quatre types d’apports – la différence du regard porté sur les urgences et la manière d’y répondre – qui sera déterminante pour l’émergence d’une culture nouvelle.
En tant qu’organe de presse associative, à savoir média lié à une association née de la volonté de militant.e.s de défendre les intérêts de la communauté philosophique non confessionnelle, la lecture critique de cet ouvrage nous a semblé incontournable. Tout d’abord sur la base d’un simple constat : comme bien d’autres associations et ONG, les délégué.e.s laïques vivent des crises internes, se heurtent aux limites de l’entre-soi et ne sont pas à l’abri du burn-out du militant. Au sein même de notre association, il est intéressant de se rendre compte que les militant.e.s de sont pas les seuls à porter le changement sociétal, que les actions des différentes régionales et associations locales telles que les maisons de la laïcité se situent déjà dans les différents cadrants, y compris du côté des mutants. Et que c’est certainement en dépassant les présupposés et les jugements de valeur sur le caractère utile ou non de certaines formes d’action (trop surannées, trop égocentriques, trop pantouflardes, trop utopistes, trop élitistes, etc.), en se mélangeant davantage que l’on sortira des fameuses bulles relationnelles exacerbées par les algorithmes. Et que l’on réduira les distances entre les actrices et acteurs du changement pour créer de nouvelles synergies.
Si mettre l’action laïque à l’épreuve des constats posés et des réflexions menées par la mouvance des CC n’est pas sans intérêt, les critiques à apporter au livre de Vincent Commenne sont nombreuses, à commencer par la manière de traiter le sujet : le style didactique n’évite pas l’écueil de la répétition un brin infantilisante et d’un sentiment de « tout ça pour ça ». L’auteur nous parle dès le sous-titre d’« une alliance nouvelle face aux défis de notre époque » mais il omet d’identifier précisément ces défis. L’étude belge sur l’« évolution des valeurs et des comportements » menée auprès de 2741 personnes avec un profil de CC dont il est fait référence date de 2012 ; le délai nous semble fort long pour en tirer des conclusions qui n’apparaissent dès lors pas de la plus récente actualité. Et de façon plus générale, la mouvance CC et l’auteur, dans son cheminement personnel, présentent les valeurs dites féminines – dans lesquelles ils placent vision globale, sens du long terme, reliance, soin, lenteur, fluidité, empathie, coopération, intuition – comme une sorte de panacée ; on ne peut s’empêcher de tiquer sur le caractère stéréotypé de cette vision post-New Age des choses. Malgré tout, Mutants militants propose quelques pistes concrètes d’évolution du militantisme qui valent la peine d’être relevées et mises en pratique.
Vincent Commenne, Mutants militants. Une alliance nouvelle face aux défis de notre époque, Paris, Massot, 2023, 134 pages.
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