Libres, ensemble
Peines autonomes :
peut mieux faire !
Valériane Munoz Moles · Journaliste
Mise en ligne le 10 novembre 2022
Si la « case » prison est destructrice, les mesures alternatives à l’incarcération ne constituent pas non plus la panacée. Considérées maladroitement comme un « remède » à l’inflation carcérale, ces peines « autonomes » souffrent d’une mauvaise audience. Représentations sociales et croyances ne s’insèrent-elles pas comme des mythes professionnels et institutionnels limitant des processus de reconstruction du monde judiciaire ?
Photo © Spirit Stock/Shutterstock
Si l’emprisonnement d’un être humain pose question, les peines alternatives, souvent proposées comme un palliatif, ne semblent pas constituer un projet abouti et exempt de critiques. Les éléments qui font obstruction à leur application efficiente sont nombreux. De plus, si certaines de ces mesures ne sont pas sans dommages collatéraux, elles se constituent aussi comme le berceau d’inégalités sociales systémiques.
Un système doublement carencé
Bien que le SPF Justice souligne une nette augmentation du coût du personnel ces dernières années, les maisons de justice croulent sous le poids des carences structurelles face à l’inflation pénale récente. « Les maisons de justice manquent de moyens humains pour accomplir leurs missions et respecter les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants concernant le recours aux peines alternatives », explique la juge au tribunal de première instance de Namur Manuela Cadelli.
Une réalité qui pèse dans la balance décisionnelle des juges. « Ce manque interfère dans le positionnement des juges qui, en connaissance de la surcharge sur le terrain, anticipent une récidive », cite notre interlocutrice. « Pour certaines maisons de justice, par exemple Charleroi ou Bruxelles, les délais vont parfois jusqu’à six mois pour organiser la mise en place de la peine », souligne Stéphane Davreux, directeur général adjoint du service général des maisons de justice.
Si le monde judiciaire semble nécessiter une transfusion de moyens, il apparaît également que « déjudiciariser », voire insuffler une vision humaniste dans les processus décisionnels, constituerait un levier non négligeable pour le justiciable. « Nous constatons que peu de juges disposent d’éléments suffisants pour évaluer le contexte de chaque justiciable, que ce soit au niveau familial ou autre, pour prononcer dès lors des peines qui répondraient à une logique plus proche des réalités de terrain. Ces alternatives ne font parfois pas “sens” pour le justiciable et, au regard de leur inadéquation avec les circonstances, elles viennent creuser les inégalités, voire soulever d’autres problématiques liées à la délinquance ou la précarité. Depuis un certain temps, nous travaillons en commun sur des outils d’aide à la décision qui permettent de remettre le justiciable au centre avec une vision sur le long terme », souligne Stéphane Davreux.
Un système anémié ainsi que des politiques publiques qui se méprennent sur un paramètre fondamental : l’influence des « réalités du terrain » et leur prévalence dans l’adoption de nouveaux comportements. Alors que les peines alternatives sont reconnues comme un moyen de réinsertion socioprofessionnelle avec, de surcroît, une vocation préventive quant à la récidive, leur application « prête à l’emploi » ne prend pas en compte le poids de l’environnement chaotique auquel certains publics sont déjà confrontés.
Distorsion sociale
Dans certaines maisons de justice, les peines de travail autonomes font parfois la file d’attente. Les délais entre le prononcé et la mise en œuvre – par manque de place au sein des structures d’accueil – peuvent être une source de souffrances psychologiques. L’attente de la peine, l’angoisse organisationnelle et structurelle dans un contexte de vie déjà fragilisé ainsi que l’absence de guidance pendant et après la peine de travail sont autant d’éléments mortifères qui ne s’insèrent pas dans une vision préventive des risques psychosociaux et, par voie de conséquence, de la récidive. « Les peines de travail autonomes, sauf mesures probatoires et conditions spécifiques, ne s’accompagnent pas nécessairement d’une guidance en tant que telle », cite Stéphane Davreux.
La justice, reflet des valeurs d’une société
Les initiatives pénales ne résultent pas uniquement d’une activité légale formelle, elles sont sous une influence sociale, contextuelle et culturelle1 qui invite à déconstruire des « mythes » professionnels et institutionnels. Si les « inadéquations entre théorie et pratique laissant l’individu sur le bord de la route » font aveu de culpabilité, elles ne sont pas les seules présumées coupables. L’histoire et l’évolution des mœurs détiennent également un ascendant qui enferme les peines dites « autonomes » dans un « prêt-à-porter social ».
Prenons l’exemple du « crime passionnel » ou « drame familial »… Ces expressions ont été utilisées, durant des décennies, pour qualifier ce que l’on nomme aujourd’hui « féminicides ». Cette analyse du vocabulaire dessine les contours de la conscience collective contemporaine et confère un nouveau « sens » à la notion de justice. La pénalisation du féminicide est aussi un signe que la justice court derrière les transformations sociétales sans pour autant transformer les racines mêmes du patriarcat à la base de ces comportements.
En filigrane de ce « renouveau sémantique » viennent s’insérer des diktats, telle la clémence judiciaire, qui découlent des alternatives à l’incarcération. En effet, le vocable « alternative » institue une forme d’immunité face aux délits. Les peines alternatives sont régulièrement perçues comme des peines cadeaux.
