« Nous » et son contraire

En venir aux mains par trop-plein d’injustices pacifiquement endurées, fuir la fin de vie en pyjama pour mieux rentrer chez nous, tracer notre propre route et devenir malgré nous une réincarnation paternelle, sortir du système subi par nos mères mais y recourir pour se procurer « ce que notre soif de liberté n’a pas réussi à rendre gratuits », refuser le succès littéraire pour rester fidèle à la poétesse que nous sommes… Dans son Musée des contradictions, l’écrivain et scénariste liégeois Antoine Wauters évoque en douze nouvelles le tiraillement inhérent à l’espèce humaine, la difficulté que nous éprouvons tou.te.s à aligner nos valeurs, nos discours et nos actes.

« Je souffre très fort, et l’on est plein à en souffrir, de cette manière de voir les choses si tranchée, si binaire, si manichéenne », explique l’auteur. « L’intelligence humaine, idéalement, serait d’avoir la capacité de cheminer entre toutes ces choses, en acceptant de se contredire, de pouvoir douter, de suspendre son jugement, et aussi de pouvoir dire ʺje ne sais pasʺ. » Ou « je ne veux plus de cette vie-là », sommes-nous tentées de poursuivre.

Pour ce faire, Antoine Wauters laisse parler les gens sans interférence, dans autant de soliloques nommés « discours » écrits à la première personne du pluriel. On aime la force de ce « nous », collectif dans la solitude d’une expérience de vie personnelle, et des mots adressés tantôt au juge, tantôt au président, tantôt à un « vous » passéiste et désincarné. À la tribune, les personnes peu habituées à occuper cet espace, à bout de souffle, jouent le tout pour le tout dans une ultime tentative de se faire entendre et redonner sens à leur vie. Le discours est ici poétique et politique : « Les deux, pour moi, marchent main dans la main », éclaire l’auteur. « Ce sont des propositions de paix. De propositions de mises en commun, de rêves, d’orientations que l’on pourrait prendre ensemble. Mais avant cela, il faut d’abord poser les constats. Il faut entendre toutes ces voix avant d’imaginer d’autres possibles. » Le Musée d’Antoine Wauters, récompensée du Goncourt de la nouvelle 2022, rend accessible à tou.te.s les nuances et les espoirs de l’humanité.