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Justice de paix
Lionel Rubin · Délégué « Étude & Stratégie au CAL/COM
avec la rédaction
Mise en ligne le 4 avril 2022
« Tristane Banon est une pacifiste contrariée. » Ainsi notre correspondant français Philippe Foussier l’a-t-il qualifiée dans Marianne. « Elle plaide pour la paix des sexes », poursuit-il « mais ne craint pas de riposter, et même vertement, aux offensives du néoféminisme. » La journaliste française donne un coup de pied dans la fourmilière avec un essai sur le mouvement féministe actuel, et en particulier sur son clivage de plus en plus exacerbé entre celles et ceux qui se revendiquent soit universalistes, soit intersectionnel-les. Romancière et essayiste, Tristane Banon use de ses qualités de journaliste pour dérouler son propos, qui prend également corps au regard de la tentative de viol par DSK qu’elle a subi en 2003. Arrêter d’enfermer la femme dans un statut de victime pour mieux sortir de l’idéologie victimaire et prendre de la distance avec son « compagnon de route intersectionnel » est pour elle une nécessité.
Ce statut d’ancienne victime, qu’elle revendique au fil des pages comme faisant partie du passé, va lui servir pour développer la première partie de son essai et livrer une réflexion pertinente sur la justice, la présomption d’innocence, la différence entre la légalité, la morale et la justice. Elle revient sur les nécessaires différences qui doivent coexister entre les statuts de militante, de femme, de professionnelle ou encore de citoyenne. C’est l’angle choisi par l’auteure, dont l’objectif n’est pas sans rappeler le dernier essai de Jen Birnbaum Le courage de la nuance, résumé par cette formule lorsqu’elle apprend que son agresseur sera sauvé par la prescription dans différentes affaires d’agressions sexuelles : « Ce dont l’ancienne victime se désole, la citoyenne s’en félicite. » Ainsi, au-delà du propos en tant que tel, on ne peut que saluer cette envie d’inviter à prendre un peu de recul dans un tel débat, invitant lectrice et lecteur à émettre des avis différents en fonction de l’angle d’analyse. Oui, on a le droit de croire à la véracité du récit d’une victime, tout en refusant de porter la moindre atteinte à la présomption d’innocence.
La seconde partie du livre est quant à elle plus convenue, avec le survol de différents sujets qui clivent actuellement la société : port du voile, écriture inclusive, appels au boycott, etc. On y regrettera justement ce manque de nuance que traduit un parti pris qui semble davantage vouloir catégoriser, enfermer et cliver celles et ceux qui se revendiquent de l’universalisme ou de l’intersectionnalité, sans chercher à les rassembler sur ce qui les unit. Comme quoi on peut en appeler à la paix des sexes sans gager sur la paix des féministes.
Tristane Banon, La paix des sexes. Ce n’est pas la morale qui fait la justice, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2021, 186 pages.
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