Les peines alternatives ne sont pas de fausses peines. Repousser les murs de la prison s’avère nécessaire pour sortir du système carcéral.
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Sommes-nous dans les abîmes d’une société assujettie à une position clivée entre le bien et le mal où « la seconde chance » est reléguée au fond du tiroir ? Notre XXIe siècle – marqué par une victimologie aiguë – n’est, semble-t-il, pas celui des Lumières quant aux débats de fond sur la « capabilité » de réinsertion des « délinquants », laissant ainsi en cendres les répercussions dues à la détention. « La peur de banaliser les infractions prévaut sur les conséquences liées à l’incarcération. Donner plus de crédit aux études criminalistiques mais également se positionner politiquement sur les faits répréhensibles susceptibles de bénéficier des peines autonomes pourrait constituer un outil dans le changement des pratiques professionnelles », argue Marc Nève, avocat spécialisé en droit en droit pénitentiaire et président du Conseil central de surveillance pénitentiaire.
Parallèlement à ce microcosme culturel clivant – basé sur des principes de moralité – vient s’insinuer une forme de « caste ». « Il est vrai que dans le cadre de certains dossiers, le justiciable préfère une transaction pénale afin d’éviter les formations ou les peines d’intérêt général qui sont proposées. Tout le monde ne peut évidemment pas se permettre cette alternative », relate Stéphane Davreux. Une justice à deux vitesses où le nombre de zéros sur le compte en banque vient influer sur le poids de la « peine alternative » ? La réforme judiciaire en cours depuis de nombreuses années ne pourrait-elle pas prendre ces divers points d’attention pour « rénover » un système générateur d’inégalités sociales ?
La justice, reflet des valeurs d’une société
Au regard des multiples « pièces » présentées – confortées par différents témoignages –, la plaidoirie ne se résumerait-elle pas à soumettre comme « prétention » une politique d’action publique en matière judiciaire sous l’angle des sciences comportementales, et ce, au plus proche des besoins d’une population vulnérable tout en considérant l’environnement familial ?
Le privilège des cols blancs
Si les peines alternatives restent minoritaires, il est également constaté que l’utilisation de certaines d’entre elles est soumise à des critères socio-économiques. En effet, dans l’inventaire figure l’amende pénale qui serait l’apanage de ce qu’on appelle « les criminel.le.s en col blanc ». Rarement poursuivi.e.s ou condamné.e.s par des cours pénales, ces personnes sont plutôt orientées vers l’administration fiscale, le SPF Finances ou l’inspection sociale. Le délit est puni mais c’est une sorte de justice « négociée ». D’autant que la peine est « discutée » à huis clos et les informations autour du délit ou de la transaction fuitent de manière exceptionnelle. Pourtant, « l’absence relative de condamnations pénales n’est nullement la preuve que ce type de comportement n’est pas criminel »2. « La délinquance financière est très peu investie et l’on constate également qu’il y a très peu de magistrats formés à cette problématique », clôture Stéphane Davreux.
La pauvreté des études sur les inégalités sociales et pénales ne permet pas de rendre compte du caractère multidimensionnel et psychologique qui encadre les « peines alternatives ». Se pencher sur d’autres paradigmes, à la lumière des théories contemporaines, donnerait la possibilité d’embrayer vers une « justice plus sociale ». D’une part, livre noir sur un état des lieux et, d’autre part, livre blanc porteur de valeurs humanistes, retenons qu’aussi imparfaite que soit « l’œuvre de justice », elle doit s’ancrer dans une vision au plus proche des réalités humaines en luttant contre l’exclusion, la pauvreté, le glissement de toute une population qui tente de s’accrocher avec les plus grandes difficultés.
Le sort des enfants
Si la peine de prison frappe par ricochet les enfants, les peines alternatives ne sont pas sans dommages collatéraux. La surveillance électronique, par exemple, n’est pas sans impact sur la structure familiale. Le détenu qui porte au pied un bracelet relié à un émetteur-récepteur effectue sa peine dans son lieu de vie en respectant des horaires stricts et avec l’autorisation de le quitter à des moments bien déterminés. Comment un enfant perçoit-il qu’un père ou une mère soit présent.e au sein des « murs familiaux » mais qu’il ou elle soit extrait.e de toute forme de vie sociale ? Comment un enfant peut-il comprendre que son parent ne pourra participer à une fête de fin d’année qui risque de se prolonger au-delà du temps de loisir « autorisé » ? Le bracelet électronique fait entrer la prison dans le schéma familial, ce qui n’est pas sans conséquences pour chaque membre qui le compose. « C’est tout un système familial qui vit avec le bracelet et, au sein de familles qui traversent des difficultés d’ordre économique ou psychosocial, c’est une source de tensions supplémentaires qui n’a pas les finalités escomptées », précise Stéphane Davreux.
- Cécile Vigour, « Les rapports des citoyens à la justice : expériences et représentations », Mission de recherche droit & Justice, 30 juin 2021.
- Edwin H. Sutherland, « Crime and Business », introduction et traduction par Pauline Barraud de Lagerie et Marie Trespeuch, dans Terrains & travaux, no 22, 2013, pp. 169-181.
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